Dans un grand appartement, Louis (Melvil Poupaud) et sa femme reçoivent quelques amis. L’on frappe à la porte. Des gens veulent apporte leurs condoléances, suite au décès soudain en bas âge de Jacob, le fils de Louis. Le maître des lieux, furieux, leur interdit d’entrer et les chasse sans ménagement. Alice (Marion Cotillard) et Borkman (Francis Leplay) son mari, sont éconduits sans égard. Louis ne supporte pas la vue de sa sœur avec laquelle il est fâché depuis des années.
Cinq ans plus tard sur une route de campagne, Abel (Joël Cudennec) et Marie-Louise (Nicolette Picheral), le père et la mère d’Alice et de Louis, ont un grave accident de voiture. Ils sont hospitalisés, tous deux gravement blessés surtout Marie-Louise qui est dans le coma. Les enfants accourent au chevet de leurs parents y compris le plus jeune frère Fidèle (Benjamin Siksou). La haine, au fil du temps, s’est renforcée entre Alice et Louis. Elle est palpable au point qu’ils évitent de se rencontrer dans les couloirs ou les chambres de l’hôpital. Cette haine, enfouie au sein du « roman familial » de la famille Vuillard, semble inexpugnable.
Durant ces années, Alice est devenue une grande comédienne vouée à des rôles importants : en ce moment elle joue dans une pièce de théâtre qui est l’adaptation d’une nouvelle de l’écrivain irlandais James Joyce (1882/1941) the Dead, plus connue en français sous le titre Les Gens de Dublin (également film éponyme de John Huston, son dernier – 1987). Chaque soir une jeune fille roumaine, Lucia (Cosmina Stratan) l’attend à la sortie pour lui déclarer toute son admiration. Intriguée, Alice l’invite dans un café et finit par se confier à elle.
De son côté, Louis est devenu un écrivain reconnu qui vit au cœur des montagnes pyrénéennes dans un chalet qu’il restaure Faunia (Golshifteh Farahani). Loin de tout, immergé dans une nature sauvage, il parait heureux. Cependant, la haine qu’il semble prodiguer à sa sœur ainée, Alice, est toujours tenace malgré les recommandations de son ami Zwy (Patrick Timsit) un psychiatre juif, qui lui vient en aide dans des moments difficiles. Louis est à court de succès de librairie.
Entre deuil et souvenirs, les névroses familiales des Vuillard ne s’atténuent pas avec le temps …
Frère et Sœur (110’) est le douzième long métrage de fiction d’Arnaud Desplechin (61 ans) dont on sait depuis ses premiers pas, La Sentinelle (1992) que tout un pan important de sa filmographie a pour axe la famille dans tous ses états : Rois et Reine (2004), Un conte de Noël (2008), Trois souvenirs de ma jeunesse (2015), Les Fantômes d’Ismaël (2017). Dans son dernier opus, le metteur en scène, également coscénariste avec Julie Peyr, déconstruit savamment la trajectoire de la famille Vuillard en « lardant » son récit de courts flash-backs qui paradoxalement, n'éclairent pas l’histoire : il nous guide dans ses entrelacs intemporels.
Pourquoi tant de haine ? finira-t-elle un jour ? C’est un film sur le regard et sur l’enclos. Les deux protagonistes n’osent se regarder tellement ils se détestent (hôpital, supérette, etc.) ; ils évoluent dans des lieux clos souvent gorgés de souvenirs, de réminiscences (appartement des parents, hôpital, théâtre, bureaux, etc.). Pour ce long métrage, dur, âpre, le cinéaste est secondé au cadre et à l’image par son habituelle directrice de la photographie de grand talent, Irina Lubtchansky, fille de William Lubtchansky lui-même immense directeur de la photographie. C’est un enchantement visuel.
Arnaud Desplechin a choisi pour la troisième fois Marion Cotillard (Alice) après Comment je me suis disputé … ma vie sexuelle (1996), Les Fantômes d’Ismaël (2017) et pour la deuxième fois Melvil Poupaud (Louis) après un conte de Noël (2008). Les deux interprètes sont excellents dans leur registre de grands névrosés.
Frère et Sœur a été présente au Festival de Cannes 2022 en compétition officielle.