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Cinéma
Les Amandiers (126’) - Film français de Valeria Bruni Tedeschi
Les Amandiers (126’) - Film français de Valeria Bruni Tedeschi

| Jean-Louis Requena 778 mots

Les Amandiers (126’) - Film français de Valeria Bruni Tedeschi

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"Les Amandiers" de Valeria Bruni Tedeschi ©
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L'équipe des "Amandiers" à Cannes ©
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Début des années 1980. Devant le parvis du Théâtre des Amandiers à Nanterre, un groupe de jeunes gens patiente. Ce sont des comédiens en herbe qui vont passer une audition pour être intégrés, ou non, à l’école du théâtre des Amandiers. L’audition se déroule sous l’œil amusé d’un jury présidé par Pierre Romans (Micha Lescot), directeur de l’école du théâtre. Les épreuves, plus ou moins burlesques, se tiennent sans accros : une vingtaine de candidats sont choisis au premier tour. Pierre Romans avertit : ils ne seront plus que douze à la deuxième et dernière audition. Le jury siège sans état d’âme et tranche. Parmi les douze élus, citons les plus remarquables : Stella (Nadia Treszkiewicz), Adèle (Ckara Bretheau), Claire (Eva Danino) chez les femmes ; Etienne (Sofiane Bennacer), Franck (Noham Edje), Victor (Vassili Schneider) chez les hommes.

Un fastidieux travail commence pour les comédiens choisis sous la férule de Pierre Romans (1951/1990) déclarant en préambule : « je ne suis pas un enseignant mais un metteur en scène de théâtre ». Les lectures, les répétitions de scénettes, s’enchainent sans discontinuer. C’est un travail harassant ! Tous attendent l’arrivée du maître des lieux, directeur du théâtre des Amandiers et légende du microcosme théâtral : Patrice Chéreau (Louis Garrel). Ce dernier prend sans égard, brutalement, le groupe en mains et déclare que les élèves vont jouer deux pièces : Platonov d’Anton Tchekhov (1860/1904) dirigé par lui dans la grande salle des Amandiers ; et Penthésilée d’Heinrich von Kleist (1877/1811) dans la petite salle, mis en scène par Pierre Romans. Il distribue autoritairement, sans ménagement, les rôles et entame sans plus tarder, une lecture à l’italienne. Patrice Chéreau est un « gourou » respecté malgré son impatience, ses colères, durant les longues répétitions de la pièce … Tous comédiens, assistante, régisseur, en pâtissent en silence. Personne n’ose contester sa direction d’acteurs, d’autant qu’il affirme qu’elle « n’est pas démocratique ».

Dans ce phalanstère, les désirs, les amours, les déceptions, éclosent puis s’estompent dans la fébrilité des répétitions. La drogue (cocaïne, héroïne), insidieuse, se propage chez les comédiens et leurs maîtres. De surcroît, une étrange maladie mortelle se répand en ces années 1980, années permissives : le Sida …

Les Amandiers est le cinquième long métrage de Valeria Bruni Tedeschi (58 ans). C’est une autofiction sur le vécu des années ou la réalisatrice, jeune comédienne, était élève de l’école des Amandiers avec quelques camarades aujourd’hui célèbres. Citons en quelques-uns : Vincent Perez, Agnès Jaoui, Bruno Tedeschini, Marianne Denicourt, Eva Ionesco, etc. L’école des Amandiers était à cette époque, pour quelque temps, l’alternative libertaire au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. Valeria Bruni Tedeschi a reconstitué, à sa façon un brin exaltée, les coulisses de ce laboratoire de la modernité où les rires insouciants succèdent aux larmes. C’est une constante, sa marque de fabrique, dans ses films choraux à la mise en images survoltée depuis Il est plus facile pour un chameau … (2002) son premier opus. Les plans séquences à la caméra portée (Julien Poupard), se succèdent sans interruption, imprimant à l’histoire des jeunes protagonistes, une énergie juvénile.

Le scénario des Amandiers est le résultat des souvenirs de la réalisatrice, coécrit avec le concours de la talentueuse Noémie Lvovsky, sa collaboratrice habituelle. Les caractères des uns et des autres impétrants ont été, pour les besoins du récit cinématographique, élagués, « compactés » sans trahir ce moment court (2 ans) magique qui a vu l’éclosion d’une génération d’acteurs brillants (théâtre, cinéma, télévision). Les Amandiers n’est pas un biopic, tant s’en faut, mais il capte par sa mise en scène l’air de ce temps-là ou tout paraissait possible, préludant à la fin de l’insouciance. L’amour et la mort vont de pair : Éros et Thanatos sont du bal.

De 1982 à 1990, Patrice Chéreau (1944/2013) a dirigé avec Catherine Tasca, le Théâtre Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national. Ce lieu est devenu durant près d’une décennie un lieu mythique ou l’on venait du monde entier voir les mises en scènes de Patrice Chéreau : Combat de nègre et de chiens (1983) de Bernard-Marie Koltès (1948/1989), Les Paravents de Jean Genet (1910/1986), La Fausse Suivante (1985) de Marivaux (1688/1763), Quartett (1985) d’Heiner Müller (1929/1995), etc. Parallèlement il poursuit une carrière de scénariste, d’acteur et de cinéaste (11 films réalisés de 1974 (La Chair de l’orchidée) à 2009 (Persécution). C’est à cet homme peu aimable, exigeant, mais pétri de culture que le film est dédié.

Les Amandiers est un regard acéré, dénué de nostalgie, tendre, tolérant, sur des histoires de groupe et des histoires d’amour : c’est le portait distancé d’une famille de comédiens.

Le film Les Amandiers a été projeté en compétition (sélection officielle) au dernier festival de Cannes. Bien que remarqué par son sujet peu commun et son traitement cinématographique, il n’a obtenu aucune récompense.

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