0
 
Une garbure sur la table royale à Versailles grâce à la bayonnaise Montansier
Une garbure sur la table royale à Versailles grâce à la bayonnaise Montansier

| Alexandre de La Cerda 716 mots

Une garbure sur la table royale à Versailles grâce à la bayonnaise Montansier

C'est l'histoire extraordinaire de la fille d'un épinglier - puis forgeron - bayonnais, Marguerite Brunet, dite « La Montansier » : elle était née le 18 décembre 1730 au n°41 de la rue des Faures (haures ou forges en gascon), cette petite voie dans le Bayonne moyen-âgeux où l'on ne comptait pas moins d’une dizaine de forges en 1266, qui produisaient des ancres pour la flotte qui naviguait au service du Roi d’Angleterre, mais également des cuirasses, des arbalètes, des catapultes et autres machines de guerre, ainsi que ces fameuses dagues adaptées aux mousquets, à l’origine de l’invention de la « baïonnette » à la fin du XVIIe siècle

On  la disait très audacieuse et quelque peu intrigante… Elle avait tâté du pavé parisien et d’un séjour à la Martinique avant de s’improviser comédienne à Versailles où un théâtre porte encore son nom. En 1768, elle enthousiasma la reine Marie-Antoinette et une Cour alors écologiste avant l’heure avec une garbure qu’elle fit servir au cours d’un concert « champêtre » : elle eut alors l’intelligence de « réserver la part de la Reine » :

« Ce soir-là, dans la petite salle pleine de spectateurs, tous les yeux amusés étaient tournés sur la scène, attentifs à cet épisode des "Moissonneurs" (*) où la soupe était trempée et servie aux paysans. C'était une vraie soupe aux choux, une de ces appétissantes garbures dont les ménagères de Gascogne avaient le secret. Comme le parfum en emplissait soudain la salle, la Montansier, aux aguets dans les coulisses, entendit d'une loge grillée : "Ah ! que ça sent bon !" 
Nul doute, c'était la Reine. Quel succès !
La directrice avait prévu le mot : cette note de réalisme champêtre ne pouvait manquer de plaire à la jeune souveraine et à ce Versailles alors engoué de vie rustique. Mais où la Montansier, payant d'audace, acheva sa victoire, ce fut de faire savoir à sa Majesté "qu'on avait réservé la part de la Reine", et Marie-Antoinette accepta ! » 

Une destinée extraordinaire sous l'égide de la Garbure

Les Moissonneurs comédie en trois actes.jpg
"Les Moissonneurs", comédie en trois actes ©
Les Moissonneurs comédie en trois actes.jpg

Grâce, sans doute, à sa Garbure savoureuse, la Montansier faillit devenir impératrice en séduisant le futur empereur des Français Napoléon Bonaparte auquel elle fut fiancée en 1798 ! Celle qui avait introduit sur la scène ainsi que sur les tables royales et impériales l'appétissante soupe aux choux et au « chamango » (personnellement, j'y ajoute du confit d'oie) devait vivre presque nonagénaire.

Une plaque rappelle sa naissance au n° 41 de la rue des Faures. Extraordinaire personnalité que celle de cette Bayonnaise devenue une « femme d’affaires » et dont la vie est une longue suite de péripéties : une fugue, à l'âge de quatorze ans, lui fait quitter la pension des Ursulines à Bordeaux pour s'embarquer vers l'Amérique avec une troupe de comédiens, devenir la maîtresse de l’Intendant de la Martinique et s'établir marchande de mode à Saint-Domingue.

Notre aventurière bayonnaise retourne ensuite à Paris où elle s'installe chez une tante par alliance, Mme Montansier, marchande de mode à laquelle elle empruntera son nom de scène, Montansier. L’ouverture d’un salon de jeux rue Saint-Honoré, fréquenté par la jeunesse dorée, lui permet de faire son entrée dans la haute société. Passant du monde de la galanterie parisienne à celui du spectacle, elle embrassa une carrière théâtrale qui aboutit à Versailles où elle avait obtenu grâce à sa liaison avec le marquis de Saint-Contest la direction d'un petit théâtre rue Satory à Versailles. Après s’être attiré, avec sa garbure, les bonnes grâces de la Reine, on lui accorda le privilège des spectacles, puis de la Cour et, enfin, la construction d’un théâtre digne de ce nom… Et de son nom ! C’est en 1777 qu’eut lieu l’inauguration avec faste par Marguerite Brunet, dite « la Montansier », en présence de Louis XVI et Marie-Antoinette, du « Grand Théâtre » de Versailles. 

Ainsi, naquit le « Théâtre Montansier », un des plus beaux fleurons de la culture et de l’architecture versaillaise... qui avait bénéficié du fumet de la Garbure !

(*) "Les Moissonneurs", comédie en trois actes et en vers, meslée d'ariettes... par  Charles-Simon Favart (1710-1792) [et C.-H. de Fusée de Voisenon]. La musique est du compositeur italien Egidio Duni. Représentée pour la première fois par les Comédiens italiens ordinaires du Roi, le 27 janvier 1768.

Répondre à () :

| | Connexion | Inscription