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Portrait
Yves Bouillier, violoncelliste et chef d'orchestre : "le vélo, la route du bonheur"
Yves Bouillier, violoncelliste et chef d'orchestre : "le vélo, la route du bonheur"

| Yves Bouillier 1071 mots

Yves Bouillier, violoncelliste et chef d'orchestre : "le vélo, la route du bonheur"

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Yves Bouillier ©
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 La « Petite Reine » a vécu d’innombrables perfectionnements et accompagné bien des évolutions sociales. De la « draisienne » inventée il y a deux siècles au vélib et vélo électrique d’aujourd’hui, l’idée principale n’a pas beaucoup changé : deux roues, un pédalier, une selle, un guidon, la dynamique du cycliste...

On ne peut évoquer le vélo sans parler de soi. Le vélo fait partie de l'histoire de chacun de nous. Son apprentissage renvoie à des moments particuliers de notre enfance, et les premières sorties avec les copains nous replongent dans notre adolescence. A travers le vélo, chacun a découvert un peu de son corps, de ses capacités physiques et a surtout fait l'épreuve de la liberté. Parler de ma bicyclette, c 'est fatalement évoquer des souvenirs (voyez « Premiers émois musicaux : Yves Bouillier, violoncelliste et chef d’orchestre » dans notre « Lettre » du 3 avril 2020, ndlr.).

Deux d'entre eux me viennent immédiatement en mémoire.

1980, un dimanche matin de juin, la ville d'Arras se prépare à recevoir le traditionnel critérium (course cycliste). Très tôt, les routes sont déjà bloquées par les barrières de sécurité et le sol a littéralement changé de couleurs à cause des noms des coureurs peints tout le long du parcours. Les voitures publicitaires et les véhicules portant les vélos arrivent de partout, le chef- lieu du Pas-de-Calais devenant ainsi pour moi la capitale pour la journée. Mon grand-père maternel, proche du monde du cyclisme, m'y emmenait chaque année ; il connaissait personnellement certains coureurs ; ceux-là mêmes que je supportais en criant leur nom dès qu'apparaissait le long serpentin coloré qui avançait à vive allure. Je voulais être parmi eux, rouler avec eux, faire partie du peloton, « frotter les roues » ; je les encourageais, et en même temps, je rêvais de les affronter, de les distancer... Je n'avais alors qu'une dizaine d 'années.

1985, j'ai 15 ans ; et mon vélo est mon second compagnon, le premier étant mon violoncelle. J'habitais à Mont-Saint-Eloi, un petit village posé en haut d 'une butte surplombée par les ruines des tours d'une abbaye du XIème siècle détruite pendant la guerre de 14. C 'est sur ces routes de campagne du nord, du plateau d'Artois, que j'enfourchais régulièrement mon vélo, tel un cavalier pour m'évader et rencontrer la nature. Mon vélo me permettait de surprendre les animaux, d’entendre mieux la musique des paysages que je traversais, de mieux sentir les odeurs, et ressentir frémir le vent sur ma peau. Tous mes sens étaient exacerbés. La découverte du monde ne pouvait se faire que seul, et en pédalant... C’est à ma bicyclette que je dois mes premiers étonnements de la vie au grand air, mes premiers ravissements, mes premières sensations d’espace, de liberté et d 'évasion. Et j'avais le sens du vélo comme j'avais l'oreille musicale. J'adorais rouler... Le vélo développe l'initiative, l'énergie mais aussi la patience et l'endurance. Je pense aussi à ces routes du nord chargées d'histoire, l'histoire de la guerre qui avait défiguré 70 ans plus tôt mon village et d'autres villages voisins ; citerais-je notamment Neuville Saint-Vaast, située à 2 kms de chez moi, dont Lucien Durosoir, compositeur et grand violoniste, qui était au front durant toute la Ière guerre mondiale, fait allusion dans ses lettres envoyées à sa mère en juin 1915 ? Ces routes au bord desquelles on trouve maintenant nombre de cimetières militaires et mémoriaux, stèles et autres monuments qui honorent les hommes morts au combat. Hasard ou coïncidence ? Si j'avais su que je jouerais trente ans plus tard un des quatuors de Durosoir, au côté de Luc son fils ; cette musique viscéralement imprégnée des horreurs de la guerre, de la difficile vie de soldat et des combats durs et meurtriers qui s'étaient notamment déroulés dans mon village et sur les routes que j'empruntais régulièrement.

Depuis que j'ai 24 ans, musicien professionnel sur la Côte Basque, je suis devenu par ailleurs « vélomane » en étant un adepte du cyclotourisme, et plus particulièrement du cylo-camping. Je pars régulièrement durant une semaine, seul avec mon vélo, ce dernier chargé comme un chameau, pour découvrir les régions de notre belle France. Il me semble que l'on apprend mieux la géographie de son pays par le cyclotourisme que par les manuels scolaires ou guides touristiques. Et le vélo est devenu pour moi un art de vivre et de découverte. La Bretagne, le Jura, la Provence, le Lubéron, le Lot et le Quercy, les volcans d'Auvergne, les mythiques cols alpins... De belles parenthèses cyclotouristiques qui m'ont permis de m'approcher de ces régions, d'en savourer les paysages, leurs couleurs, leurs odeurs, leurs reliefs, et admirer les trésors d’architecture des maisons et des églises. Ces périples sont bien sûr aussi un vrai moyen de changer d'air, de débrancher et se retrouver seul avec soi-même, dans l'effort et l'endurance.

Je placerais au-dessus des autres ce que dans le monde des cyclos on appelle le fameux Raid Pyrénéen que j'ai effectué il y a vingt ans : 880 kms, 21 cols, et surtout le fait de joindre la Méditerranée à l'Atlantique par la chaîne pyrénéenne. Quel plaisir de traverser les Pyrénées Orientales, l'Ariège, puis les Hautes-Pyrénées et les Pyrénées-Atlantiques en appuyant simplement sur les pédales et en faisant tourner les jambes. Ce parcours nous permet de franchir à plusieurs reprises - mais sans s'en rendre vraiment compte - les arbitraires frontières entre la France, l'Espagne et l'Andorre. Un périple montagnard qui m'a procuré d’immenses émotions ; émotions du grand air, des grands espaces, spectacles de la nature et des Pyrénées, sympathiques rencontres avec des villageois pyrénéens, et il m'a également procuré de saines fatigues.

Il y a quelques jours, je partageais avec ma fille Capucine une parenthèse périgourdine. Une semaine en cyclo-camping dans le Périgord Noir : Des Eyzies de Tayac à Montignac, en passant par Sarlat... Découvrir les cités troglodytiques et autres villages perchés tels que Roque-Gageac, village périgourdin situé entre rocaille et Dordogne. Découvrir les trésors que sont les églises romanes et des villages de rêve comme Saint-Léon sur Vézère, Limeuil ou Domme. Le temps également de découvertes culturelles et historiques avec la visite de la grotte de Lascaux ou encore du Gouffre de Proumeyssac.

On peut rêver en imaginant que les transports en commun et le vélo seraient les seuls moyens de déplacement dans les villes. Le bon air y régnerait, l'égalité et le contact entre les usagers serait favorisé. Et pour ceux qui l'ignorent, l'anagramme de VELO est LOVE !

Yves Bouillier

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Marc Ollivier | 26/07/2020 08:05

Salut Yves ! , Superbe texte, qui exprime très bien ce que l'on peut ressentir sur un vélo. Il y a quelques années, j'avais écrit un texte sur ma première ascension d'un col de montagne (c'était le col des Aravis), et sur ma première montée de l'Alpe d'Huez, le lendemain précisément de l'étape folle du TdF 2013 qui avait vu la double ascension de l'Alpe avec redescente par le col de Sarenne. Merci pour ce texte, dont je partage profondément l'esprit et les valeurs évoquées. Le vélo est mon moyen de transport quotidien pour aller bosser : 23 km tous les jours, depuis 3 ans. En tant qu'ingénieur de formation, j'avoue que j'aime aussi les belles machines, et j'ai toujours un peu de mal avec un vélo trop chargé (c'est pour cela que je pratique pas le vélo-camping), je me limite a des sorties sur 1 ou 2 jours maxi, en zappant la nuit... J'espère qu'un jour, on aura l'occasion de partager une sortie à vélo ensemble. Je dois toujours passer voir ma frangine qui a une maison à Anglet, je te fais signe si je suis dans le coin. Idem pour toi, si tu as l'occasion de passer en vallée de Chevreuse. Je te trouverai un vélo, pas de soucis, il y en a un stock à la maison ...

Lomné Luis | 28/07/2020 00:27

salut maestro, aussi a l'aise avec un stylo qu'avec une baguette, et apparemment avec un vélo.... superbe declaration d'amour pour une discipline saine et écologique. A quand un spectacle musical sur ce moyen de transport et de rêve ??? Quand on partait de bon matin, etc etc 🎶🎶🎶

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