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Musique
Il y a vingt ans : « Ixiltasunaren Ortzadarra » et la résidence à Bayonne de Nicolas Bacri
Il y a vingt ans : « Ixiltasunaren Ortzadarra » et la résidence à Bayonne de Nicolas Bacri

| Alexandre de La Cerda 1302 mots

Il y a vingt ans : « Ixiltasunaren Ortzadarra » et la résidence à Bayonne de Nicolas Bacri

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Nicolas Bacri. Photo Éric Manas ©
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Bacri, le CD des cantates avec « Ixiltasunaren Ortzadarra » ©
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Cette année, à son anniversaire (chiffre "rond") correspondra pour Nicolas Bacri le souvenir de son oeuvre « Ixiltasunaren Ortzadarra » créée il y a vingt ans au Pays Basque...
J'avais alors écrit pour la presse régionale un article intitulé : "Nicolas Bacri : le chant solitaire du créateur" :

« Le prochain concert de l’Orchestre de Bayonne Côte basque donnera l’occasion d’écouter « Ixiltasunaren Ortzadarra » (l’arc-en-ciel du silence). Nicolas Bacri, son compositeur, situe volontiers cette oeuvre créée nouvellement au Pays Basque, dans la problématique qui continue d’opposer les divers langages musicaux.

Comme pour donner plus de poids à ces heures sonnées depuis les antiques clochers des églises basques, dont le regretté Pierre Espil trouvait qu’elles « laissent tomber le passé, pierre à pierre, date à date dans l’oublieuse mémoire des hommes », c’est à l’ombre de Saint-Léon d’Anglet que résonnera (le 15 décembre 2001, ndlr) la nouvelle création de Nicolas Bacri, composée pendant sa résidence d’artiste à l’initiative conjointe de l’Institut Culturel Basque et du Conservatoire de Bayonne.
(NDLR. : premier prix de composition musicale avec les félicitations du jury au Conservatoire de Paris, pensionnaire de l'Académie de France à la Villa Médicis à Rome et en résidence à la Casa de Velázquez à Madrid, Nicolas Bacri avait été nommé compositeur en résidence au Conservatoire Régional de Bayonne, dirigé alors avec talent et enthousiasme par Xavier Delette, où le compositeur résidera de 2001 à 2006. Il avait auparavant abandonné le poste de délégué artistique du service de la musique de chambre à Radio France où il organisait 70 concerts par an afin de se consacrer entièrement à la composition)

Auteur (déjà à l'époque, ndlr) de plus d’une cinquantaine d’œuvres, la plupart instrumentales, le jeune musicien (qui abordait à peine la quarantaine, ndlr.) désirait composer pour de la musique vocale et obtenait une place de résidence du CNRS au Pays Basque où l’avaient attiré l’Académie Ravel ainsi que l’exécution d’une de ses oeuvres par Xavier Delette et l’Orchestre de Bayonne.

La pièce  jouée constitue le premier des trois volets d’une Cantate pour chant et orchestre et pour chœur à capella, destinée, dans l’esprit de ses commanditaires, à « s’inspirer de thèmes traditionnels basques sans en constituer une simple transcription ». En somme, « être moins discret que Ravel dans son inspiration euskarienne, en évitant toutefois de se limiter à une harmonisation de chants populaires »

Conscient de la difficulté d’intégrer ces apports dans sa future composition, Nicolas Bacri s’était mis en quête « de textes en basque incluant une préoccupation métaphysique » avec l’aide de Pantxoa Etchegoi. Et, parmi tous ceux proposés par le directeur de l’Institut Culturel Basque, de Bernat Detchepare au XVIème siècle jusqu’aux poètes les plus contemporains, c’est sur Joxean Artze, l’auteur de la chanson « Hegoak », rendue célèbre par tous les chœurs euskariens, que le musicien jeta son dévolu. En particulier, le poème consacré au chant et au silence qui avait été commandé précisément à l’occasion du programme « Kantuketan ».

« L’arc en ciel du silence »

« La flûte ne chante nulle part aussi bien que dans la solitude, là où seul le silence l’écoute, là où le silence lui répond par le scintillement des étoiles… » Ces premiers vers du poème d’Artze préludent au premier volet de sa cantate, que Nicolas Bacri fait débuter par un long solo de flûte, et dont la deuxième partie, composée respectivement d’un passacaille (avec des réminiscences de fandango et de zortziko), d’une fuguette (sur les vers « Savoir, savoir, nous ne savons pas vraiment comment le chant jaillit en nous… », et d’un récitatif, s’achèvera sur une canzonetta, « hommage à Mahler » voulu par le compositeur.

Ce dernier reconnaît d’ailleurs qu’il n’a pas vraiment « réussi l’incorporation ou l’intégration de la musique populaire basque dans son propre langage musical… il n’y a pas eu de réelle hybridation », à moins qu’il ne s’agisse « d’un premier pas en vue des deux parties ultérieures de sa cantate ». Et Nicolas Bacri de préciser que « l’élément basque ne faisait que se rajouter à son polystylisme, à l’image de Schnittke. »

D’ailleurs, l’œuvre dans son entier, mêlant le tonal à l’atonal et au-delà, reflète bien « l’actualité de ce conflit des langages » relevé également par Xavier Delette, qui dirigera la création à la tête d’une formation « Mozart » de l’Orchestre de Bayonne, soit les instruments à cordes et à vents par deux, et un ensemble de percussions conséquent auquel Nicolas Bacri veut faire retrouver des rythmes basques, glissant du ttun-ttun vers d’autres timbres. Et c’est la soprano Sylvie Sullé qui prêtera sa voix aux vers d’Artze.

Récusant tout « consensus en matière de création artistique aujourd’hui », ce premier volet de la cantate « Ixiltasunaren Ortzadarra » s’inscrit ainsi au cœur de cette « problématique, véritable champ de bataille des styles et des langages musicaux ». Quant à en triompher, Nicolas Bacri envisage « une victoire sur lui-même, au prix d’un prodigieux effort d’indépendance, voire d’une solitude librement assumée afin de ne succomber à aucune pression qui ne fût ressentie comme sienne… »

NDLR : en plus d'Isiltasunaren ortzadarra, op. 77 — 2001-02 (Cantate no 5 d'après des fragments poétiques de Joxe Antonio Artze pour mezzo-soprano, chœur mixte et orchestre), le programme du concert comprenait également « Vita et Mors », également de Bacri, ainsi que le Concerto pour Marimba de Rosauro et le Concerto en Ré de Stravinsky.
Trois ans plus tard, Nicolas Bacri enregistrera l'oeuvre sur un double CD (de la maison d'édition "l'Empreinte Digitale") qui comportera également les cantates et motets composés au cours de la dernière décennie, dans une interprétation de l'Orchestre Régional Bayonne - Côte basque ainsi que du Chœur du Conservatoire de Bayonne et des choeurs "Hodeiertz" et "Kea" de Tolosa.  
Et en 2011, au cours d'une "Semaine basque" programmée dans le cadre d'un partenariat engagé sur l'initiative de Pantxoa Irigoin, directeur de l'Institut Culturel Basque, avec le CRR de Paris (près de 1800 élèves, alors dirigé par Xavier Delette qui avait hélas quitté Bayonne) fut "re-créée" la Cantate n°5 "Ixiltasunaren Ortzadarra" de Nicolas Bacri, le concert comprenant également les merveilleuses mélodies basques "Euzko irudiak" de Guridi interprétées par le choeur Anaiki.

La belle trajectoire d'un grand compositeur contemporain

Depuis l'époque de sa résidence à Bayonne, Nicolas Bacri a enseigné l'orchestration de 2005 à 2011 à la Haute école de musique de Genève, puis la composition au CRR de Paris, depuis octobre 2017 ainsi qu'à la Schola Cantorum depuis 2018.

Il est actuellement l'auteur de plus de cent-cinquante œuvres dont sept symphonies, onze quatuors à cordes, huit cantates, deux opéras en un acte, quatre concertos pour violon, quatre sonates pour violon et piano, deux sonates pour violoncelle et piano, six trios avec piano et de nombreuses autres œuvres de musique de chambre et concertantes pour deux pianos, flûte, hautbois, clarinette, clarinette-basse, cor, trompette, alto et violoncelle... 

Sa musique a progressivement renoué, depuis son Concerto pour violoncelle de 1987 (dédié à Henri Dutilleux), avec cette continuité mélodique que l'esthétique prédominante de l'après-guerre avait évacuée ("en partie pour des raisons quasi-politiques", me confiera-t-il lors d'un déjeuner amical à Arcangues). A ce propos, dans son "New Grove Dictionary of Music and Musicians", Philippe Michel estime que « loin de constituer une régression, au sens adornien du terme, ce virage contribue à inscrire Nicolas Bacri dans l'esthétique de son temps, une esthétique de la réconciliation ».

Et pour sa part, dans son livre « Notes étrangères » (*), Nicolas Bacri déclare : « Ma musique n'est pas néo-classique, elle est classique, car elle retient du classicisme ce qu'il a d'intemporel : la rigueur de l'expression. Ma musique n'est pas néo-romantique, elle est romantique, car elle retient du romantisme ce qu'il a d'intemporel : la densité de l'expression. Ma musique est moderne car elle retient du modernisme ce qu'il a d'intemporel : l'élargissement du champ de l'expression. Ma musique est post-moderne car elle retient du post-modernisme ce qu'il a d'intemporel : le mélange des techniques d'expression ».

(*) Nicolas Bacri, Notes étrangères : considérations paradoxales sur la musique d'aujourd'hui, Paris, Éditions Séguier, coll. « Carré musique » (n° 16), 2004. 

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Nicolas Bacri, Villa Médicis, 1984 ©
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Le contenu du CD avec « Ixiltasunaren Ortzadarra » ©
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