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Identité, mémoire et patrimoine entendus comme « racines de l’avenir »
Identité, mémoire et patrimoine entendus comme « racines de l’avenir »
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| Alexandre de La Cerda 2380 mots

Identité, mémoire et patrimoine entendus comme « racines de l’avenir »

« La dimension internationale et régionale  de la sauvegarde du patrimoine culturel et naturel », tel était le thème de la très intéressante Table ronde organisée dans le cadre du IVème Festival-marathon « Du Pacifique à l’Atlantique » dont l’étape française s’est déroulée mardi dernier entre Chartres, où une partie des organisateurs et des intervenants avait été remarquablement reçus par Isabelle Vincent, adjointe au maire de Chartres en charge de la Culture, et Patrick Géroudet, adjoint au maire de Chartres pour le Tourisme, le Patrimoine, la promotion de la ville et les relations internationales, vice-président de « Sites et Cités remarquables de France » et de « Cités Unie France »… Et le Centre de Russie pour la science et la culture situé dans un magnifique immeuble « haussmanien » de la rue Boissière à Paris. La très belle mairie de Chartres ne peut qu’attirer l’attention du visiteur venu de Béarn ou de Navarre par les rappels historiques concernant Henri de Navarre - « lou nouste Enric » - dont le buste couronne l’entrée et un portrait plus contemporain, œuvre du peintre Antoine Vincent, surmonte la grande cheminée du salon. Car, l’hôtel particulier qui abrite la mairie avait été construit dans les premières années du XVIIème siècle par Claude de Montescot, notaire et secrétaire d’Henri IV qui avait été sacré roi de France en la cathédrale de Chartres…  Laquelle sera visitée en détail, avec ses milliers de statues en pierre, ses vitraux et son immense crypte, en compagnie des adjoints, de leur directeur de cabinet et de Siméon Mirzayantz, jeune et très dynamique attaché culturel, intarissable en matière d’art et d’histoire, très intéressé par Biarritz et la côte basque (voyez l’article suivant).

Organisé annuellement sous l’égide de l’UNESCO et le patronage des institutions russes (Sénat, ministères des Affaires Etrangères, de  la culture, etc.) à l’initiative du Club européen parlementaire russe et de sa plateforme de débats « Dialogue de l’Eurasie », ce  « Festival-marathon » passé par Madrid, La Corogne et plusieurs villes russes ralliera – après Paris – Belgrade,  Sofia (capitale culturelle de l’Europe 2019) et Tokyo). Le but de l’évènement étant de réunir les experts pour un échange sur les questions actuelles dans le domaine de la protection des biens du patrimoine culturel et naturel, à l’échelle mondiale et régionale, afin de partager les meilleures pratiques, débattre des problèmes communs et trouver leurs solutions.  Une exposition « Biens du patrimoine mondial » (photos des archives du Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO) et un concert  (Tchaïkovsky - Beethoven - Brahms) en hommage à Notre-Dame de Paris accompagnaient cette table ronde à laquelle j’ai eu l’honneur de prendre part parmi la quinzaine d’intervenants venus de France,  d’Angleterre, de Russie, d’Azerbaïdjan, etc., mon intervention s’intitulait :

« Identité, mémoire et patrimoine entendus comme « racines de lavenir »

Il y a déjà une dizaine d’années dans un de mes éditoriaux publiés par la presse régionale et que j’avais intitulé « Les racines de l’avenir », je rapportais la conclusion d’une conférence internationale des instituts de sciences de l'éducation : « Comment ne pas distinguer le danger qui menace les sociétés où les écoles voient diminuer, jusqu'à disparaître, les matières de mémoire, comme l'histoire, les langues anciennes, l'art, la philosophie et la culture générale ? [...] l'individu touché par l'amnésie ne sait plus qui il est [...] Il devient incapable de donner une direction à son existence. La même chose vaut pour les nations : les peuples sans histoire sont des peuples sans avenir. La vitalité de la mémoire est la condition de tout progrès humain ».

Des préoccupations qui rejoignent l’heureuse formule de Pierre Nora (dans « Les lieux de mémoire », Gallimard 1984) : « Identité, mémoire et patrimoine sont les trois mots clefs de la conscience contemporaine ».

Or, le christianisme n’a-t-il point exercé une influence capitale sur le développement de ce qu’on put appeler la civilisation européenne avec le déploiement prodigieux d’une vaste architecture laquelle, sur les données romaines et plus encore gréco-byzantines, nous a donné ces merveilles de l’art que sont les cathédrales romanes, gothiques et baroques ?

Précisément, il n’est pas inutile de rappeler le rôle déterminant joué par l’empire byzantin dans la transmission de l’héritage grec classique. Car les souverains et les lettrés de Constantinople s’attachèrent à la préservation du patrimoine pictural antique : il faut voir les admirables mosaïques des quelques églises anciennes sauvegardées aujourd’hui, comme des écrits des philosophes, des poètes et des dramaturges qui avaient fait de la Grèce antique le phare intellectuel du monde alors connu. Car ce n’est pas à quelque ouléma du Caire ou de Grenade qu’on doit la redécouverte d’Homère, mais bien à Byzance qui, avant que ne s’abatte sur elle, en 1453 la nuit ottomane, transmit ces richesses à l’Occident chrétien et à Moscou, la troisième Rome, avec le « souffle vivifiant de la Grèce antique ».

Il faut voir à ce propos les chefs-d’œuvre de l’architecture orthodoxe comme l’admirable monastère de Detchani dans un Kossovo, foyer national serbe livré hélas par les « grandes démocraties occidentales » et l’OTAN à la fureur iconoclaste et destructrice de mafias islamistes, qui inclut la plus vaste cathédrale médiévale des Balkans et dont, au XIVe siècle, le roi serbe Stefan Ourosh avait confié la construction à des franciscains italiens, bel exemple d’unité européenne.

C’est pour cela qu’envers et contre l'attitude d'un ancien président français dont j’omettrai le nom par charité (car il vit encore), lequel avait refusé il y a une quinzaine d’années que l’on inscrivît les racines chrétiennes dans la constitution européenne, j’adopterai volontiers cette évidence énoncée par le cardinal Jean-Louis Tauran : « les racines chrétiennes sont un fait parce que la première école, les premières universités ont été fondées par l'Eglise [...] Nous ne pouvons donc pas comprendre l'Europe sans ces éléments qui ne sont pas des concepts mais des faits historiques [...] Ainsi, nous devons avoir une identité pour survivre, sinon, nous n'avons aucune consistance ».

Ce qu’avaient d’ailleurs souligné le Pape François et le Patriarche de Russie Cyrille dans le communiqué commun publié à l’issue de leur rencontre à Cuba.

Par ailleurs, la mythologie issue de la légende chrétienne et la théologie sont à l’origine de toute une peinture et d’une sculpture dites sacrées qui apparaissent comme des manifestations uniques et sublimes d’un art religieux. Mais si les racines de notre Europe sont essentiellement grecques et latines, elles n’en ont pas moins intégré les apports slaves, celtes et germano-scandinaves, le « génie du christianisme » ayant été capable au fil des millénaires d’assimiler le passé européen et de s’en enrichir.

Et chez nous, en Pays Basque et en Gascogne, nous nous sommes certes enrichis de toutes ces influences civilisatrices, mais nous avons de plus gardé des restes surgis du tréfonds de l’humanité, et au moins du paléolithique, depuis les premières racines linguistiques de la langue basque – un isolat pré-indo-européen – jusqu’aux traces patrimoniales qu’ont laissées ces groupes d’Homo sapiens installés il y a plus de 45 000 ans sur la façade de l’Europe Atlantique que le froid extrême de la dernière période glacière, il y a 20 000 ans, avait forcé à se replier autour du golfe de Biscaye (ou de Gascogne), lequel bénéficiait d’un afflux annuel de migration de mammifères marins, oiseaux et poissons, depuis le début de l'automne jusqu'au printemps.

D’où l’hypothèse, de plus en plus confortée par les dernières études, entre autres génétiques, d’une filiation des Basques selon une évolution locale des hommes de Cro-Magnon, ces fameux chasseurs du Paléolithique qui se sont développés à partir d’il y a quelques quarante milliers d’années dans une aire géographique appelée « franco-cantabrique » et grossièrement comprise entre le Périgord, l’Andorre et les Asturies. Car, les moyennes montagnes basques et leurs vallées avaient offert à ces populations de chasseurs de rennes le refuge de leurs grottes, en général situées au-dessous d’une altitude de 500 mètres et dans un environnement climatique relativement modéré par les influences océaniques.

En particulier parmi les innombrables grottes préhistoriques ornées de notre région, celles d'Isturitz (qui sont propriété privée, et qui constituaient certes, un des plus riches gisements du paléolithique en Europe),  où l’ethnologue Gilberte Reicher croyait déjà déceler, dans les années trente, la « manifestation dun culte à la déesse-mère, personnification de la terre nourricière » dans l’image découverte à Isturitz de « cette femme au pied de laquelle se tient un homme en posture dimploration ». Il s’agit d’une côte de renne arrondie et gravée sur les deux faces qui servait à lisser des peaux. « Le goût du Basque pour les formes géométriques » et les lauburu, ces croix à branches coudées, on a cru également le retrouver dans les extraordinaires baguettes au décor de spirale sans fin, caractéristiques de l’époque magdalénienne à Isturitz et dans quelques autres sites de la chaîne pyrénéenne. Tous ces éléments influeront assurément sur les créations artistiques ultérieures, les ornementations diverses, stèles discoïdales dans les cimetières, linteaux de portes et de fenêtres dans les maisons, et jusqu’aux artisans bijoutiers basques qui en déclineront la symbolique.

D’ailleurs, de récentes découvertes dans les Asturies sont venues confirmer la localisation entre l'Ariège et la corniche cantabrique d’une certaine unité artistique des peintres et graveurs préhistoriques pyrénéens mise en valeur par les splendides os plats de langue de cheval gravés représentant des têtes de cheval. Une zone géographique qui recouvre à peu près l’aire d’extension de toponymes pouvant s’apparenter à une langue « proto-basque ».

Pour ne citer que les grands plasticiens basques contemporains, les plus reconnus internationalement, tels Chillida et Oteiza, ils ont été très influencés par l’art pariétal ancestral et les cromlechs du néolithique - une des sculptures d’Oteiza, intitulée « Isturitz », avait été inspirée par la découverte au début des années 80 d’une gravure de cheval dans les grottes d’Isturitz -, et leur voie continue d’inspirer les jeunes artistes qui créent actuellement.

Mais ce que les visiteurs de notre région retiennent en priorité, c’est bien sûr l’architecture de la maison basque, qui a donné un style néo-régionaliste dont le prototype fut sans conteste la magnifique demeure érigée à Cambo par l’écrivain Edmond Rostand qui passera des journées à expliquer ses projets à son architecte Albert Tournaire. Etalés sur une grande table, ses plans et ses croquis dessinés et coloriés par l’écrivain témoignaient d’un bon coup de crayon ! Quant à l’architecte, il parcourra le pays afin de rassembler une vaste documentation sur les maisons basques, photographies et dessins soumis à son commanditaire. Il en résultera une véritable analyse de l’architecture régionale, qui débouchera certes sur la construction d’Arnaga, mais qui influencera également, à n’en pas douter, la naissance d’un style qualifié de régionaliste, à l’origine même « par ricochet », du style « basco-landais » tellement prisé à Hossegor et qui a largement débordé jusqu’à Arcachon et dans tout le Sud-Ouest ! Et dans ce domaine, il faut souligner l’action exemplaire des différentes municipalités de Cambo qui, ayant racheté ce patrimoine, se sont attachés à le conserver et à le restaurer dans sa munificence d’autrefois. En particulier l’ancien maire et actuel député Vincent Bru qui, en plus de racheter le mobilier et des éléments de décor d’origine, de faire restaurer les merveilleux jardins entourant la propriété, avait parfaitement compris la nécessité de s’appuyer sur une association (dont j’ai l’honneur d’être un des dirigeants) qui animerait par ses concerts, conférences, expositions et sorties cette merveille du patrimoine ! Un exemple remarquable de l’étroite collaboration d’une collectivité locale avec le monde associatif au profit du patrimoine ! Rostand qui avait d’ailleurs influencé un grand artiste russe : à Moscou, la façade du célèbre hôtel « Métropole » a gardé jusqu’à nos jours la mosaïque de Mikhaïl Vrubel « Princessa Gryoza » (ou la princesse des songes) réalisée d’après la fresque que le génial artiste de l’« Art Moderne » avait conçue pour la Foire internationale de Nijny Novgorod d’après « La Princesse lointaine », l’année même de la création de la pièce d’Edmond Rostand en 1895.

En revanche, hélas, puis que nous évoquons la Russie, parmi les éléments du patrimoine architectural laissés par les villégiateurs russes dans notre région, si l’église russe de Pau, restée dans l’église russe hors-frontières qui a rejoint heureusement le patriarcat de Moscou est bien entretenue avec son très bel iconostase, en revanche celle de Biarritz est dans un état déplorable, car la géo-politique s’en est mêlée : l’assemblée générale de la paroisse avait voté à une écrasante majorité en 2005 le rattachement au Patriarcat de Moscou. Quelques membres de la paroisse hostiles à cette démarche et certainement "instrumentalisés" par les autorités, peut-être elles-mêmes sensibles à des sollicitations venues des "grands alliés" d'Outre-Atlantique, attaquèrent cette décision en justice et obtinrent son annulation, en partie grâce à certaines pressions. Le Patriarcat de Moscou, qui avait commencé des travaux de réhabilitation importants, les stoppa et remit l’église à celui de Constantinople. Résultat : l’église tombe en ruine. Dans un article publié sur le site www.baskulture.com Anne de La Cerda signalait qu'à l’extérieur, sa couverture en plomb était en fin de vie. De plus, à divers endroits les murs en pierre rongés par le sel sont poreux. Les joints dégradés, les eaux de ruissellement pénètrent à l’intérieur des maçonneries. A l’intérieur, le cerclage en acier qui porte la coupole centrale est rouillée à certains endroits, c’est pourquoi, du temps encore de l’administration du patriarcat de Moscou, il avait été posé un filet de protection qui autorise jusqu’à maintenant, et par miracle, les célébrations religieuses.

Il faudrait effectuer ces restaurations d’urgence, explique l’architecte du patrimoine en charge de l’église, Catherine Matveieff dont le père d’origine russe s'était marié et établi au Pays Basque. Ce monument exceptionnel dans la Zone de Protection du Patrimoine Architectural et Urbain de Biarritz, à l’élégante architecture byzantine, unique dans notre région, située en face de l’hôtel du Palais est remarquable tant au niveau de son style que de son histoire, note cette experte en l’art qui l’avait heureusement fait inscrire à l’inventaire des Monuments Historiques.

En conclusion, je citerai le célèbre jésuite-paléontologue Teilhard de Chardin qui remarquait que « le Passé lui avait révélé la construction de l'Avenir », et l’écrivain Jean de la Varende qui affirmait : « le souvenir porte en soi une vitalité supérieure, et nous ramène à cette notion suprême : la chaîne, dont nous ne sommes qu’un maillon ».

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