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Cinéma
Love Life (123’) - Film franco-japonais de Koji Fukada
Love Life (123’) - Film franco-japonais de Koji Fukada

| Jean-Louis Requena 851 mots

Love Life (123’) - Film franco-japonais de Koji Fukada

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"Love Life" de Koji Fukada ©
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"Love Life" de Koji Fukada ©
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Dans la banlieue d’une grande ville japonaise, une « cité dortoir » avec ses barres d’immeubles, Taeko (Fumino Kimura) étend son linge sur le balcon d’un appartement exiguë qu’elle occupe avec son mari Jiro (Kento Nagayama), épousé un an auparavant. 
Son fils de 8 ans, Keita (Tetsuta Shimada), né d’une union précédente avec un coréen, joue à un jeu de stratégie nommé Othello. Il est très brillant, surdoué, dans cet exercice ou il bat tout le monde y compris ses correspondants sur internet. Ce garçon est vif, intelligent, et sa mère est très fière de lui. 
Jiro revient de son travail au centre social de la mairie. Il est mutique, renfermé et maintient tout en froideur, une distance avec Taeko qui cherche un contact verbal, dans cet espace réduit.

Les parents de Jiro, la mère Myoe (Misuzu Kanno), et le père Makoto (Tomorowo Taguchi) habitent dans l’immeuble en face de celui du couple. L’appartement de Jiro leur appartient. Ils l’avaient acheté en vue du mariage de leur fils unique avec sa petite amie de l’époque, Yamazaki (Hirona Yamazaki). Jiro, au grand dam de ses parents, a rompu ses fiançailles pour épouser Taeko, une femme divorcée de surcroît avec un enfant. 
Lors d’un diner chez son fils, Makoto explose, dénigrant Taeko « une femme de recyclage » qui fait jaser. Il se faisait une joie d’attendre l’arrivée d’un enfant de Jiro et de Yamazaki, et non qu’il épouse sa maîtresse plutôt que sa petite amie agrée par lui. Malgré les tentatives d’apaisement de Myoe sur son irascible époux, celui-ci claque la porte …

Plus tard, à force de patience de Myoe, son mari s’apaise : il accepte la situation. Une fête est organisée dans l’appartement du jeune couple. Makoto détendu, souriant, offre un jouet à Keita. Ce dernier tout à sa joie, gambade dans l’appartement.

Soudain, un drame épouvantable éclate affectant durablement les rapports entre les deux couples…

Love Life, dixième long métrage du scénariste et réalisateur japonais Koji Fukada (43 ans), est une sorte de somme cinématographique de ses œuvres précédentes ayant pour sujet la famille dysfonctionnelle élargie : Harmonium (2016) sélection officielle du Festival de Cannes – Prix du jury, L’Infirmière (2019) et Le Soupir des vagues (2019). 
Koji Fukada poursuit sa réflexion sur la société japonaise, puissance économique mondiale, mais aux mœurs, coutumes un rien rétrogrades, contrastant avec les sociétés capitalistes d’un niveau économique similaire. La société nippone vit sur un chapelet d’îles étroites et volcaniques. Les deux tiers de la superficie du Japon sont inhabités car montagneux. La population repartie dans les plaines a toujours été nombreuse : aujourd’hui, 147 millions de japonais y demeurent ; cela suppose quelques contraintes pour vivre ensemble, d’où la permanence d’un système rigide de codes de conduite, d’interdits, de justices punitives, etc. 
La société nippone, cependant imprégnée de « valeurs démocratiques » par la présence des américains (bases militaires, centres culturels, sports, etc.) depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale (1941/1945), lesquels ont fortement modifié, « occidentalisé » leur mode de vie courante (nouvelle constitution démocratique de 1949, mais le système impérial est maintenu). 
Cependant, les us et coutumes ancestrales perdurent dans l’inconscient collectif de cette société. La famille patriarcale reste le noyau dur de la société nippone. 
Ainsi, la femme japonaise, quel que soit son niveau d’études, généralement élevé, est peu présente dans l’espace public (10% de députés aux dernières élections). Les conduites antiques innervent toujours une population qui, du fait de ce frein durable, ne se renouvelle pas et vieillit (Indice de fécondité : 1,25 enfant par femme !).

Anecdote authentique : au cours d’un séminaire sur la macro-économie dans les années 80, l’intervenant ne cessa de vanter le « modèle japonais », le « boom japonais », par rapport au « laxisme occidental », etc. On lui posa une question : « pensez-vous que les femmes françaises pourront se conformer au modèle japonais ? ». L’animateur resta muet. Tout est dit !

Koji Fukuda et Ryusuke Hamaguchi (2021, Contes du hasard et autres fantaisie, Drive my Car) et quelques autres cinéastes incarnent la nouvelle génération de cinéastes japonais dont les œuvres sont une réflexion critique sur la société japonaise contemporaine et ses contractions sociétales. Koji Fukada met en image, maîtrisée (cadrages, éclairages, mouvements lents de la caméra, juste perceptibles), deux personnages qui s’ignorent plus qu’ils ne s’affrontent dans l’espace exigu d’un appartement sans charme. Cet affrontement/évitement est quasi muet : c’est un dialogue de sourd au sens propre. 
A cet enfermement (habitation) le réalisateur laisse sa caméra s’échapper vers les extérieurs urbains (barres d’immeubles) ou campagnards (routes, paysages champêtres) comme une respiration. Par sa mise en scène soignée, il suggère plus qu’il ne dit : l’histoire tragique de ce couple, de son passé, est progressivement révèlée sans baisse de rythme. L’histoire progresse, nous réservant des surprises.

Dans un récent interview, Koji Fukada donnait les clés de son dernier opus : « Pour moi le point de départ du film c’est cette chanson (de la chanteuse japonaise Akido Yano), Love Life, avec ses paroles qui disent : Quelle que soit la distance qui nous sépare, rien ne m’empêchera de t’aimer ». Love Life est une œuvre poignante sur cette distance : ni trop près, ni trop loin. Koji Fukuda nous offre un film pudique, attachant, précipité de culpabilité et de douleurs secrètes.

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