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Critique
La critique cinéma de Jean-Louis Requena
La critique cinéma de Jean-Louis Requena
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| Jean-Louis Requena 649 mots

La critique cinéma de Jean-Louis Requena

« Au revoir là-haut » - Film français d’Albert Dupontel – 114’
L’historien anglais John Keegan dans son célèbre ouvrage « La Première Guerre Mondiale » (The First World War – 1998) parue chez Perrin en 2003, qualifia cette guerre européenne, pour une grande part, de « conflit tragique et inutile ». L’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche et de son épouse, à Sarajevo le 28 juin 1914, mis définitivement en route la machine infernale qui devait brasser tant de peuples, broyer tant d’individus, et faire neuf millions de morts militaires.
En 2013, Pierre Lemaitre, un auteur de roman policier jusqu’à lors peu connu, obtient coup sur coup Le Grand Prix de l’Académie Française, Le Prix Femina et enfin le prestigieux Prix Goncourt pour son ouvrage « Au revoir Là-haut ». Quelle est donc l’histoire que raconte cet auteur qui lui vaut tant de reconnaissances, de récompenses ?
C’est ce livre qui est le support scénaristique du film éponyme d’Albert Dupontel.
En 1919, deux anciens Poilus, Edouard Péricourt (Nahuel Perez Biscayart), fils de la haute bourgeoisie rejeté par son père et Albert Maillard (Albert Dupontel), modeste comptable sont ignorés, rejetés par la société française inaugurant alors les « Années Folles ». Edouard dessinateur de génie a sauvé, juste avant l’armistice du 11 novembre 1918, d’une mort certaine, Albert enseveli dans un cratère d’obus. Lors de cette action héroïque il est gravement défiguré par une explosion. De fait, il devient ce que la « vox populi » nomme une « gueule cassée ». Après-guerre, il navigue d’hôpital militaire en hôpital dans l’indifférence générale et tente de se supprimer ne pouvant assumer son malheur. Son ami Albert qui lui doit la vie, le sauve in extremis de cet enfer de douleur et d’indifférence.
Les deux amis, écœurés par la société frivole de l’après-guerre décident de conjuguer leurs talents, l’un de dessinateur, l’autre de vendeur pour monter une escroquerie aux monuments aux morts que l’on érige dans les villes et villages de France. Songez 36.000 communes ! Marché énorme, arnaque potentielle gigantesque ! Une autre tromperie sur les militaires disparus (plus de 200.000 !) montée par leur ancien lieutenant Henri d’Aulnay-Pradelle (Laurent Lafitte), aristocrate sans scrupule vient compléter les entrelacs de ce récit foisonnant et rythmé.
Albert Dupontel après les années d’apprentissage de son métier de comédien de théâtre (élève d’Antoine Vitez, pas moins !) s’est lancé dans le grand bain du cinéma avec son premier film « Bernie - 1996». Depuis, cinq longs métrages se sont succédés, tous innervés par l’énergie de leur auteur. Albert Dupontel est toujours coscénariste avec son humour grinçant, ses folies, ses moments de burlesque pur digne des « deux bobines » du cinéma muet (moyen métrage burlesque). Son avant dernier film « 9 mois ferme -2013 » parabole hilarante sur la dialectique voyou/justice avec Sandrine Kiberlin, juge, future mère indigne, nous avait beaucoup plu et a connu un grand succès populaire (2 millions d’entrées en France !).
Ce cinéaste au parcours singulier, est également coproducteur de ses films, en marge de la production filmique hexagonale (routine de comédies, familiales, sociétales, à caractères convenus). Il propose des sujets détonants, déroutants, qu’il relate avec une énergie soutenue.
Son film en sélection officielle au dernier Festival International de San Sébastian (cinq films français en compétions officielle sur dix-huit !) a eu un grand succès populaire lors de sa projection bien qu’absent au palmarès. Notons toutefois, qu’Albert Dupontel, de mauvaise humeur, avait sabordé la conférence de presse d’après film en quittant la tribune précipitamment. C’est un homme de caractère et cela nous convient.
La rudesse de l’univers cinématographique avec ses contraintes, économiques, artistiques, relationnelles, n’est pas faite pour les êtres tendres. C’est cette fureur de raconter, de filmer rageusement en de courtes séquences qui irradient l’œuvre cinématographique d’Albert Dupontel (six films à ce jour) et qui nous ravit.
Un cinéaste français hors des chemins balisés et qui mérite notre attention.
Jean-Louis Requena

 

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