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Cinéma
Leila et ses frères (169’) - Film iranien de Saeed Roustaee
Leila et ses frères (169’) - Film iranien de Saeed Roustaee

| Jean-Louis Requena 686 mots

Leila et ses frères (169’) - Film iranien de Saeed Roustaee

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Des policiers casqués, armés de longs bâtons, chassent violemment des ouvriers d’une usine où travaille Alireza (Navid Mohammadzadeh). C’est l’expulsion violente pour fermeture de la manufacture sans salaires, ni indemnités de licenciement. Dans un salon esthétique féminin, Leila (Taraneh Allidousti) se fait vigoureusement masser son dos endolori. Nous sommes à Téhéran, capitale de la République Islamique d’Iran et mégalopole de 15 millions d’habitants. 

Dans un quartier populaire, un petit appartement en étage, auquel on accède par un ascenseur extérieur bricolé, vivent, dans un espace réduit, confiné, outre Alizera et sa sœur Leila, trois autres frères : Manouchehr (Payman Maadi) un filou invétéré, Parviz (Farhad Aslani) un père obèse de famille nombreuse, Farhad (Mohammad Alimohammadi) un culturiste un peu niais. A la tête de cette famille, règne discrètement le père, Heshmat (Saeeg Poursamini) « pater familias » aux cheveux gris, au physique frêle, apparemment effacé ainsi que sa femme (Nayereh Farahani). Dans cet espace clos, où il est impossible de s’isoler, naissent des chamailleries interminables entre les membres de la fratrie. On crie, on s’insulte longuement sans interruption : la promiscuité génère l’agressivité … verbale !

Heshmat, le père, plutôt mesuré poursuit, en secret, une chimère : devenir un parrain de sa communauté lors d’une cérémonie de « pré-mariage » d’un membre important de celle-ci. Silencieux, il manœuvre pour arriver à ses fins sans éventer par trop son secret : présider le temps d’une soirée l’échange rituel de cadeaux pour les futurs mariés …

Pour devenir parrain il faut faire un don important qui dépasse celui des autres candidats au parrainage. Or la famille d’Heshmat est sans le sou avec des « bras cassés » dans la maison surpeuplée … 

De surcroît, une grave crise économique sévit en Iran. Suite aux sanctions internationales, en particulier celles des États-Unis, la monnaie locale, le toman, est dévalué de jour en jour. Mais Heshmat s’obstine dans sa quête d’honorabilité : il veut être intronisé ! Leila, jeune femme forte, lucide, veille aux agissements sournois de son père sur fond de querelles familiales …

Leila et ses frères est le troisième long métrage de Saeed Roustaee (32 ans !) après La Loi de Téhéran projeté en France fin juillet 2021 (critique parue dans BasKulture) qui nous avait littéralement épaté par son propos, son style cinématographique, sur les trafics de drogue dans la capitale iranienne et le système répressif qui s’ensuit. 
Dans son dernier opus, le réalisateur et scénariste au talent de dialoguiste incontestable, décrit une famille au bord de la crise de nerf tant les querelles sont violentes, constantes, sur plus de deux heures quarante (2h49 minutes exactement !). 
Leila obstinée, au milieu de ses quatre frères plus ou moins lâches, accommodants, de sa mère résignée, tient tête au projet insensé de son père soumis à la règle des traditions ancestrales de sa communauté. C’est l’homme de cette famille qui s’enfonce dans le dénuement, la pauvreté. Aimer c’est crier dit-on. Leila magnifiquement incarnée par la comédienne Taraneh Allidousti ne s’en prive pas : elle affronte tout son monde !

Saeed Roustaee affirme dans ses interviews ne pas avoir connaissance de L’Avare de Molière (1622/1673) et du personnage d’Harpagon auquel fait penser irrésistiblement Heshmat, le père indigne et cupide. Le metteur en scène élevé dans sa jeunesse par sa sœur ainée a pris modèle sur elle et dit-il, dans les tragédies grecques et shakespeariennes. Il y a de plus mauvais modèles !

En juin 2022, le ministre iranien de la Culture et de l’Orientation Islamique (MCOI), Mohammad Mehdi Esmaïli, déclare le film interdit à la projection en Iran après que le réalisateur ait refusé de « corriger » son œuvre comme le ministère lui avait demandé. A noter que son précédent film La Loi de Téhéran a totalisé 2,5 millions d’entrées en Iran (où il y a peu de salles obscures !), et que ce pays peut s’enorgueillir d’obtenir, grâce à ses talentueux réalisateurs, de façon continue, de nombreuses récompenses dans les festivals de cinéma internationaux (Festival de Cannes, Mostra de Venise, Berlinale, Festival de San Sébastian, etc.).

Leila et ses frères a été présenté en sélection officiel au dernier Festival de Cannes d’où il est reparti bredouille, sans récompenses, malgré un accueil enthousiaste de la part de nombreux critiques. C’est fort dommage !

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