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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
© DR - « Les Misérables » de Ladj Ly à Cannes

| Jean-Louis Requena 684 mots

La critique de Jean-Louis Requena

« Les Misérables » - Film français de Ladj Ly – 103’

Paris, Champs Élysées, juillet 2018. L’équipe de France vient de gagner la Coupe du Monde de Football en Russie. Une mer humaine agitée de drapeaux tricolore danse et chante l’hymne national : La Marseillaise. Comme 20 ans auparavant, en 1998, c’est l’équipe de France « black-blanc-beur » qui est victorieuse…

Stéphane (Damien Bonnard) jeune inspecteur de police s’est fait muter au commissariat de Montfermeil (93 - Seine Saint Denis) pour se rapprocher de son ex-femme. Briefée par la commissaire (Jeanne Balibar), il rejoint deux inspecteurs de la BAC (Brigade Anti Criminalité) : Chris (Alexis Manenti) un homme nerveux au tempérament agressif et Gwada (Djebril Zonga) un grand noir placide…Leur travail consiste à patrouiller en voiture dans un quartier de Montfermeil : Aux Bosquets. Simple passager sur la banquette arrière, bizuté par Chris qui le surnomme « Pento » à cause de sa coupe de cheveux, Stéphane reste abasourdi lors du circuit de reconnaissance par les barres d’immeubles insalubres  et la population bigarrée qui encombre les rues : adultes trafiquants, adolescents méfiants, enfants désœuvrés… La voiture de police banalisée serpente dans les rue du quartier, s’arrête au grès des rencontres voulues (contacts police) ou fortuites (contrôles surprises)… Chris très prolixe, passablement excité décrit a Stéphane les personnages importants du quartier : Le Maire (Steve Tientcheu) grand noir qui trône à l’entrée d’un immeuble, sorte de régulateur appointé par la mairie, Salah (Almamy Kanoute) ancien djihadiste repenti, gérant d’une pizzeria, etc…

Soudain, ils sont alertés : un vol a été commis dans un petit cirque appartenant à des gitans…La tension monte rapidement entre ces derniers et les habitants du quartier… Les inspecteurs partent à la recherche du voleur supposé : Issa (Issa Perica) adolescent rusé… Leur course poursuite est filmé depuis les toits des immeubles par Buzz (Al-Hassan Ly) grâce a son drone qui enregistre toute la scène jusqu'à sa conclusion mouvementée…

« Les Misérables » est le premier long métrage de Ladj Ly (39 ans) adapté de son court métrage éponyme réalisé en 2017 qui a obtenu de nombreuses récompenses. Il est co- auteur du scénario avec Alexis Manenti (Chris) et le concours de Giodarno Gederlini. Ladj Ly, cinéaste autodidacte, est un habitué des tournages rapides en numérique dans sa cité Aux Bosquets de Montfermeil, sa ville natale. Durant des années, il a filmé des « copwatch » c’est-à-dire des interventions de la police, qu’il a ensuite transférées sur les réseaux sociaux. Il a acquis ainsi une certaine notoriété qui avec l’ouverture définitive de l’école de cinéma Kourtrajmé (gratuite) en 2018 lui a permis de trouver (difficilement !) le financement pour son premier opus (budget : 1,4 millions €).

Les Misérables dégage une énergie brute qui nous propulse dans un « road movie » circonscrit à quelques rues déglinguées, jonchées de détritus, bordées d’immeubles dégradés. C’est un espace à la fois ouvert mais étriqué, miné, piégé, qui exige une grande vigilance de la part des trois inspecteurs reclus dans leur véhicule : la tension est palpable alimentée par la vindicte verbale de Chris… Les 40 premières minutes du film sont une exposition de la réalité complexe et protéiforme de ce quartier jusqu'au pic dramatique… La suite (60 minutes), n’en est que le développement. 

Le récit se dévide à toute vitesse : il est haletant. Ce drame urbain se déploie comme une tragédie classique : unité d’action (recherche du voleur) de lieux (la cité) et presque de temps (2 jours avec une courte pose domestique : les 3 policiers dans leurs foyers). Ladj Ly et ses scénaristes ont évité le piège évident du film anti-policiers : la réalité est plus complexe qu’un manichéisme militant par nature hémiplégique et oublieux. Dans son film choral (une quinzaine de personnages !) il nous comble de bonheur en ne nous infligeant pas de rap (cliché musical) que nous nous apprêtions à subir !

Ce long métrage produit et réalisé hors des canaux cinématographiques habituels par une équipe technique légère (caméra à l’épaule, steadicam, prise de son directe) est doté d’une force de conviction qui a amené le jury du dernier Festival de Cannes a lui décerner le Prix du Jury. Il est de surcroît sélectionné pour représenter notre pays aux Oscars du film étranger 2020.

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Christian Bellon | 06/12/2019 16:36

Le récit de ce film et les commentaires qui l'accompagnent sont d'une grande qualité. C'est normal puisque c'est du Jean-Louis Requena. Merci

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