Marty Anderson (Chiwetel Ejiofor), professeur de littérature dans un collège, disserte sur les poètes américains qu’il vénère : Walt Whitman (1819/1892) et Edgar Allan Poe (1809/1849). A la fin de ses cours, il observe des évènements incongrus : le réseau internet est brusquement interrompu, des catastrophes naturelles sont annoncées à la télévision, le réseau électrique disjoncte, etc. Par ailleurs, des panneaux d’affichage et des publicités intrigantes apparaissent de toutes parts : une photo d’un comptable nommé Charles « Chuck » Krantz avec ce slogan : « Charles Krantz : 39 années formidables ! Merci, Chuck ! ». Marty Anderson alerté par son ex-femme Felicia Gordon (Karen Gillian), infermière, se rend au domicile de delle-ci afin de discuter de ces évènements. Les rues sont sombres et désertes ; il y fait quelques rencontres inattendues.
Marty et Felicia réunis se demandent si la fin de l’univers n’est pas proche. Assis détendus, sur un banc public, ils observent dans le ciel étoilé, un phénomène étrange : les planètes, puis les étoiles disparaissent une à une. La fin de l’univers est connectée à « Chuck », 39 ans, alité dans un hôpital, mourant d’une tumeur au cerveau. Sa femme Ginny (Q’orianka Kilcher) et leur fils Brian (Antonio Raul Corbo) sont à son chevet. Alors que Chuck s’éteint paisiblement, Ginny lui confie : « 39 belles années. Merci Chuck ». Au même instant, Marty Anderson dit à Felicia : « Je t’aime », tandis que l’univers disparait. L’histoire de « Chuck » est en chronologie inversée. Ces séquences constituent l’acte III du film : Merci, Chuck. Le titre apparait sur l’écran en ouverture du long métrage.
Dans l’acte II (Vive les artistes de rues) « Chuck » adulte surgit en costume strict dans les rues ensoleillées de la ville …
Dans l’acte I (Je Contiens des Multitudes) « Chuck », enfant, vit chez ses grands-parents paternels : Albie (Mark Hamill) et Sarah (Mia Sara). Collégien timide, il apprend à danser avec Cat McCoy, une fille plus âgée et plus grande, dont il a le béguin …
La structure, un peu déroutante du film, mais néanmoins très fluide (narration en voix off), nous fait passer de la disparition de « Chuck » (Acte III) à son enfance (Acte I). Le parcours d’un résident sur la Terre …
Life of Chuck est le huitième long métrage du réalisateur, scénariste et monteur américain Mike Flanagan (47 ans). Il a adapté cette nouvelle de Stephen King (77 ans) tirée du recueil de quatre courts romans : Si ça saigne (La Vie de Chuck -2021). Cet auteur américain prolifique (soixante romans, deux cents nouvelles !) a été abondamment adapté pour le grand écran : 60 longs métrages et d’innombrable fois à la télévision (téléfilms et séries horrifiques, etc.). Notre cinéaste a fait, pour sa part, deux autres adaptations de ses œuvres : Jessie (2017) et Docteur Sleep (2019).
Mike Flanagan connaît bien et apprécie l’univers particulier de l’écrivain américain. Stephen King est un auteur dont les livres se sont vendus à 350 millions d’exemplaires dans le monde. Cependant, il est peu apprécié par les critiques littéraires : ses romans sont trop longs, son style familier, et il a un recours constant au « gore ». Par contre, il est reconnu pour son talent : sens de la narration, création de personnages vivants, colorés.
Au cinéma deux cinéastes importants, et non des moindres, ont adapté les premiers ouvrages de sa longue bibliographie : Carrie au bal du diable (1976) par Brian De Palma (né en 1940) et Shining (1980) par Stanley Kubrick (1928/1999). D’autres adaptations suivront avec plus ou moins de bonheur. Citons les plus intéressantes : Christine (1983) de John Carpenter et Stand by Me (1986) et Misery (1990) tous deux de Bob Reiner.
Le métier initial de Mike Flanagan est celui de monteur avant de devenir un réalisateur confirmé notamment pour la plateforme streaming Netfix. Ceci explicite que le découpage narratif du film, en trois chapitres, et sa chronologie inversée soient remarquables : Apocalypse (acte III), Comédie Musicale (Acte II) et Enfance (Acte I). Du désastre mondial, incontrôlable, à la « Teen Movie ». A l’intérieur de cette ossature rigide, il introduit en virtuose de courts inserts (dramatiques ou humoristiques) de quelques personnages qui « glissent » d’un acte à l’autre de façon déconcertante. Sur l’écran les trois actes se distinguent également par le ratio de l’image : cinémascope (2.39:1) pour l’acte III, large (2.0:1) pour l’acte II et normal (1.85:1) pour l’acte I. L’écran large de la maturité de « Chuck » diminue en remontant vers l’enfance.
Interrogé au sujet de son long-métrage Mike Flanagan déclare : « Si je suis fasciné par les esprits et les fantômes, c’est parce que, d’une façon ou d’une autre, j’ai toujours cru que l’énergie qui fait ce que nous sommes détermine la façon dont on perçoit la réalité. Celle-ci est difficilement séparable de la conscience ».
Life of Chuck démontre, s’il en était encore besoin, la richesse du langage cinématographique (scénario, image, son et montage) qui permet de raconter des histoires labyrinthiques, borgésiennes (écrivain argentin Jorge Luis Borges - 1899/1986) tout en étant compréhensibles.
Life of Chuck est le récit d’une courte existence, banale, d’un « hôte de passage », suivant la définition d’André Malraux (1901/1976) : « Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie ».