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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
© DR - « Le Lac aux oies sauvages » de Diao Yinan

| Jean-Louis Requena 692 mots

La critique de Jean-Louis Requena

« Le Lac aux oies sauvages » - Film chinois de Diao Yinan – 110’

Une gare en Chine, de nuit sous la pluie. Un homme au visage marqué par une estafilade, Zhou Zenong (Hu Ge), demande à une jeune femme, Liu Aiai (Kwai Lun-mei), qui fume nonchalamment une cigarette, des nouvelles de son ex-femme Yang Shunjun (Regina Wan). L’homme est manifestement stressé, angoissé, à bout de nerf : il s’interrompe, se dissimule derrière les piles du pont qui enjambe la gare mal éclairée. Il est traqué, Il doute, il a peur…
Flash-back. Peu de temps auparavant, il avait assisté, amusé, dans les sous-sols d’un hôtel de Wuhan (ville « champignon » aux 130 tours, sur les rives du « Fleuve Bleu » au centre de la Chine) à un congrès de malfrats qui se répartissaient les zones de leurs futurs délits. La réunion est mouvementée. Une bagarre éclate entre deux clans rivaux spécialisés dans le vol de motos. D’abord distant, Zhou Zenong est entraîné malgré lui dans l’altercation. Des coups de feu éclatent ! Dans la nuit striée par une pluie diluvienne une course poursuite en moto s’ensuit… Par malchance, en visibilité restreinte, il tire sur un policier qui, touché, s’écroule mort…
Désormais, Zhou Zenong, tueur de flic, a sa tête mise à prix par la police qui offre 300.000 yuans de récompense. C’est un homme traqué à la fois par les autorités policières sous les ordres d’un capitaine pugnace (Lia Fan) et les mafieux qui veulent se venger à tout prix…
Zhou Zenong tente d’approcher son ex-femme, Yang Shunjun, dont il est séparé grâce à son contact avec Liu Aiai, une « baigneuse », autrement dit une prostituée occasionnelle sur un des nombreux lacs qui cernent Wuhan, la « Chicago chinoise » premier port fluvial de Chine.
Liu Aiai a un comportement troublant… Collabore-t-elle avec la police ou les mafieux, ou les deux à la fois. Est-elle fiable ?

Pour son quatrième long métrage, Diao Yinan (50 ans) nous entraîne dans un polar nocturne, frénétique, sur la trame éculée du genre policier : la chasse à l’homme. D’une simplicité biblique, le scénario de Diao Yinan est transcendé par une mise en scène inspirée. C’est du cinéma a l’état chimiquement pur : les scènes s’enchaînent avec des tempos lents en amorce, avant de s’emballer brusquement et de se conclure abruptement. Le réalisateur déploie son talent de chorégraphe (les corps dans l’espace du cadre choisi) et de coloriste (teintes chaudes ou froides, chef opérateur Dong JIngsong) dans une sorte de poème nocturne, pluvieux, sous amphétamines. Le montage rapide (flash-backs, ellipses, plans séquences rapides, plans de coupes, etc.) accentue l’impression de chaos boueux suggéré par le film.
A travers ce polar au scénario convenu (censure oblige !) mais à la mise en image maîtrisée, somptueuse, l’on approche, par cette chronique visuelle, un pan de cette Chine compliquée qui toujours semble glisser hors de nos schèmes européens cognitifs. Dans ce régime politique qui conjugue un socialisme autoritaire et un capitalisme violent, il n’y a nulle place pour la critique de ce curieux équipage qui marie les contraires. Les merveilleux films hollywoodiens de genre policier des années 40 et 50, qui étaient une manière biaisée de critiquer la société américaine de cette époque, ont manifestement servi de modèle au réalisateur cinéphile. D’ailleurs, il ne s’en cache pas ! La poursuite (l’enquête criminelle qui en découle), permet de « naviguer » à l’intérieur d’une société, d’y révéler, d’y effleurer, sa complexité humaine. C’est un véhicule permissif, sans histoire, qui échappe ainsi à la censure politique, vétilleuse par nature. Diao Yinan a compris la leçon : son film adoubé par les autorités chinoises est massivement distribué en Chine (18.500 écrans !) où il a reçu un très bon accueil du public.
Nous avons peu d’indications sur les personnages du drame : juste le nécessaire au déroulement du récit haletant… Pas de psychologie, peu de paroles, rien que des comportements induits par l’intrigue. Après « Black Coal » (Ours d’Or à la Berlinale en 2014), Diao Yinan nous ravit avec son dernier opus.
« Le Lac aux oies sauvages » présenté en sélection officielle au dernier Festival de Cannes a marqué les esprits au point que certains critiques ont pronostiqué la Palme d’Or. Il n’en a rien été. Le quatrième long métrage de Diao Yinan est reparti bredouille de la manifestation.

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