1 - Les Léon - papes, uniques et bien singuliers.
On retrouve désormais le quatorzième d'une lignée imposante de papes portant le patronyme de Léon, ou dans la mythologique antique et profane celle du lion. Les juifs convertis du temps des marranes espagnols portaient ce nom de Leon en espagnol, des lions de la foi, renforcée par les épreuves du temps et leur implication spirituelle.
Le premier cité est Léon dit le Grand, de 440 à 460. Il s'illustra lors du concile de Chalcédoine en 456 dans la rédaction de la doctrine chrétienne des débuts de la foi des premières communautés. Le Christ dans sa nature divine et humaine semblait difficile à accepter pour des esprits partagés entre deux cultures communes de leur temps, une mythologie proche de leurs origines païennes, et un baptême nouveau versé dans une spiritualité innovante pour leurs rites religieux. Grégoire Ier rencontra Attila, dit le barbare, en 452, qui menaçait de brûler Rome selon les chroniques du temps. Il connut bien des déboires, dans un univers guerrier où papes et soldats se tenaient par la main pour sauver la foi et le sol de leurs disparités.
Plus tard, Léon III, pape de 795 à 816, rapporte le couronnement de Charlemagne à Noël 800, une date facile à retenir que nos maîtresses répétaient pour travailler notre mémoire. En 799, une tentative de destitution survient, le pape fuit Rome, il est menacé d'être coupé en morceaux, et trouve refuge auprès des soldats de Charlemagne, comme relaté par l'histoire. Le glaive et la croix ont une postérité ancienne.
Vient ensuite le temps de Léon VIII, anti-pape de 963 à 965, du nombre des 40 existant dans l'histoire de l'Église depuis sa fondation. Le conflit entre l'empereur germanique et Jean XII est patent et sans merci. Chassé tout d'abord, puis de retour, le pape connaît des aller-retours incroyables, Jean XII et Léon VIII se disputent la chaire, la tiare et le règne de la foi sur cette terre romaine.
Les papes Léon se suivent mais ne se ressemblent guère. Le Pape Léon X est le mécène et le protecteur des arts et des beautés immatérielles de la ville sainte. Pape à 37 ans, issu de la famille des Médicis, l'art est dans les veines et le cœur de ce génie de l'extase. Pape de 1513 à 1521, il est le contemporain de Luther et chacun connaît le récit. Les relations entre ces deux esprits sont diamétralement opposées et peu conformées à la même vision de la foi chrétienne. Léon X croise Raphaël, Michel Ange et Vinci, et ces sujets très disputés des indulgences, tarifées de la foi et du ciel qui fit monter l'opposition du réformateur Luther parmi ses 95 thèses contestant ouvertement la doctrine telle que voulue par le pape pour l'Église. Luther est excommunié et l'Église se divise, se fracture et pour les siècles suivants. L'art et la doctrine ont ainsi connu des aléas tourmentés dans le passé, ne reniant rien de la grandeur transcendantale des intuitions de ce pape des Médicis, et de la pensée théologique du réformateur Luther, en germination.
Viendra encore dans ce dédale inattendu, le temps d'un aristocrate talentueux et diplomate avéré en la personne de Léon XIII de 1878 à 1903. Une époque de tension et difficile, particulièrement en France. On vit apparaître la doctrine sociale au cœur de la doctrine tout court, de la foi enserrée et de foi et d'action des chrétiens dans la vie civile.
Les frères Lumière filment pour la première fois l'homme en blanc mais en noir et blanc, disent les chroniqueurs en 1895. Léon XIII est un visionnaire mais comme tout homme décalé, il dérange et les royalistes dont il est issu et les libéraux républicains qu'il apprend à connaître, sans épouser leurs idées, mais sans les écarter.
A Bayonne on ne saurait oublier le propos du cardinal Lavigerie du toast d'Alger encore dans les mémoires des militaires aux premières loges qui entendirent un cardinal de "rouge sang" et d'éclat, avec une barbe missionnaire et légendaire, professer un changement de regard sur la république en France, de toute évidence avis bien partagé avec le pape Léon XIII comme pour tout cardinal en phase directe avec le pape régnant.
On ne parlait pas à l'époque de ponts et de passages ouverts entre des pouvoirs parallèles, aujourd'hui la terminologie empruntée par le pape élu évoque la paix ou le terrain des rencontres à venir. Lesquelles ?
D'autres Léon sont encore dans le récit. Léon II, homme de paix.
Léon IV érige des remparts pour protéger Rome, par des murailles contre les sarrasins. Rien de nouveau dans le ciel italique.
Quant à Léon IX, il connaîtra le temps des schismes entre l'Orient et l'Occident. Pape de 1049 à 1054, il correspond au temps du fameux premier millénaire que les historiens qualifient de troublé et plein de messianité perturbante pour la foi chrétienne.
Léon VI ne survécut que 27 jours à son pontificat et il fallut recommencer le conclave.
Léon XII fut un moine austère, il interdit le théâtre et les jeux aux fidèles. On imagine un tel interdit aujourd'hui ?
Le tout dernier sera Léon XIII dont un récit biographique mérite le rappel.
2 - Léon XIII, pape charnière de la fin du XIXème siècle
On le prénomme le pape intellectuel auteur de 86 encycliques des sujets les plus variés d'une papauté de 26 années.
Vincenzo Pecci né en 1810 mort en 1903, le 256 ème pape catholique dans un Vatican privé des Pontificaux mais doué d'un esprit supérieur. Il connaîtra la guerre de 1870. Elle n'aura rien à envier à celle de 14 après lui.
En évoquant ce pape on pense à Rerum Novarum 1891 et à la pensée sociale de l'Eglise qu'il enrichit de sa pensée et de sa philosophie. L'église doit selon ce pape exercer pleinement sa mission dans la société de son temps à l'adresse des travailleurs à qui être reconnu leur rôle et leur place en entreprise selon des règles équitables. Par le droit syndical, le droit de propriété et la libre entreprise qui mènent les activités pastorales des croyants dans la mission vitale de l'église en société partagée.
Un discours nouveau pour ce temps et ses ordres religieux et politiques peu préparés à l'entendre et le partager.
La justice sociale et l'observance des droits assurent la dignité de toute personne humaine, rapportait Léon XIII.
Les encycliques se suivent, dont celle sur le rosaire, deux nouvelles encore sur les scapulaires mariaux. Léon XIII issu d'une lignée aristocratique italienne reconnue détonne par son style et ses audaces. Mais les circonstances politiques entre Napoléon 1 er pour la France et l'Italie d'un père colonel de l'armée française situent et les enjeux et les ambitions menées entre les deux pays dans l'intérêt des peuples et de l'église.
Elève jésuite à Viterbe, ayant eu un autre frère jésuite, il est formé à la diplomatie dans une famille où les fonctions se partagent entre le pays et le Vatican. ou le service du Saint Siège.
Il est nonce à 27 ans, évêque à 32 ans, l'intuition de ce fonctionnaire de haute dimension fut de créer dans sa propre famille la première caisse d'épargne dite Société de crédit de la charité pour aider les ouvriers et les soutenir dans les difficultés.
Il sera élu pape à 67 ans, pour - disait-on - un temps de transition qui dura 26 ans, par 62 cardinaux et vécut jusqu'à 93 ans. Un esprit supérieur, diront les témoins de son temps. Son nom est attaché au concile de Vatican I et la guerre de 1848.
L'engagement de Léon XIII en faveur de la doctrine sociale de l'église n'est pas sans raison sociétale. La tension entre le marxisme et la pensée chrétienne se relève d'un cran, Karl Marx publie le Capital et les vues et options politiques entre les deux philosophies, la croyante et l'athée sont dissymétriques, et opposées. La lutte des classes ouvertement réclamée par K Marx et la doctrine chrétienne de la solidarité et de la charité ne s'accordent. Ni le socialisme individuel ni le libéralisme sans éthique sociale ne trouvent dans l'encyclique Rerum Novarum la faveur de Léon XIII. Le pape ouvrira les portes de l'étude et de la réflexion pour contrer l'influence d'une pensée athée, militante et hostile à l'église. Comprenez que le siècle en cours ne favorise les missions charitables de la chrétienté. Léon XIII renoue avec le thomisme, autour de l'Académie Saint-Thomas à Rome, des études bibliques, avec les méthodes de recherche de ce temps qui évolueront encore mais rappellent la volonté de ce pape d'être bien ancré dans l'esprit de son époque.
Pour résumer, on citera les débats savants et mémorables du cardinal Mazzella d'un côté et du Père Lagrange, dominicain aux premières places, pour apprécier la recherche biblique et les enseignements donnés par l'Église dans sa doctrine religieuse.
Léon XIII fut un pape social disent les commentateurs. Rien de ce qui toucherait l'Église en son corps et son esprit ne lui fut étranger. Les choses nouvelles - Rerum Novarum - touchaient les relations entre l'église et la société civile. Indéniablement les discordances existaient, il fallait y répondre.
Le thème du divorce fit l'objet de condamnation et singulièrement l'origine de tout pouvoir civil donc non religieux par le fait, retint en 1881 son attention par un texte qui demeure un document de référence. Un autre sujet attendu les relations entre l'Eglise et l'Etat en ces années tourmentées des deux côtés firent l'objet d'une réflexion importance de Léon XIII en 1885, comme la loi sur la liberté humaine en 1888, sont de premier intérêt bien que datés mais de leur temps.
En notant que Léon XIII parle de diverses formes de gouvernement en l'état du monde dont la démocratie, on se pense plongés dans notre monde actuel où ces thèmes sur le laïcisme des uns, le libéralisme des autres, le naturalisme et le socialisme, le communisme et l'athéisme sont des sujets prégnants de l'histoire de la pensée religieuse en France ou en Italie en ce début du XXème siècle.
En ces temps, les encycliques portant condamnation comme celle relative à la philosophie maçonnique paraissent absolues, en 1884 ou celle contre le modernisme tandis que la condamnation de l'esclavage et la traite humaine sont admises aujourd'hui, venant de la papauté romaine.
Léon XIII remit à la princesse Anabella, héritière du Brésil, "la rose d'or papale", signe distinctif pour l'engagement tenu par la princesse contre la traite esclavagiste humaine.
Ce pape fut aussi un pape marial engagé autour de l'Immaculée Conception, et le Sacré-Cœur. Il rédigea deux encycliques sur ces deux thèmes. Il permit l'ouverture des archives du Vatican pour encourager les études et recherches historiques.
Sur des questions relatives à l'éthique morale, il condamna l'avortement, et fut un résistant à l'éthique matérialiste du corps médical de 1884 à 1901. Une position militante d'un engagement chrétien de cette époque où se mêleront l'anticléricalisme et l'athéisme des uns, les expulsions des religieux de leurs écoles, en France dès 1900.
Rien de plus que le nihilisme de la pensée en Russie, où le marxisme pose ses fondations, dans l'anarchie et le communisme. Léon XIII ne craint pas l'ostracisme, il fonde douze basiliques mineures en France. Il fera l'objet de querelles anonymes portées par un comte du nom de Vasili démasqué comme un faux, des congrégations religieuses en France se diviseront sur sa position dans un esprit gallican pour les uns ou ultramontain des autres, proromains, mais Léon XIII, diplomate italien exercé et convaincu, développa la fonction et la place du Vatican dans l'Europe allemande, anglaise, française, autrichienne, au Royaume-Uni et en Espagne. L'homme est ferme et convaincu de son droit. Sa posture mènera jusqu'aux USA pour l'époque, condamnant "l'américanisme et le libéralisme et la pratique du pluralisme religieux à l'américaine" ?
Ce pape fut un témoin d'exception, et ceux qui retrouvent ce prénom patrimonial et historique du début du XXème siècle ne peuvent que présager de son influence sur le dernier des Léon, élu il y a peu et appelé au rayonnement universel ! Il est attendu, et la curiosité de l'église est en demande.