Prix du Roman à Blandine Brisset pour "Retour au Poilus-Palace"
"Mon cher poète et mitrailleur,
Je vous remercie de m'avoir envoyé votre acte vibrant, pittoresque, et plein de mouvement ; vos rimes crépitent comme vos balles, le vers passe comme un ruban de cartouches ! et il m’est bien doux que ce Cyrano des Tranchées ait été joué sur un théâtre Chanteclair, au front. Double souvenir dont je suis plus fier que je ne saurais le dire ! Etre un petit peu dans vos cœurs héroïques, si humble que soit mon cœur, voilà qui me réconforte et me donne la force de supporter vos épreuves, vos dangers, d’attendre votre retour victorieux… Croyez, mon cher poète, vous et vos camarades, à mon admiration fervente, à ma reconnaissance de tous les instants.
Votre Edmond Rostand
Paris. 28 mars 1918"
Cette lettre avait été écrite à Joseph Suberville, jeune mitrailleur, poète à ses heures, qui avait fait représenter à Verdun « Cyrano aux Tranchées », pièce qu’il avait composée en hommage à celui qu’il considérait comme son maître, Edmond Rostand : dans l’atmosphère lourde de la nuit où la moindre lueur alerte l’ennemi, Cyrano redescend de sa lune et se retrouve face à un simple Poilu qui monte la garde au bord de sa tranchée. C’est la rencontre improbable entre le personnage emblématique du panache français et "un soldat comme il en fallait".
Et c’est autour de cette rencontre d’un Poilu de 14-18 avec Cyrano de Bergerac que Blandine Brisset a bâti son roman "Retour au Poilus-Palace" : le héros, Théobald Chantrezac, avait assisté au spectacle offert aux Poilus, à l’occasion de la fête nationale, le 14 juillet 2017, en prenant des notes afin de le rejouer à sa compagnie. Car, admirant son fort talentueux auteur, surnommé "le trouvère du 32ème", il avait lu certains de ses poèmes "Lorsque nous reviendrons", "L’âme qui chante" en avouant : "J’aimerais tant posséder une aussi belle plume !"
L'œuvre avait été présentée ainsi par un militaire : "En ce 14 juillet de l’année de grâce 1917, nous sommes fiers de vous présenter la nouvelle pièce héroï-comique en un acte et en vers, de Jean Suberville, du 32e ! Je vous laisse savourer ce moment hors du temps, en compagnie de notre légendaire… Cyrano de Bergerac !
Lorsque la pièce s’acheva, un tonnerre d’applaudissements s’éleva de toute part et ceux qui n’étaient pas déjà debout se levèrent dans un même élan. Les acteurs saluèrent le public, en s’inclinant bien bas. Ils s’éclipsèrent dans les coulisses puis revinrent et ce, à quatre reprises. Puis, l’un d’eux s’éloigna et réapparut avec un caporal. Nous pouvons à présent ovationner l’auteur de Cyrano de Bergerac aux tranchées, s’époumona-t-il, afin de se faire entendre malgré les acclamations qui ne faiblissaient pas. J’ai nommé notre magistral poète : Jean Suberville ! Des hourras fusaient à travers le public enthousiaste, couvrant le bruit du canon qui, un peu plus loin, commençait à tonner…
De sa place, Théobald n’était pas en reste. Il n’arrivait pas à croire qu’il avait conversé avec ce grand poète et lui était sincèrement reconnaissant de lui avoir offert son texte. Sans surprise, il s’était régalé et était déjà impatient à l’idée de jouer la pièce à son tour, pour les hommes de sa compagnie qui n’avaient pu être présents. Dans sa tête, il était déjà en train de se projeter, se demandant quels soldats pourraient incarner les rôles. Il avait bien quelques idées mais cela restait bien entendu à voir avec les intéressés.
La soirée se poursuivit en musique. Tandis que l’on interprétait Le Bouquet d’Ypres, quelle ne fut pas la joie de Théobald de voir Jean Suberville revenir vers lui. L’auteur reprit sa place sur le banc, visiblement soulagé que la première de son Cyrano soit passée et par la réaction enthousiaste du public.
- Alors dites-moi, qu’en avez-vous pensé ? demanda-t-il, en se tournant vers Théobald, le sourire jusqu’aux oreilles.
- C’était magnifique, merci pour cette pièce ! J’ai eu la chance de voir celle d’Edmond Rostand dans mon village, à l’été 12. Mais dites-moi, lui-même en a-t-il pris connaissance ?
- Pas encore, mais cela ne saurait tarder !
- Vous le connaissez, peut-être ? avança Théobald, presque intimidé.
- Oui, j’ai la chance de l’avoir comme ami.
- Vous êtes son disciple, en quelque sorte ?
- Tout à fait !
- Je comprends mieux à présent. Votre style est… comment dire, si français… si Rostandien !
À ces mots, le visage de Jean Suberville s’éclaira d’un nouveau sourire.
- Merci… J’ignore si ce mot existe mais on ne pouvait me faire de plus beau compliment ! En écrivant cette pièce, je voulais lui rendre hommage. Ainsi qu’à Cyrano ! Car voyez-vous, je suis moi-même un fier Gascon !
- C’est très réussi, croyez-moi !
- Merci… Vous êtes ?
- Théobald Chantrezac, du 7ème des Hussards de Niort.
- Enchanté, mon cher Théobald ! fit-il, en lui serrant chaleureusement la main.
Ces quelques extraits des premières pages du roman de Blandine Brisset nous dévoilent ainsi cette pièce "Cyrano de Bergerac aux tranchées" de Jean Subervielle qui bénéficia d'une préface enthousiaste de Jean Rostand, qui fut rejouée lors du "Festival Edmond Rostand" 2018 et portée ensuite à l’écran par le réalisateur Édouard Dossetto, en 2020, sous forme d'un court-métrage qui reçut de nombreuses récompenses dans les meilleurs festivals d'Europe et d'Amérique. Peut-être aurons-nous l'occasion de le découvrir ici à Cambo ?
Et pour revenir au livre de Blandine Brisset, Tourangelle d'origine et professeur des écoles en région parisienne, aimant les voyages, passionnée d'Histoire et de littérature, et auteur déjà de plusieurs romans, il s'agit donc de l’histoire de Théobald, jeune sergent de la Grande Guerre. Que s’est-il passé au Poilus-Palace, véritable havre de paix pour les permissionnaires en transit à la gare de Dijon ? Qui est la vaillante Marie, réservée et dévouée auprès des soldats qui partent ou reviennent du front, au Poilus-Palace ? Quelle sera l’histoire de son descendant, Ferréol, qui découvrira ainsi l’existence d’une branche entière de sa famille ? Entre deux époques, Blandine Brisset entraîne le lecteur dans un drame familial passionnant qui lui vaut notre prix du roman !