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Prix des Trois Couronnes : Marie-Luce Cazamayou, ​​pour l'ensemble de son œuvre
Prix des Trois Couronnes : Marie-Luce Cazamayou, ​​pour l'ensemble de son œuvre

| Alexandre de La Cerda 1225 mots

Prix des Trois Couronnes : Marie-Luce Cazamayou, ​​pour l'ensemble de son œuvre

Prix ​​pour l'ensemble de son œuvre à Marie-Luce Cazamayou

Ayant enseigné les Lettres dans plusieurs lycées, dont celui de Saint-Cricq à Pau, Marie-Luce Cazamayou "croque la vie et les mots" selon la formule très vraie de mon collègue de Sud Ouest (et néanmoins ami, comme le disait l'ancien rédac-chef à Bayonne, Paul Bayle) Emmanuel Planes. Un appétit de vivre qui se manifestait déjà dans son ouvrage "Saint-Antoine, Faites qu'on ait la télé!" publié chez Cairn, à propos duquel le romancier gascon/bigourdan Paul Guth, professeur de Lettres comme notre auteur, remarquait : «C’est délicieux de charme, de drôlerie, de saveur, de tendresse, de poésie. C’est vrai, absolument vrai, d’une justesse de ton totale. Les gens de chez nous parlent comme ça.

En même temps, vous faites un tableau d’une époque, qui a une immense valeur historique. C’est dans les années 50 que l’on bascule d’une ère, où la vie est rythmée par les grands travaux de la terre et par les fêtes religieuses, où l’on bascule dans l’ère mécanique avec les tracteurs, les appareils ménagers et, pour couronner le tout, cette « étrange lucarne » ouverte sur le monde des images et sur l’abrutissement universel ».

Marie-Luce Cazamayou prolongera son œuvre romanesque par "Farouche", à l'époque du rock des années soixante découvert par une adolescente qui n'en garde pas moins un langage truffé d'expressions locales, et "Arrière-saison", la société locale béarnaise si bien croquée à l'époque des années 80/90, lorsque les villages se dépeuplaient, sans curé ni instituteur, et les maisons se vidaient... 

Et pourtant, les traditions locales se maintiennent, avec leur parler aux racines béarnaises, la chasse à la palombe, et un arôme de cèpes et de salmis émanant de ses écrits. Car, de la "célébration du foie gras" au vin de Madiran, ses "recettes pyrénéennes" au fil de "promenades gourmandes en Béarn et Pays Basque" constituent des livres de référence dans le domaine gastronomique, tout comme ses récits "des pierres au gave", souvenir de la maison Cazamayou, famille de tailleurs de pierres à Laàs qui, les siècles derniers, exploitait une carrière à proximité du gave.

Dans son discours de réception de Marie-Luce Cazamayou à l’Académie de Béarn, Pierre Peyré – également lauréat de notre prix des Trois Couronnes – notait : « Les pierres de votre famille, on les retrouve, au château de Laàs, au théâtre de Bayonne, à l'église Saint-Jacques, au palais de justice de Pau. Où sais-je encore ? Pierres de construction, nobles et généreuses qui sculptent les façades et sont l'âme des édifices, bien plus que leurs simples charpentes (…) Assurément, les pierres font rêver, et ne manquent pas de vous inspirer.

Château du Grand Meaulnes dites-vous au château de Laàs, mais votre imagination toujours en alerte sur ce soc suprême et stable des carrières où plongent vos racines, vibre encore davantage à l'unisson des formes et des gestes de la vie. Vous êtes passionnée de danse, de cuisine, de musique, de peinture. Bref, antithèse de tout ce qui est brut et figé, mécanique et sans vie, prompte à saisir tous les contrastes pour que vivent - qui sait ? - les pierres inanimées, vous êtes artiste dans l'âme. Et ce talent, vous vous plaisez à le cultiver. Vous voyagez et, bien évidemment, vous écrivez pour partager ». 

Car notre romancière a voyagé, entre la Tunisie où elle avait enseigné pendant quatre ans, à Venise avec ses élèves, en Russie avec le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, et les Amériques : à l'origine de l'association franco-argentine du Béarn, Marie-Luce Cazamayou s'était rendue en 2011 en Uruguay à la recherche des descendants de son aïeul Jean-Pierre Cazamayou qui y avait émigré en 1860.

Et même chanté le Requiem de Mozart et le Te Deum de Lully dans des chœurs palois et bayonnais, car affirme-t-elle, « la musique est l'art qui me donne le plus d'émotion » !

Marie-Luce Cazamayou est à présent établie à Bayonne, « qui n’appartient à personne, mais dont beaucoup, telle une fille rebelle, voudraient posséder l’âme » car elle chante en gascon et en basque, n’est pas en Espagne, mais non plus tout-à-fait en France ; Bayonne avec l’Adour qui la coupe ou qui l’unit, selon le bon vouloir de l’esprit et du pont… Bayonne, ville accueillante et exigeante !

Mais par-dessus tout, reconnaît notre romancière dans ses savoureux récits « Des pierres au gave », elle aime revenir dans la maison ancestrale de Laàs, pour « savoir pourquoi cette pierre si bien taillée est restée dans la carrière, retrouver l’art du confit, entendre la cloche qui a rythmé la vie des hommes et des femmes de chez moi, raconter les histoires que ma petite-fille me réclame »

Et parmi ces histoires d’enfance, notre romancière de relater parmi ses souvenirs dans son discours de remerciement à l’Académie de Béarn : 

« l'enfance doit rester un espace de rêverie, comme le fut mon enfance. Laàs, le village, c'est d'abord la maison au bord du gave. Une grande maison béarnaise comme il y en a beaucoup, avec des coins et des recoins, une cave et un grenier (…) La cave représente l'inconscient, le grenier représente le rêve. 

À la maison, autrefois, à la cave, il y avait la barrique et on m'envoyait tirer le vin. Le bouton de la lumière de la cave était tout en bas de l'escalier. Voyez un peu la scène : il fallait que je descende seule dans le noir au milieu des monstres que je ne voyais pas, mais qui m'observaient, prêts à se jeter sur moi ! La lumière allumée, je tirais le vin, accroupie au pied de l'énorme barrique, mais en faisant le tour de la cave avec mon regard pour les tenir à distance..., les monstres se cachaient derrière la vieille vis du pressoir, les étagères pour les pommes, et celles des bouteilles de vin bouché. Tout le vin tiré à la barrique, le vin de tous les jours, n'entrait pas dans la carafe ! Puis, je prenais ma respiration et mon élan, pour éteindre le plus tard possible la lumière, et monter à toute allure, avec tous les monstres lancés à mes trousses qui essayaient d'attraper ma jupe de petite fille de leurs doigts crochus..., et j'arrivais dans la chaleur et la lumière de la cuisine, totalement essoufflée et n'en revenant pas d'avoir réussi à leur échapper ! Question inconscient, j'étais gâtée ! 

Au grenier, il était plutôt interdit d'y aller. C'était dangereux. Mais c'était délicieux ! Donc on y allait en cachette. À un bout il y avait du foin sec et se rouler dans le foin, c'était quelque chose ! Sous la charpente, il y avait des vieux coffres, des papiers pleins de secrets, une longue vue en cuivre, de quoi voguer des heures dans le rêve, au cœur d'une chaleur de four en été. Du grenier, on n'en serait jamais revenu s'il n'y avait pas eu des cris terre à terre qui nous obligeaient à descendre pour mettre le couvert ou finir les devoirs »

Or, il ne s’agit pas de se lancer à la recherche du temps perdu, pourtant, note Marie-Luce Cazamayou, « il revient comme un souffle qui passerait sur les lilas, comme le goût de la châtaigne qui a éclaté sur le feu, ou l’odeur du linge qui sèche dans le vent »...

Et nous, au vent de la littérature qui emporte dans un souffle éloquent la demeure des Rostand, nous sommes heureux d’attribuer notre prix à Marie-Luce Cazamayou pour l’ensemble de son œuvre. 

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