Petite escapade en Guipuzcoa pour la sortie "cidrerie" de mon club Betisoak. Direction Usurbil et sa cidrerie "culte" Urdaira. Ni trop grand, ni trop petit, l'établissement, lové à flanc de piémont, est cerné de pommiers et de terres agricoles. Le panorama est éblouissant vers le bas.
Rien de kitch, une cidrerie, une vraie : des bancs et de longues tables de bois massif, une morue sans tralala mais à la cuisson parfaite, de la seule salade avec un chuleton de gala, et une salle des barriques en contrebas vers laquelle on part en pèlerinage de txotx toutes les vingt minutes. Je n'en ai raté aucun. Peu, mais frais dans le verre...
La rumeur s'est de suite faite persistante autour des tables, le meilleur cidre coulait à la barrique 25. Les plus anciens de la maison validaient l'information d'un acquiescement discret, à peine perceptible sous le rebord du béret.
La queue va grandir devant la 25 qui, d'ailleurs, va rendre l'âme au profit de la 26 au sagarno plus doux, mais moins capable de tenir tête en bouche à la grande pièce de bœuf passée au sarment.
Un seul homme compte dans ces cas-là : le détenteur de la clé du foudre concerné par la bonne réputation en cours dans le comedor. Hier, c'était Jose. Un petit homme malingre, à la casquette verte de l'ouvrier agricole qu'il est pendant la semaine dans ce grand domaine d'Urdaira. Cinq ans que ce Galicien est arrivé en Pays Basque.
En quelques mois, il est devenu un homme de la maison, comme c'est encore possible au sud, en entrant sans prévenir avec son baluchon sur le dos, dans une famille de fermiers. Et là, pour peu qu'on aime le travail bien fait, et que, mieux encore, il ne fasse pas peur, c'est parti parfois parti pour la vie.
Je suis Jose d'un pas pressé sous un début de grêle à l'extérieur du comedor, vers la salle des grandes barrique d'inox. Il me fait un clin d'oeil et me montre la clé du prochain txotx. Je suis très vite suivi par une bonne vingtaine de clients qui ont aussi repéré le manège du petit homme en vert secrètement heureux de se savoir épié.
La main posée sur le robinet verseur, il ne regarde même pas les verres que nous lui tendons un mètre plus bas pour recueillir son jet direct et précis de cidre. Jose assure techniquement, et nous nous mettons en ligne pour que le gaspillage entre chaque verre ne soit que de quelques gouttes à terre. Jose n'attend pas. Il ouvre et ferme le robinet à cadence régulière et tant pis pour les maladroits au bout de la parabole de cidre. C'est pas son affaire à Jose.
Pas bavard, surpris même que je m'intéresse à lui. Lui, le subalterne qui, comme le mayoral au campo pour les toros, en sait souvent beaucoup plus sur le produit qu'il sert que le propriétaire lui-même. "J'ai un bon patron ici. On est bien traité dans cette maison, des premiers jours de cueillette au pressage"..."Plus de vingt ans que les barriques ne sont plus en bois Ibs (et oui Yves ça devient ça tras los montes). Quand tu en vois encore, dis-toi bien que c'est de la décoration et que, derrière, la cuve est en inox. C'est que quand ça fermente, le cidre, ça peut péter fort !"...
Jose, bien qu'à l'aplomb du littoral, ne quitte pas ce début de montagne où le jour se couche plus tôt qu'en bas et sans les nuances chatoyantes des bords de plage. Cette vérité de vie, la Galice la lui inculquée pour toujours. Il est de la dernière génération de celles et ceux qui ne descendront pas, ou plus, de leurs pommeraies. Il porte en lui cette forme de gravité bienheureuse des troisièmes rôles du cinéma d'Audiard. Il en dit peu mais fait très vite sentir qu'il en sait beaucoup.
Un enfant de la maison parade avec des amis au pied de la 24 vide, en ouvre la trappe principale pour permettre à sa joyeuse compagnie choisie de regarder à l'intérieur de la cuve. Jose observe la scène en fronçant les sourcils. Il n'aime pas l'impudeur de ce geste démystificateur. Ce qui se passe dans ces cuves, Jose veut en garder le secret de tabernacle. Ce déballage l'irrite. Cela se voit. Il ne dira rien, mais il rappelle mon attention vers sa 25. La seule qui vaille à l'instant.
"Txotx !"... Jose a poussé le cri de ralliement. Les verres se tendent à la queue leu leu vers son offrande. Attention, Jose va bientôt fermer la 24 jusqu'à son bon vouloir de la rouvrir C'est Jose qui a la clé, c'est Jose qui régale. Et personne d'autre...