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Cinéma
A contretemps (105’) - Film espagnol de Juan Diego Botto
A contretemps (105’) - Film espagnol de Juan Diego Botto

| Jean-Louis Requena 754 mots

A contretemps (105’) - Film espagnol de Juan Diego Botto

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Madrid 2008. Dans son appartement délabré d’une banlieue madrilène, une femme d’origine étrangère, Badia (Somaya Taoufiki), interrompt l’alerte de son réveil. Il est très tôt. Elle doit partir à son travail en laissant sa petite fille, seule, dans le logement. Celle-ci se prépare à rejoindre son école de quartier, quand des coups violents retentissent : ce sont des policiers qui, après une rapide perquisition et un bref interrogatoire, emmènent l’enfant dans un commissariat en attente de son placement dans un lieu spécialisé pour enfants abandonnés.

Rafa (Luis Tosar), est un avocat militant déterminé à aider les personnes expulsées de leur domicile. Pour l’heure, il se dispute avec son beau-fils Raul (Christian Checa) qu’il doit accompagner à un lieu de rassemblement pour partir en vacances scolaires. Rafa est en retard ; il fait un détour pour chercher une bouteille de gaz et la déposer chez Badia … Il constate la disparition de sa fille et part à sa recherche dans les dédales de l’administration espagnole, malgré les protestations de son beau-fils …

Azucena (Penélope Cruz) est caissière dans un supermarché ; elle élève son enfant sans l’aide de son compagnon d’origine argentine, Manuel (Juan Diego Botto, le réalisateur), pour l’heure manœuvre sur un chantier, qui rêve de retourner dans son pays d’origine, l’Argentine, pour échapper au triste sort de son couple : ce dernier va être expulsé de son appartement car il ne peut, malgré les âpres négociations d’Azucena, rembourser leur emprunt auprès de l’établissement bancaire préteur …

Teodora (Adelfa Calvo), une femme âgée, vit solitaire, angoissée, dans son appartement. Elle téléphone sans cesse à son fils German (Font Garcia), compagnon de travail de Manuel : il ne répond pas aux appels angoissés de sa mère. German l’a ruinée en lui empruntant de l’argent, qu’il ne peut rembourser. Teodora a perdu toutes ses économies et son fils …

Les trajectoires de Rafa, Azucena, et Teodora ont un fond commun, historique : « la bulle immobilière espagnole » (1999/2008) caractérisée par un fort endettement des ménages espagnols attirés par l’achat de logements à des taux d’emprunts bas sur une durée de 40/50 ans … mais à taux variable (97 % des emprunts !). Les nouveaux propriétaires à la limite de la solvabilité, sont devenus de fait, insolvables, leurs biens saisis par les banques et leurs dettes consolidées. 
Des dizaines de milliers de nouveaux propriétaires sont menacés d’expulsion. Des collectifs de citoyens naissent pour éviter cette catastrophe sociale. Rafa convaincu, milite pour ce combat ; Azucena déprimée, contre l’avis de son mari, devient membre d’un groupe féminin de contestataires ; Teodora épuisée, reste cloîtrée dans son appartement.

A contretemps, sur une durée de 24 heures, relate à la manière d’un thriller haletant, les trois intrigues parallèles qui se conjuguent vers la fin …

A contretemps est le premier long métrage de l’argentin Juan Diego Botto (47 ans) par ailleurs dramaturge et comédien (théâtre, cinéma, télévision) vivant en Espagne depuis son enfance. Pour le réalisateur et sa coscénariste, la journaliste enquêtrice Olga Rodriguez, A contretemps (En los margenes, en VO) est bâti sur deux points : « d’abord la question de l’impunité, avec cette lutte de l’être humain contre des institutions invisibles qui sont plus puissantes que l’individu. Et l’autre point, c’est le prix à payer pour cette lutte, le prix de l’activisme, pour ainsi dire, pour ceux qui essayent de changer les choses »
Le metteur en scène a opté pour une caméra nerveuse, portée à l’épaule, procédé qui surligne l’urgence des situations (courses en voiture et à pied, expulsions, manifestations, etc.). Le grain de la pellicule 35 mm donne une impression de documentaire sur des faits à la fois bruts et complexes. Excellent travail du directeur de la photo, Arnau Valls Colomer, qui « fabrique », dans des conditions peu propices (scènes sombres dans les rues, dans les appartements, etc.) une image toujours cadrée, juste, jamais neutre.

Les acteurs sont impliqués dans ces drames humains broyés par des « machines infernales » (les établissements bancaires) et inaccessibles (les différentes administrations). Luis Tosar (Rafa) est comme toujours convaincant dans son rôle d’avocat à la fois distrait (il est perdu dans la gestion du quotidien), et précis, tenace, dans le combat contre le « moloch ». Pénélope Cruz (Azucena), également coproductrice du film, démontre toute sa palette de comédienne sans aucun artifice de maquillage, de vêture, d’éclairages flatteurs.

A contretemps est un film sur la honte individuelle (Azucena, Teodora, Manuel, etc.) qui doit passer au collectif pour cesser de culpabiliser les individus désemparés. Un grand film sur le combat social, sans afféteries, ni mièvreries, pentes naturelles d’un certain cinéma très en vogue (nous ne citerons pas de noms !).

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