Buenos-Aires, Capital Federal et mégalopole argentine de 15 millions d’habitants. Un homme, âgé, fait son jogging dans les jardins de la capitale. Tout à coup il s’écroule et décède malgré l’intervention des passants. C’était le professeur Caselli qui tenait la chaire de philosophie à la faculté de philosophie et de littérature (enseignement public) plus connu sous le nom de Puan dans le quartier de Casellito au cœur de Buenos-Aires.
La chaire de cet illustre professeur devrait échoir à son élève et disciple respectueux depuis vingt ans : Marcelo Pena (Marcello Subiotto). Ce dernier est un cinquantenaire barbu, chauve, timide cependant adoubé par ses collègues, unanimes, et par Doris Caselli la veuve du professeur. Les jeux semblent faits.
Après l’enterrement du professeur Caselli, lors d’une fête chez sa veuve en mémoire du défunt, chaque participant prend la parole pour un ultime hommage au disparu. Marcello timide est interrompu par un nouveau venu : Rafael Sujarchuk (Leonardo Sbraraglia) un universitaire qui a poursuivi depuis une vingtaine d’années sa carrière en Allemagne. Il est enjoué, charismatique, parlant parfaitement allemand, citant Emmanuel Kant (1724/1804), Martin Heidegger (1899/1976) dans le texte(!), et chantant, en français(!) une chanson de Jacques Prévert (1900/1977). Sa vie amoureuse avec une starlette argentine, étalée dans la « presse people », est à l’opposé de celle, maritale, de Marcello.
La chaire de philosophie et littérature qui ne devrait pas échapper à Marcello est convoitée par Rafael, plus charismatique, plus flamboyant, que le terne Marcello …
El Profesor (titre original, Puan) est une tragi-comédie douce-amère des réalisateurs argentins Maria Alché et de son compagnon Benjamin Naishtat (38 ans). Ils ont coécrit le scénario lors du confinement (Covid 19) de 2020. La vénérable faculté de Buenos-Aires manque de tout ; les salaires des enseignants ne sont plus versés depuis des mois, l’électricité est coupée, etc...
C’est un chaos administratif. Les professeurs et les étudiants, également frappés par la crise économique en passe de devenir une crise politique, luttent pour leur survie. Marcello est un anti-héros qui végète en donnant des cours de philosophie à de riches vieilles dames. Il subit les évènements sans se révolter, de surcroit est écrasé par la personnalité de Rafael que les notables de la faculté, par opportunisme, préfèrent au pâle Marcello.
Comme nous l’avions déjà affirmé à propos de la critique du film argentin Los delincuentes (BasKulture avril 2024), le « nouveau cinéma argentin » est en péril depuis l’élection et la prise de fonction (janvier 2024) à la présidence de la République Argentine de Javier Milei (53 ans) un ultra libéral surnommé, non sans raison, El loco (le fou).
La thérapie de choc promise, « le plus grand ajustement budgétaire de l’histoire de l’humanité », comme aime à le répéter El loco, a relancé une hyperinflation (276% en un an) laquelle conjuguée avec la dévaluation du peso (54%), plonge le pays dans la récession : plus de subventions pour les transports ; augmentation du prix de l’énergie ; gel des chantiers publics ; coupes budgétaires tous azimuts, etc. La malheureuse Argentine s’enfonce à nouveau dans une grave crise économique.
El Profesor a été réalisé avant l’arrivée au pouvoir d’El loco. Ce long métrage parfois burlesque, d’un humour noir, mis en scène sans esbroufe, démontre que l’art cinématographique n’est jamais neutre, et parfois prémonitoire : il en existe de nombreux exemples. La culture au sens large du terme (les arts, l’enseignement, etc.) est la première cible des « libertariens ». L’intellectuel philosophe italien, Antonio Gramsci (1891/1937), avait dès les années 1920/1930, au début de l’ère fasciste, théorisé ce comportement agressif.
El Profesor a obtenu au Festival International de San Sébastian 2023 le prix du meilleur scénario et celui du prix d’interprétation pour Marcelo Subiotto. Ce long métrage a également été couronné aux Goyas 2024 (équivalent des Césars français) meilleur film ibéroaméricain.