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Histoire
Zita, la dernière impératrice d’Autriche, au Pays Basque
Zita, la dernière impératrice d’Autriche, au Pays Basque

| Alexandre de La Cerda 1879 mots

Zita, la dernière impératrice d’Autriche, au Pays Basque

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Le "palais" Uribarren à Lequeitio ©
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Noël "impérial" à Lequeitio, 1925 ©
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La dernière impératrice d’Autriche, que l’on surnommait « la dame en noir » pour avoir porté le deuil de son époux l’empereur Charles, décédé sur l'île de Madère où la famille résidait après la chute de l’Empire à l’issue du premier conflit mondial, avait pu se réfugier en Espagne grâce au soutien du roi Alphonse XIII qui leur avait envoyé un navire pour les acheminer dans la péninsule. Il s'agissait du navire de guerre "Infanta Isabel" qui accosta à Funchal pour emmener à Cadix et Séville la famille impériale qui sera ensuite escortée au Palais du Pardo, près de Madrid, où Zita donnera naissance à sa plus jeune fille, l'archiduchesse Elisabeth, huitième de la fratrie. Le roi d'Espagne propose alors aux Habsbourg-Lorraine l'utilisation du palais Uribarria à Lekeitio, sur la côte de Biscaye. La famille marqua d'abord une étape à Saint-Sébastien où elle logea dans un palais de la rue Oquendo où se trouve aujourd'hui l'église des pères capucins. Sur une photo publiée dans un magazine parisien en mars 1922, on voit l'impératrice Zita avec la reine d'Espagne, Maria Cristina. Les enfants de l'impératrice avaient l'habitude de monter dans une sorte de bus mis à leur service par la Maison Royale d’Espagne pour aller jouer dans les jardins du palais Miramar qui conserve encore de nos jours, sur sa façade, l’aigle bicéphale des Habsbourg, et où l’ancienne souveraine d’Autriche allait prendre l’après-midi le thé avec la reine María Cristina.

"Adolfo, prends soin de la famille impériale" ! Par cette simple phrase, Alphonse XIII avait confié à Adolfo Urquijo une tâche à laquelle celui-ci consacra, disait-on, une bonne partie de son héritage et de celui de sa femme María, fille du Marquis de Mudela, fondateur des chantiers navals de Sestao près de Bilbao. Il avait, entre autres, mis à la disposition de l'impératrice Zita et de sa famille le palais Uribarren à Lekeitio qui avait été construit  en 1857 par José Javier Uribarren.

L'achat et les frais de rénovation du bâtiment avaient été pris en charge par une commission créée ad hoc, dont faisaient partie Wilhelm Wakonigg, consul honoraire d'Autriche-Hongrie (il en était originaire) et ingénieur des mines établi à Bilbao en 1906 (il fut membre de la Sociedad Bilbaina et périt pendant la guerre civile), ainsi que le comte Adolfo de Urquijo, celui qu'Alphonse XIII avait chargé de veiller sur ses hôtes (et parents) autrichens. Adolfo Gabriel Urquijo Ybarra, premier comte d'Urquijo, avait pour parents l'avocat Adolfo de Urquijo et Rosario de Ybarra Arámbarri. Elu président de la Diputacion provincial de Biscaye 1905, il s'honora de l'amitié du souverain espagnol. Comme son frère Julio, il s'intéressait beaucoup à la culture basque. Pendant son mandat de président de la députation de Biscaye, il avait déployé beaucoup d'efforts pour créer une Académie de la langue basque.    
Et beaucoup de Biscayens ignorent que c'est grâce au travail de restauration entrepris alors pour accueillir la famille d'Autriche que les lekeitiar peuvent maintenant profiter de ces aménagements : Munibe avec son parc de plus de soixante-dix hectares et l'ensemble des bâtiments auxiliaires, est aujourd'hui la propriété de la Diputacion (conseil provincial) de Biscaye, tandis que le Parc d'Uribarren, sur la plage Isuntza ou Ondarzabal, appartient au conseil municipal de Lekeitio.
Le 18 août 1922, l'archiduchesse Maríe-Thérèse et les enfants de l'impératrice Zita arrivèrent donc à Lekeitio à cinq heures et demie de l'après-midi, accompagnés du marquis d'Arriluce de Ibarra, Juan Tomas Gandarias et du maire de Portugalete, M. Otaduy, où "ils ont été accueillis avec enthousiasme par la population de Lekeitio et ses autorités". Le 21 août 1922, le maire de Lekeitio offrit à l'archiduchesse Maríe-Thérèse et à ses petits-enfants un thé auquel assistèrent également d'autres invités, le maire de Mendexa, Don Carlos Lozano Adan de Yarza et le curé de la paroisse. Le 22 août 1922, à neuf heures du matin, le train qui conduisait l'ancienne impératrice Zita à Bilbao entra dans Dos-Caminos ; de là, il se dirigea vers Lekeitio où une foule l'attendait à onze heures du matin. 

L'impératrice Zita, veuve avec ses huit enfants, a passé sept ans à Lekeitio, d'août 1922 à septembre 1929. Elle y a organisé les études de ses enfants, pour lesquelles elle était très exigeante. A cette petite cour en exil composée de membres de l'aristocratie et d'anciens hauts fonctionnaires ou militaires autrichiens s'étaient jointes des personnalités de Lekeitio comme Ignacio Arámbarri, Santiago Acordagoicoechea et le personnel au service des exilés. Le personnel au service de l'impératrice résidait pour partie dans une maison annexe du palais, de l'autre côté de la route d'Ondarroa, ainsi que dans d'autres maisons - comme «Echezábal» -  qui avaient été louées, mais la plupart de ceux qui résidaient de façon permanente ou occasionnelle dans la Villa séjournèrent à l'hôtel Beitia.
Le fils aîné de l'impératrice, l'archiduc héritier du trône Otto de Habsbourg, était adolescent lorsqu'il arriva dans le petit port biscaïen. Il fit ses études secondaires sur place, puis universitaires à Louvain, quand la famille quitta Lekeitio. 

De nombreux témoignages sur le séjour des augustes hôtes
Selon Jose María Areilza, le futur ambassadeur (et par la suite, premier ministre des Affaires Etrangères du roi Juan Carlos), qui avait oeuvré comme traducteur grâce à sa connaissance de l'allemand : "Alors que le palais Uribarren, à Lequeitio, était en cours d'aménagement, les Habsbourg ont passé quelques mois entre Saint-Sébastien et Lequeitio, en commençant par rester quelques jours dans un hôtel de mon village, Portugalete. L'impératrice Zita était alors une femme dans la trentaine, jeune, svelte, vêtue d'un deuil rigoureux, avec ces chapeaux-cloche préconisés par la mode parisienne à cette époque. J'ai admiré la finesse de son cou, et la fermeté inscrite dans son regard sombre, révélant une volonté de fer. Mon rôle d'interprète m'a valu la sympathie immédiate des voyageurs. Ils m'ont questionné sur le village, l'horaire des messes, les heures des repas à l'hôtel et l'utilisation du téléphone, des plages disponibles pour la baignade. Le fils aîné, Otto, grand et quelque peu désinvolte, arborait une chevelure dense et bouclée. Sa sœur Adélaide était une jeune femme très belle, et ses frères et sœurs plus jeunes, un groupe d'enfants émerveillés et heureux qui jouaient allongés sur le sol du salon de l'auberge.
J'ai parcouru avec Otto le port et l'estuaire en automobile. Nous avons fait plusieurs excursions dans les villes voisines et affronté les vagues sur les petites plages du lieu. Nous sommes allés toute une journée à Bilbao pour faire des emplettes et assister à une partie de pelote. J'ai gardé une bonne amitié avec lui, maintenue au fil de nos chemins de vie divergents".
Jose María Areilza demandera plus tard à l'archiduc Otto s'il n'avait pas oublié l'espagnol qu'il avait commencé à apprendre à Portugalete : "l'euskara non plus", lui répondit l'archiduc, "mes jeunes amis me l'avaient appris à Lequeitio pendant les heureuses années que j'y ai vécues".

L'impératrice était une mère préoccupée par l'éducation de ses enfants qui disposaient de précepteurs autrichiens et anglais. Dans le chapitre consacré à Lekeitio de l'album commémoratif de l'Année Sainte, Job Banhegyi, l'abbé hongrois de l'abbaye de Pannonhalma, relatait les deux mois qu'il avait passés comme tuteur des enfants impériaux. Après avoir décrit la chapelle de la maison, l'atmosphère catholique de maison royale et l'image de Saint Etienne offrant sa couronne à la Vierge, les sentiments de l'héritier, alors âgé de 13 ans, le bénédictin qualifie Lekeitio de sanctuaire : "sur les rives du golfe de Gascogne, sur la côte de l'océan Atlantique, nous les Hongrois avions un nouveau lieu de pèlerinage où nous méditions avec espoir, amour et angoisse..."
Géza Vizmathy, trésorière municipale de Szombáthely, racontait qu'en août 1925, les pèlerins pleuraient "avec une grande angoisse et une profonde émotion" devant la vision "divine" de "la triste dame vêtue de noir enfermée dans son chagrin comme une Vierge douloureuse, avec son visage triste et ses yeux noirs", et les "orphelins sans père et sans-abri qui, tels les anges de Murillo, descendent les escaliers". Après une réception informelle avec Zita, ils étaient revenus au crépuscule rejoindre la famille pour assister à une messe et chanter en hongrois. "La majestueuse dame et ses enfants, qui tenaient les textes dans leurs mains, chantaient et pleuraient avec nous lors de l'interprétation des hymnes qui déchiraient le ciel".
Et lorsque les enfants descendaient à la plage pour se baigner, "l'impératrice les observait depuis les jardins, leur indiquant au son d'un sifflet quand il convenait d'entrer ou de sortir de l'eau".

Très pratiquante, Zita avait participé anonymement aux pèlerinages de Lourdes et du Christ de Limpias (près de Santander). Leur demeure à Lekeitio disposait d'une porte d'accès à la basilique de l'Assomption de Notre-Dame et Zita assistait à toutes les processionscélébrées dans la ville : Semaine Sainte, Fête-Dieu, même celle du "Jour de l'Arbre", y prenant une part active, plus par foi que par obligation protocolaire, derrière les autorités locales.
La municipalité de Lekeitio et la population avait certes immédiatement compris la notoriété et le prestige que lui conférait, même au niveau international,  la résidence de la famille impériale et regrettera son départ ; quant à l'impératrice, elle reconnaîtra toujours que «sans aucun doute, les sept années les plus heureuses de mon long exil de 67 ans ont été les sept que j'ai passées à Lekeitio».
Car, en 1929, certains de ses enfants approchant l'âge des études universitaires, l'impératrice rallia en septembre la ville belge de Steenokkerzeel, près de Bruxelles, où elle retrouva quelques proches et membres de sa famille.

Pendant la guerre civile, le palais de l'impératrice Zita abrita un hôpital de la Croix-Rouge, avant d'être incendié, dévasté et pillé par les rouges. Ignacio de Arámbarri Aguirreamalloa, administrateur de la famille impériale autrichienne à Lekeitio, déclarera plus tard qu'avant l'incendie du palais de l'impératrice Zita, "il avait été proposé et accepté qu'un hôpital de la Croix-Rouge puisse être établi au rez-de-chaussée, le reste des chambres étant scellé et préservé. Suite à l'exécution du consul autrichien, Don Guillermo Wakonigg, toutes les chambres à l'étage avaient été investies sur ordre du comité rouge, après l'expulsion de l'administrateur, Mme Albine Stohr, épouse du déclarant et de nationalité autrichienne. Plus tard, elles furent pillés par le personnel de santé en charge de l'hôpital, des pillages qui se sont poursuivis pendant toute la durée d'occupation du palais. Le 27 avril, tous les objets de valeur qui pouvaient être emportés furent chargés dans divers camions, puis le palais fut incendié et réduit en cendres. Parmi les objets les plus intéressants et les plus précieux qui s'y trouvaient et qui ont disparu dans le pillage ou dans l'incendie, figuraient : les meubles personnels et les vêtements de la famille impériale d'Autriche-Hongrie ; tapisseries, peaux, argenterie, tulle, dentelle ; de nombreux portraits des Habsbourg, des calices, un harmonium avec partitions et livres de musique ont également été perdus ; la bibliothèque avec 3 000 volumes ; argent sculpté et bijoux. Mis à part sa valeur artistique intrinsèque, le palais avait une valeur historique extraordinaire, ayant été la résidence de la reine Isabel II avant l'impératrice Zita. Aujourd'hui sur son site se trouve l'Hostal de la Emperatriz. Certains actifs du palais avaient été transférés à Bilbao sur ordre du gouvernement basque"... 

Alexandre de La Cerda 

Légendes :

- Toute la famille réunie sur la plage de Lequeitio

- Noël impérial à Lequeitio en 1925

-  Le palais Uribarren, résidence de la famille impériale d’Autriche

 

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De Mora-Gayon Melodie | 02/05/2020 08:28

comme toujours , les textes de Monsieur de la Cerda sont riches , et il est très instructifs de les lire

Alexandre de La Cerda | 07/05/2020 16:24

Merci beaucoup, très sensible à vos encouragements, Amitiés, ALC

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