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Histoire
Du vœu de Louis XIII au « dimanche des Basques »
Du vœu de Louis XIII au « dimanche des Basques »

| François-Xavier Esponde et ALC 2017 mots

Du vœu de Louis XIII au « dimanche des Basques »

La femme et le dragon par le Maître de Sarum (XIIIème siècle)
La femme et le dragon par le Maître de Sarum (XIIIème siècle) ©
La femme et le dragon par le Maître de Sarum (XIIIème siècle)

Comme dans tout le Pays Basque où nombre de paroisses sont consacrées à l’Assomption, la fête religieuse (célébrée le 15 août depuis la proclamation de Marie comme Mère de Dieu par le Concile d'Éphèse) correspond également en France à une double fête dynastique initiée par Louis XIII. Car, en 1638, après 23 ans de mariage, le roi et la reine attendent enfin un enfant, le futur Louis XIV. Louis XIII signe alors à Saint-Germain-en-Laye des lettres patentes plaçant le royaume « sous la protection spéciale de Marie, mère de Jésus ». Le 15 août de la même année, l'ensemble du royaume célèbre la consécration faite par le souverain à la Vierge, en lui remettant « sa Personne, son État, sa Couronne et ses Sujets ». Des processions en l'honneur de la Vierge et de la France ont désormais lieu dans tout le pays, le 15 août.

Saint-Jean-de-Luz
S’il y aura bien une messe à 18h30 pour la fête de l’Assomption, il n’y aura pas de procession à Saint Jean de Luz le soir. C’est d’autant plus regrettable que les années précédentes, c’était toute la ville qui accompagnait la vierge illuminée du fronton municipal en mémoire du Vœu de Louis XIII, depuis le fronton municipal puis par Karrika haundi - rue Gambetta - jusqu'à l’église Saint-Jean-Baptiste).

Abet, entre Puyoo et Lahontan
 comme chaque année, un pèlerinage organisé par la paroisse Notre-Dame d'Abet de Puyoô, aura lieu pour fêter l'Assomption ce samedi 15 août. La procession partira à 7h30 de la chapelle Saint-Jean-Baptiste de Puyoô (300, rue de la Vieille Eglise) pour le pèlerinage à pied, vers Notre Dame d'Abet, autour des porteurs de la Vierge Noire. Une très belle promenade de 7 km à travers champs, rythmée par les chants et prières des pèlerins, jusqu'à l’arrivée pour la messe de 10h30 à Abet (village de Lahontan). Ce pèlerinage vers la source miraculeuse de Notre-Dame d'Abet, au bord du gave de Pau, perpétue une tradition datant du XIVe siècle. Tous ceux qui le souhaitent peuvent pique-niquer sur place vers midi. Il sera suivi dans l'après-midi, pour ceux qui le souhaitent, de la récitation du chapelet puis de la liturgie des vêpres. Renseignements: 05 59 65 13 47.

Dans l’histoire
Antérieurement, et pour d’autres raisons, des festivités avaient lieu au Pays Basque, entre autres dans le village navarrais de Zugarramurdi près de Sare où les habitants processionnaient aux grottes le 15 août pour « tenter de faire disparaître les sorcières qui s’y réunissaient, leur curé répandant des poignées de moutarde afin qu’elles ne reviennent pas durant autant d'années qu'il y avait de grains de moutarde ».

Sans oublier une curieuse tradition qui avait pour cadre la Côte des Basques à Biarritz lors du « dimanche des Basques » qui suivait celui de l’Assomption : il s’agissait du bain de mer rituel des villages labourdins et bas-navarrais. Encore sous le Second Empire et jusqu’à la Belle Epoque, « Ils tombaient des montagnes par bandes, en costumes de fête et couronnés de fleurs et de rubans. Ils se répandaient dans ce qui n’était encore qu’un village et, précédés de fifres (txistus) et de tambourins, brandissant leurs makilas (bâtons ferrés), ils chantaient en se livrant aux danses les plus extravagantes ».  Après quoi, nos Basques de l’intérieur dévalaient leur côte préférée et, arrivés sur la plage, se déshabillaient tous, hommes, femmes et enfants. Puis, se prenant par la main, ils formaient une seule ligne pour s’élancer, à un signal, au-devant de la vague - la chronique dit « en poussant des cris sauvages », sans doute des « irrintzinas » - et, après cinq ou six aspersions de ce genre, allaient s’étendre sur le sable et se sécher au soleil !

La « Saint-Napoléon »
Si l’Assomption et le Vœu de Louis XIII constituaient une véritable « fête nationale » sous l'Ancien Régime, ce jour férié avait été supprimé par la Révolution française, puis rétabli par Bonaparte : le hasard (en était-ce un ?) voulait que cette date fût également son anniversaire, car le futur empereur était né le 15 août 1769 à Ajaccio ! Et, Biarritz, la villégiature impériale de Napoléon III et d’Eugénie ne se devait-elle pas également de célébrer cette fête de leur dynastie qui rejoignait, finalement celle de la monarchie antérieure qui avait une origine religieuse ?

Cette fête nationale de « Saint-Napoléon », instituée par Napoléon Ier en 1806 fut fixée au 15 août, date anniversaire de la signature du Concordat de 1801 (qui avait mis fin, du moins officiellement, au schisme religieux entre prêtres constitutionnels et réfractaires) et jour anniversaire de la naissance de l’Empereur. Ce jour-là, dans chaque commune, le ministre du culte devait donner un discours, une procession était organisée et un Te Deum entonné solennellement. Les autorités civiles, militaires et judiciaires devaient assister à cette cérémonie. Mais il s'avéra difficile de trouver un saint Napoléon. C'est le cardinal-légat Caprara, très inspiré, qui « trouva » mention, dans le martyrologe de Benoît XIV, d'un martyr « Néopole » ou Neopolus. Le prénom de l’Empereur serait provenu de ce Neopolus, dont la prononciation avait évolué au fil du temps (Napoléo en Italie au Moyen Âge) pour devenir Napoleone en italien !

Célébrée jusqu'en 1813, cette fête de la Saint-Napoléon sera supprimée sous la Restauration, puis rétablie par le Second Empire en 1852 afin de « réunir tous les esprits dans le sentiment commun de la gloire nationale » : aumônes aux pauvres, messe, revues militaires, jeux et divertissements publics se succèdent dans la journée. Si la dernière Saint-Napoléon fut célébrée en 1869, le célèbre feu d'artifice du 15 août, grand rendez-vous incontournable de l'été à Biarritz, semblait en constituer un beau reste continuant d'animer l'ancienne villégiature impériale… Jusqu’à cette année où il a été supprimé comme la procession mariale de Saint-Jean-de-Luz (voyez plus haut).

Mais il est d'autres 15 août historiques : outre l'année 778 qui vit la victoire des Vascons sur l'armée de Charlemagne à Ibañeta (voyez notre article dans la rubrique « histoire »), en 1683, agenouillé devant l'icône miraculeuse de Czestochowa, le roi de Pologne Jean III Sobieski priait pour l’heureuse issue des combats avant d’aller libérer Vienne assiégée par l'armée des Turcs ottomans lancés à la conquête de l'Europe au nom du sultan et d'Allah. La victoire finale interviendra le 12 septembre, lorsque Sobieski, sabre au clair, déboule à la tête de ses fameux « hussards volants » sur le camp du vizir. La roue de l’Histoire…

Par ailleurs, François-Xavier Esponde propose cette étude sur "La femme et le dragon" en relation avec l'Assomption
1 - Oeuvre d'Art et spirituelle

Le Maitre de Sarum a illustré ce thème en 1240/50 pour la postérité des arts et des fidèles, d’un tableau conservé à la Bibliothèque Nationale de France.
Sous cette enluminure tirée d’une apocalypse réalisée en Angleterre, un texte en latin se répartit en deux colonnes. On peut lire à droite “Et un grand signe apparut en ciel, une femme couverte del soleil la lune desuz les piez” dans le texte.
Sur la colonne de gauche se joint la glose ou le commentaire du texte biblique.
L’enlumineur de ce manuscrit travaillait en un site dénommé Sarum, ou lieu de peuplement premier de la future ville de Salisbury.
L’auteur est resté anonyme mais ses oeuvres ont subsisté, telle l’illustration de l’apocalypse de quatre vingt dix images où trône le dragon en bonne place suivant le chapitre 12 de Saint Jean, de cette vision curieuse que constitue le livre codé et évocateur de la révélation, comprenez le sens du mot grec, apocalypse..

Les enlumineurs pratiquent dans cet art la concentration de plusieurs versets en quelques images, d’intention pédagogique.
Comme pour “telle la femme ayant  le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête la couronne de douze étoiles ; puis, pour l’enfantement, dans les couleurs mêmes et les douleurs du dragon, rouge feu avec sept têtes et dix cornes, et sur chacune de ces sept têtes, un diadème, suivie de la chute des étoiles du ciel, précipitées sur la terre par la queue du dragon, enfin la tentative de dévorer l’enfant et la naissance d’un enfant mâle, aussitôt enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son trône - Ap 12, 1-5.
Ce combat ininterrompu se poursuit dans le récit par d’autres enluminures qui illustrent la lutte entre le dragon et les anges et la fuite de la femme  dotée d’ailes réussissant à échapper à son ennemi.

Oeuvre d’artiste fidèle au texte primitif et biblique, d’une élégance rare, d’une précision raffinée de chaque élément et de chaque sujet traité.
L’énorme soleil aux rayons friselés, la lune maintenue par les pieds nus de la mère dans une auréole bleutée décorative, forme la couronne avec les étoiles fraiches comme des fleurs, et l’horrible tête du dragon et ses prises d’étoiles emprisonnées dans la bouche que forme l’un des cous confondu avec la queue.
Scène d’horreur, et de cauchemar qui préfigure la mission de Marie en combat contre le mal engagé par ce dragon.
Le 15 août rapporte ce récit tous les ans comme la victoire portée par la femme sur le dragon. De la mythologie antique à la narration biblique, le profil est le même, mais les applications diffèrent dans le contexte historique de l’humanité aux prises avec ces forces maléfiques.
En cette année de pandémie douloureuse, universelle et planétaire, le rapport au mal et à la maladie illustrent de manière comparative la force de la mère et de son fils engagés dans les souffrances du temps présent, pour la vie contre toute mort.

L’enluminure montre face à la femme colorée de lavis jaune et brun symbole de lumière en plus, ce dragon malfaisant et épouvantable.
Et comme en ce coronavirus 19, chacune des têtes est couronnée, funeste présage d’un pouvoir malséant que la chute des étoiles rend bien sensible. Et les six têtes principales orientées vers la femme donnent une illusion de mouvement renforcé par une ouverture de plus en plus large de chaque gueule, aux dents visibles et acérées. L’avidité d’un monstre guettant l’enfant et l’humanité tout entière qualifie la violence dont il est capable, et la profusion de victimes dont il peut ajouter l’infortune. Face à cette image forte et illustrative les structures de mort s’emparent de pans entiers de la société, conséquences induites de nos fragilités ou de nos responsabilités.

2 - La mère conduit le combat contre la mort.

La femme mère ne baisse pas les yeux  tandis que les cous allongés démesurément empiètent le soleil. Elle fixe le dragon et le défie ou le domine des yeux tout en protégeant l’enfant rendu à la garde des anges protecteurs.

Les symboles dominent les images elles mêmes, les sept têtes sur un seul corps, comme la dimension protéiforme et multiforme du mal absolu en expansion, le jeu des relais des mains se passent l’enfant et le mettent à l’abri.
Autant de visages d’anges individuels qui forment la chaîne de Marie qui sauve...

Cet illustre maître sans nom de Sarum a habité l’espace de son oeuvre. Son visage est de toutes les époques. Marie au centre, le dragon envahissant et belliqueux, l’enfant Jésus modeste est au coeur de ce combat spirituel.. On trouve à droite de ce tableau un terrier de lapin et un arbuste qui garde de toute évidence un sens pour l’artiste. D’une nature malmenée et menacée par le vampire funeste.

Le combat contre le dragon se joue au bénéfice de la terre, de ses habitants, et de ces espèces créatives de toutes origines, exposées comme ce peut être le cas aujourd’hui à leur survie et à leur proche salut.

Assomption 2020 soumise aux assauts pandémiques d’un malin aux morbides desseins, Marie est aux prises avec le dragon de l’histoire des humains.  Ce manuscrit du XIII ème siècle s’apparenterait pour nous à une bande imagée du destin de l’humanité aux prises avec les assauts de la mort, et désireuse de donner sens au travail accompli par tant de ceux qui cherchent et servent le bien commun de la vie du défi salvateur en cours, présentement.
Ainsi la femme et le dragon, la mère et la vie, Marie et l’espérance, donnent un sens aux tourments vécus aujourd’hui par tant d’hommes confrontés à la menace de leur destin fragile !

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