« Toi qui blanchis tous les chemins ; toi qui lias @Les hivers aux printemps par des camélias, @Et qui mets une rose au bord de chaque averse ; @Toi qui sais fabriquer tout un tapis de Perse, @[…] @Pays mystérieux, et qu'on ne peut pas plus @Comprendre que les mots qui sortent de ta lèvre ; @Pays qui sait donner et le calme et la fièvre, @Car il fait chavirer les cœurs sur l'horizon @Autant qu'il fait pencher les toits de ses maisons ; @Pays de rêve, de misère et de folie, @Si beau qu'on ne peut plus l'oublier de la vie, @Plus beau que Naples même où l'on prétend mourir. @Trop beau pour que jamais on puisse y revenir ! » @« Le Pays Basque », L'Arc-en-Ciel , Mme Rosemonde Gérard, 1926.
1. Quitter Navarrenx
« Les Pyrénées laissèrent dans les cieux
Couler (1) » l'hiver en longs nuages bleus ;
Montait une brume où dansaient les nuées,
voilant d’un doux rideau leurs neiges éloignées.
Je quittais Navarrenx, l’hiver au bord des pas,
Franchissant le Saison, frontière d’ici-bas ;
Son murmure discret coulait sans se hâter,
Mêlant l’adieu discret à l’espoir retrouvé.
Aux berges du pays qui s’éveille en secret,
J’entendis frissonner la sève sous mes pieds,
Les bourgeons encore clos rêvaient d’autres couleurs,
Comme un feu qui attend de réveiller les fleurs.
Tout semblait chuchoter : bientôt viendra le jour,
Le soleil hésitait, doux et sans aucun bruit ;
La terre s’éveillait lentement à l’amour,
Comme un cœur hésitant au seuil d’un nouveau fruit.
Les montagnes au loin, dans l’air silencieux,
Respiraient lentement sous un ciel radieux ;
Pays basque, ton nom vibrait déjà en moi,
Entre l’hiver qui part et le printemps qui croit.
J’avançais doucement, pèlerin d’infini,
Recevant dans mes pas chaque instant comme un don ;
La beauté me parlait dans son plus simple habit,
Le cœur ému d’entrer en terre de pardon.
2. Entrée au Pays Basque
Je suis parti d’Aroue au clair matin,
Le ciel s’ouvrait sans bruit, le pain était fin.
Les collines semblaient d’un monde ancien,
Où chaque pas redit ce qui s’éteint.
Le vent parlait plus bas que d’habitude encor,
Et dans les bois veillait le silence du corps.
Une lumière ambrée effleurait les nues,
Comme un fruit mûr sur des lèvres inconnues.
Je descendais vers Ostabat, à flanc, @Le cœur pesant, les yeux tenus longtemps. @Hart-Mixe s'est dressé dans le silence, @Forteresse oubliée d'une présence.
La mousse était plus douce que la veille,
Les branches s’inclinaient comme une oreille.
Et la chapelle, au bord d’un pli perdu,
Laissait passer un souffle ingénu.
Un chien m’a vu, dressé sur le chemin,
Il s’est jeté vers moi, crocs dans la main.
Mes bâtons nus ont fait barrage au cri,
Il s’est figé, puis lentement a fui.
Mais quelque chose alors s’est déchiré,
Un fil très vieux qu’on n’ose approcher.
Une couleur m’a pris, un peu dorée,
Comme un regard qu’on croit avoir rêvé.
J’ai continué, les yeux lourds de lumière,
Le monde s’était fait chair passagère.
Les collines brillaient d’une joie étrange,
À faire croire au cœur qu’il se dérange.
Tout, dans ce jour, parlait sans se livrer.
Une courbe, une pierre, une vallée.
Le vent tenait sur moi je ne sais quoi,
Un peu de peau, un souffle, ou bien une voix.
Et sans un mot, le ciel s’est refermé,
Comme une main sur un secret aimé.
Je n’ai rien dit - mais tout m’a traversé.
Ce jour tenait plus qu’un cœur peut espérer.
3. Saint Jean-Pied-de-Port : dialogue d’échos
« Et pourtant, il y a la Porte Magique. »
Cristina Campo, « Hommage à Borges », Les impardonnables, 2023.
I .
Je vins par les sentiers d’herbe courte et de pierre,
Par Bussunarits, humble et penché vers la terre.
Chaque pas arrachait un soupir au talon,
Comme un fruit trop mûr qui cède sous le bourdon.
Le vent avait mordu l’écorce des collines
Et les troupeaux semblaient des pensées en ruine,
Dispersées sur les pentes, lentes et rêveuses,
Mêlant au ciel d’hiver leurs formes terreuses.
Je passai près d’un bois noirci par les orages,
Où l’on croirait entendre encor gronder les âges.
Puis soudain la lumière, au détour du sentier,
Se fit plus dense, comme un vin versé l’été.
Alors, sous moi, tassée entre des reins de pierre,
Saint-Jean s’offrit, sévère, et pourtant familière.
Je la vis s’enrouler autour de son clocher,
Et de la Nive, sombre et rapide à trancher.
Mon talon gauche portait, tel un clou dans la chair,
L’ampoule rouge et vive, offrande à la poussière.
J’en sentais le battement profond, presque pieux —
Comme un cœur suspendu au seuil silencieux.
La ville approchait. Je descendis sans fête,
Pas à pas, l’âme droite, et la tête offerte.
Et sous l’arche de pierre, gardienne du pardon,
Je sentis que finir, c’est frôler l’horizon.
II.
Je suis venu bien après lui.
Lui, Francis Jammes (2), voyait les mules,
Les bouges, les danseurs aux mollets durs, aux gestes nus.
Moi, j’ai levé les yeux, j’ai vu le ciel en flamme,
Entre l’or et le rose,
L’aurore semblable à la chair d’abricot —
Un fruit dans l’air, offert sans qu’on le réclame.
Lui parlait de fête, de tambours et de vin.
Moi je marchais, talon battant, front serein.
Mais nos deux voix, crois-tu, ne font-elles qu’une trame
Au seuil de cette ville qui ne dit rien,
Et pourtant vous regarde —
Comme une femme.
Le Marcheur
Ville haute et tassée sous ton ciel sans nuage,
Je suis venu vers toi chargé d’un long voyage.
Il ne pleuvait pas, il faisait simplement beau,
Et l’air déjà goûtait au fruit du renouveau.
Francis Jammes
« Ville grise comme un fromage de brebis ;
Ville épaisse et cintrée ainsi que le pain bis ;
Ville fruste où la mule espagnole aux glands rouges
Stationnait longtemps à la porte des bouges ; »
Le Marcheur
Pas de mule espagnole aux oreilles farouches,
Mais le souffle enfermé d’une invisible bouche.
Du ciel plus que des champs, et des volets fermés,
Comme des paupières prêtes à s’être aimées.
Francis Jammes
« Ville qui n’a voulu pour sauvage miroir
Que cette Nive abrupte et pleine d’entonnoirs ;
Ville sur qui l’azur même paraît solide ;
Ville où les vins jamais ne laissent l’outre vide ; »
Le Marcheur
La Nive, sous le pont, n’avait rien de farouche :
Elle glissait, ténue, sur sa langue de roche.
Et dans cette lumière, droite comme un flambeau,
La ville me semblait un passage, un berceau
Francis Jammes
« Ville compacte où le négoce fait trafic
De ce que peut cacher le manteau bleu des pics ;
Je me souviens d’un jour de fête, sur la place
Dont un rideau de peupliers bouche l’espace, »
Le Marcheur
J’entrais par les sentiers, la jambe un peu fléchie,
Avec au talon gauche une rose flétrie :
Cette ampoule vive, mémoire de la route,
Me battait dans le pied comme un reste de doute.
Francis Jammes
« Et de l’habileté de danseurs souletins.
Imposant au cheval son rythme, Constantin
Développait autour de lui la nébuleuse
Des volants de dentelle aux courbes gracieuses, »
Le Marcheur
Je ne venais pas danser comme Constantin
Mais j’avais dans les os le rythme d’un matin
Où l’âme va plus loin que le corps ne le pense,
Et sent, dans chaque pas, poindre une délivrance.
Francis Jammes
« Et, sous la mitre en fleurs, son masque de romain
Respirait la beauté puissante et le dédain.
Sous les bandes de cuir et sous les bas de laine,
Les mollets étaient gros et la cheville pleine, »
Le Marcheur
Mais toi, Saint-Jean, dressée entre mur et clocher,
Tu n’as pas vacillé, tu n’as pas cherché
À paraître plus douce ou plus belle ou plus tendre :
Tu étais là. Il m’a fallu te comprendre.
Francis Jammes
« Et ce qui me frappait était cette lourdeur
Qui le faisait planer à de grandes hauteurs.
Le chirula se tut, et l’instrument à cordes
À quoi le cavalier et les satans s’accordent.
Et, quoique ce jour-là fût éclatant, ton fort
Te couvrait de tristesse, ô Saint-Jean-Pied-de-Port. »
Le Marcheur
Je n’ai pas vu de fête, ni de danse enivrée,
Mais le calme éclatant d’une ville inspirée.
Tu n’avais plus ce masque aux plis de majesté,
Mais tu gardais, très bas, une sévérité.
Tu me disais sans mots, dans ta pierre en repos :
"Je suis la fin d’un monde. Mais pas celle de tes mots."
4. Une déclaration d’amour
« Tout ce vers quoi l’on part pour le retrouver,
Fût-ce au péril de sa propre vie, comme la rose de la Belle en plein hiver. »
Cristina Campo, « Le parc aux cerfs », Les impardonnables, 2023.
« Je t’aime, Pays Basque aux cent mille surprises !
Toi qui ne dis jamais d’avance si ta brise
Sera fraîche ou sera brûlante comme un feu ;
Toi qui peux tout ce que tu rêves ; toi qui peux,
Avec ta lèvre rouge et ta tempe pâlie,
Être fou sans Espagne et beau sans Italie ;
Toi qui possèdes tous les ciels qu’on a chantés ;
Toi qui n’es jamais toi … » (3)
I. Mais ce pli de colline
Ravive en moi l’odeur d’une boucle fine.
Je ne dis rien. Je marche. Et pourtant chaque pas
Me parle d’une peau que je ne touche pas.
Ta lumière est d’ambre, et ton vent me caresse ;
Il me frôle le front comme une voix qui tresse.
Dans chaque pierre un souffle, un frisson, un émoi,
Et le monde rayonne, doucement, comme toi.
Je ne sais si c’est toi, pays de braises tendres,
Ou sa douceur cachée que ton silence engendre.
Mais tout me fait trembler sans me faire fléchir,
Et je pleure parfois sans même m’en saisir.
La mousse est une épaule, et la fougère, un sein.
Le ciel penche, hésitant, son silence incertain.
Et ton matin, Pays, me renverse et m’émeut
Comme un regard ancien qui revient avec eux.
Je t’aime, non pour toi, mais pour ce que tu portes.
Pour ces lèvres absentes qui battent à tes portes.
Pour cette voix qui manque à chacun de tes sons.
Pour cette soif de corps nichée dans tes buissons.
II.
J’arrivai à Saint-Jean dans un soir immobile,
Le cœur encore en marche, mais le pas docile.
Je restai là, plusieurs nuits sous le clocher,
Pour raser la fatigue et soigner mon plancher.
Mon ampoule au talon battait comme une prière,
Et je sentis qu’avant de franchir la lumière,
Il fallait que le corps se rende au repos,
Et que le front s’ouvre, à nouveau, sans fardeau.
Je le sus en silence, en lavant mes paupières :
Je reviendrai ici, poser l’ancre, ma pierre.
Quelque chose du ciel m’avait déjà choisi —
Et le Pays Basque, en moi, disait : « C’est ici. »
Eta Euskal Herriak, nire baitan, zioen: “Hemen da.”
Ce n’était pas un départ, mais une promesse.
Le vent, sur la Nive, avait le goût du jour.
Quelque chose a passé — très doux, avec tendresse —
Et j’ai su que je reviendrais par amour.
« Je t’aime, Pays Basque inoubliable, toi
Qui répands sans compter ton soleil sur les toits ;
Qui jettes brusquement, d’un nuage de suie,
La parole d’argent des lumineuses pluies
Auxquelles le gazon répondra par des fleurs ;
Je t’aime, Pays Basque aux cent mille couleurs
Et plus désespérant que l’arc-en-ciel lui-même ;
Pays Basque, charmant et terrible, je t’aime ! » (3)
Euskal Herria, xarmangarri eta beldurgarri, maite zaitut !
Eric Trélut, Gabat
Notes
(1) Francis Jammes, Le Triomphe de la vie, 1911.
(2) Francis Jammes, « Saint-Jean-Pied-de-Port », Ma France poétique, 1926.
(3) Rosemonde Gérard, « Le Pays Basque », L'Arc-en-Ciel, 1926.