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Patrimoine
Patrimoine biarrot : la renaissance de la « Folie-Boulart » (III)
Patrimoine biarrot : la renaissance de la « Folie-Boulart » (III)
© DR – Les mosaïques du maître vénitien Facchina

| Anne de Bergh 1320 mots

Patrimoine biarrot : la renaissance de la « Folie-Boulart » (III)

Troisième épisode du document historique et artistique élaboré par Anne de Bergh, arrière-petite-fille de Louis-François Roux, un des architectes du château Boulart, redécouvert et restauré à Biarritz par Brigitte et Pierre Delalonde. Après avoir évoqué les architectes, voici maintenant le tour des artistes et des artisans au sommet de leur art.
L’immense chantier de la Villa Belle Fontaine est lancé, il y règne une intense activité qui va durer plusieurs années. La demeure, dont les fondations massives en pierres de taille sont profondément ancrées dans le sol, révèle peu à peu son élégance et sa grandeur. Les matériaux, pierres, marbres, essences de bois précieuses, arrivent du nouveau monde et d’Europe pour approvisionner des artisans au savoir-faire éprouvé. Les artistes qu’inspire la qualité de la commande donnent le meilleur d’eux-mêmes. Avec une ligne de conduite permanente : atteindre l’excellence et insuffler la vie à chaque élément. La Folie Boulart, comme on se plaira à la nommer plus tard, se pare d’un décor raffiné, au-dedans comme au dehors. Sculptures, colonnes, peintures et boiseries délicates, vitraux, mosaïques, plafonds sculptés à caissons, dorures, marqueterie au sol, fers forgés et plomberie d’art viennent habiller cette architecture savante.

Splendeurs de marbres
Le marbre porteur de mouvement, de légèreté. Sa texture, ses reflets s’il est poli, la variété de ses nuances, le dessin de ses veines, la diversité de ses coloris font de chacun des blocs extraits d’une carrière une pièce unique. Des motifs originaux qui se multiplient à l’infini ; le caractère imprévisible de la nature. Une richesse à la portée de l’imagination de l’homme et avec laquelle (les architectes) Duc et Roux jouent à travers toute la Villa Belle Fontaine, mariant harmonieusement les marbres à la sagesse de la pierre et à sa simplicité, convaincus comme Charles Garnier, l’architecte de l’Opéra de Paris, que « le marbre seul donne la vie et l’éclat ». Les façades sont bâties en moellons de marbre rouge : un luxe qui place d’emblée la construction à un niveau exceptionnel. Ce marbre extrait spécialement d’une carrière d’Ainhoa, à une trentaine de kilomètres de Biarritz, prend selon l’heure du jour des teintes plus ou moins chaudes et anime les murs. Sa splendeur est discrètement mise en valeur par les encadrements, balustres et éléments en pierre blanche de Crazannes et soulignée par les soubassements, chaînes d’angles, socles et bandeaux en marbre Sainte-Anne d’Arudy. En partie basse, les façades sont complétées par des pierres de Bidache de petit appareil et des escaliers en pierre de Belvoye.
À l’intérieur, les matériaux ne sont pas moins recherchés, dès le sous-sol entièrement voûté, avec des piles, têtes et arcs en marbre Saint-Anne d’Arudy, ou le rez-de-jardin et ses colonnes en marbre Lumachelle de Lourdes, taillés avec un grand soin.
Au rez-de-chaussée, un portique composé de huit colonnes hautes de deux mètres soixante-dix, affirme la majesté de l’atrium : ces magnifiques fûts monolithiques en Sarrancolin « Fantastico » d’un mètre dix de circonférence proviennent de la carrière d’Ilhet dans les Hautes-Pyrénées – carrière d’où sont originaires aussi des colonnes de l’Opéra Garnier. Deux de leurs sœurs encadrent l’arrivée au palier du premier étage.
Véritable marqueterie de marbre, chaque lambris d’appui est un assemblage raffiné de couleurs et de variétés. Certains évoquent ceux du Salon d’Hercule au château de Versailles. Ici se marient six couleurs différentes et des provenances française, italienne et belge : marbre bleu Turquin de Bardiglio, marbre noir de Mazy en Belgique, marbres Campan vert et griotte rouge, tous deux des Hautes-Pyrénées, marbre de Brocatelle de Sienne et Sarrancolin d’Ilhet. Des variétés qui, mariées à d’autres, composent des tableaux uniques. À chaque pièce, sa cheminée et à chaque cheminée, son marbre. Fascinant voyage au cœur de l’univers des carrières : rouge antique de Villerambert, rouge de Caunes-Minervois, Brèche d’Alep, rose Enjugerais, Campan vert, griotte rouge de Belgique, noir Marquiña, Campan rubané, Sarrancolin d’Ilhet, Brèche violette, rosé vif des Pyrénées, griotte rouge de Campan, Lumachelle de Lourdes, Coquillier de Bilbao, Carrare blanc veiné, noir Sainte-Anne d’Arudy et colonnes en vert Maurin encadrant une cheminée en bois...
Depuis les caves imposantes en pierre marbrière de Bidache et les colonnes du rez-de-jardin – écho souterrain du péristyle de l’atrium –, la féerie des marbres déployée à chaque étage est telle que l’énumération des trente-quatre carrières dont ils sont extraits paraîtrait fastidieuse. L’un des trésors à noter toutefois : après la richesse polychromique de l’atrium, en s’élevant vers la coupole travaillée en pierre blanche de Crazannes, le regard est attiré par la blancheur lumineuse du premier étage et la pureté de ses huit fûts de colonnes en marbre de Carrare blanc veiné de la Province de Massa. Un ensemble que complète une magnifique balustrade sculptée dans du marbre de Carrare Arabescato venu de la ville de Seravezza en Italie.

Mosaïques, l’art du maître vénitien Facchina
La mosaïque, c’est un chatoiement de coloris et une richesse de motifs que rehaussent le marbre
des bases de colonnes, des marches ou des lambris et la blancheur de la pierre de Crazannes. De tels atouts, conjugués aux justes proportions des pièces et à leur agencement, à la lumière qui les éclaire et à la décoration recherchée des plafonds et des murs, parachèvent l’harmonie intérieure recherchée pour la Villa Belle Fontaine. À côté du bois, en parquet marqueté mariant noyer et chêne, réservé aux salons et aux chambres, la mosaïque – dont l’éclat perdure à travers les décennies – s’est imposée pour le pavement des espaces ouverts comme le vestibule et l’atrium, ou de transition, tels les seuils et les paliers, ou les pièces à vocation particulière que sont l’oratoire et le donjon. Le château est ainsi orné de plus de deux cent quatre-vingt-dix mètres carrés de mosaïques.
Au milieu du XIX e siècle, un mosaïste domine tous les autres, le Vénitien Gian Domenico Facchina. Sa décoration de la loggia qui surplombe le grand escalier de l’Opéra de Paris étend sa réputation dans le monde, et son atelier devient incontournable pour toute commande de prestige. En 1848, il apporte à ce métier d’art une innovation considérable : la mosaïque n’est plus directement posée sur le site par l’artiste, mais d’abord montée à l’envers sur papier kraft puis expédiée pour une pose « inversée ».
Une école s’ouvre à Venise, et un atelier important à Paris. Les mosaïques de manufactures dirigées par les compagnons de Facchina se multiplient : Bordeaux, Lille, Marseille, Orléans et même Biarritz où s’installent Fostante Lizier et son fils, mais leur atelier est insuffisant pour produire les mosaïques de la Villa Belle Fontaine.
Pièce maîtresse des mosaïques, le motif central de l’atrium : les huit arcades qu’il dessine composent un accord parfait avec les colonnes en Sarrancolin d’Ilhet. Feuilles d’acanthe et rinceaux, sceptres enflammés évoquent des armoiries stylisées. Si la référence à l’Antiquité paraît claire, la symbolique en reste mystérieuse.
Rappelant les motifs géométriques romains, une frise rouge et verte cernée de noir ceint l’atrium.
Le mouvement que créent ses enroulements est ponctué aux angles par huit splendides médaillons qui entourent les grilles de chauffage. Leurs volutes comme soulignées d’ombre apportent un effet de perspective.
Autre trésor, un tapis de fleurs sur le palier de l’escalier, motif d’une grande richesse de dessin et de coloris : feuilles d’acanthe vertes, rinceaux en tesselles jaunes, bandes noires et jaunes. Au centre, le monogramme B stylisé. Un déploiement lumineux et chaud. Comme le motif central d’arceaux à volutes autour d’une fleur stylisée qui orne superbement la salle en haut du donjon.
Raffinement de la frise qui court au premier étage : rinceaux à volutes et feuilles d’acanthe, bandes de trois rangs de tesselles noires, feuilles divisées en trois lobes. Ce décor subtil ceint une belle mosaïque blanche semée de croisettes noires et rouges qui pave maints autres endroits du château.
Au centre de l’oratoire, un agneau souriant, symbole de Jésus-Christ dans l’iconographie chrétienne et évoquant innocence et humilité. Tout autour un semis à croisettes sur fond blanc qui le fait apparaître en premier plan.

La semaine prochaine : un virtuose du vitrail et un pinceau de maître.

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