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Musique de la Semaine
Joaquin Rodrigo, marquis des jardins d'Aranjuez : 120ème anniversaire de la naissance d’un compositeur aveugle
Joaquin Rodrigo, marquis des jardins d'Aranjuez : 120ème anniversaire de la naissance d’un compositeur aveugle

| Yves Bouillier 1284 mots

Joaquin Rodrigo, marquis des jardins d'Aranjuez : 120ème anniversaire de la naissance d’un compositeur aveugle

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Joaquin Rodrigo enfant ©
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Joaquin Rodrigo, jeune homme ©
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Joaquin Rodrigo enseignant au piano ©
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Issu d'une famille modeste de dix enfants, Joaquin Rodrigo est un compositeur espagnol qui est né en 1901, à Sagunto, au nord de Valence. 

A l'âge de trois ans, il perd la vue en raison d’une épidémie de diphtérie, ce qui amène ses parents à s'installer à Valence pour lui permettre de fréquenter une école pour enfants aveugles. 

Son premier attrait pour la musique remonte aux représentations lyriques du théâtre Apollo où sa famille se rend régulièrement. Aussi, le petit Rodrigo commence très jeune des études musicales en apprenant le piano, le violon et la composition, études qu'il poursuivra au conservatoire de Valence de 1917 à 1922.

Dès ses premières compositions, Rodrigo les écrit en braille, mais ses parents décident d'employer une personne pour l'assister dans l'écriture des partitions. De ce fait, Rodrigo dictait au copiste chaque partie séparée de ses pièces, note par note, ce qui représentait un travail très laborieux et qui lui prenait beaucoup plus de temps pour composer une œuvre. Rafael Ibáñez, deviendra au fil du temps non seulement son copiste et son secrétaire mais il lui donnera également accès par la lecture à la littérature espagnole, à la philosophie et aux ouvrages les plus variés. 

Une de ses premières œuvres importantes est une page pour orchestre, intitulé Juglares  (Ménestrels) composée en 1923, et en 1925, Rodrigo remporte le deuxième prix au Concours national de composition avec ses cinq pièces enfantines. 

Après cela, Rodrigo se rend à Paris pour plusieurs années pour étudier avec Paul Dukas, et le lien entre Rodrigo et la France sera très étroit, à plusieurs titres ; Il étudie à l'Ecole Normale de Paris, ainsi qu'au Conservatoire de Paris et à la Sorbonne. Aussi, ses premières œuvres sont jouées à Paris et ses premières éditions ont été également faites par des éditeurs français. C'est également dans la capitale française qu'il rencontre pour la première fois la pianiste turque Victoria Kamhi  qui deviendra sa femme dévouée qui l'assistera jusqu'à la fin de sa vie dans l'écriture de ses compositions.  Enfin, il recevra plus tard, les plus hautes distinctions de la part du gouvernement français.

Dans les années 30, il fréquente le milieu musical parisien, et se rapproche notamment de Maurice Ravel et de Manuel de Falla. Pendant la guerre civile espagnole, Il résidera en France, en Allemagne, en Suisse et en Autriche, période durant laquelle il écrit plusieurs œuvres vocales d'une rare profondeur dont le Cantique de la femme d'après Saint- Jean de la Croix et le poème symphonique Per la flor del lliri blau pour orchestre à vents, pièce extrêmement puissante.

C 'est en 1939, alors que Rodrigo est à Paris pour encore quelques mois avant de rentrer en Espagne qu'il compose son célèbre concerto d'Aranjuez pour guitare qui sera créé le 9 novembre 1940 à Barcelone et qui apportera à Rodrigo une notoriété internationale. Cette œuvre tire son nom des jardins du Palais Royal d'Aranjuez, l'une des résidences des Bourbons d'Espagne. Elle survient à point nommé, au moment où la guitare qui manque alors de répertoire concertant, connaît un regain d'intérêt autour de la personnalité d'André Segovia, guitariste virtuose espagnol.

Ce concerto est une des œuvres les plus jouées dans le monde du répertoire classique et qui produit un impact émotionnel incroyable sur le public à chaque audition.

Joaquín Rodrigo a souhaité que son concerto transporte l'auditeur dans un autre espace et un autre temps. Il dit que son œuvre capture " les fragrances des magnolias, le chant des oiseaux, et les ruissellements des fontaines du jardin d'Aranjuez."

Joaquín Rodrigo et sa femme Victoria sont restés silencieux pendant de nombreuses années sur la création du second mouvement, ce qui permit la naissance d'une rumeur selon laquelle il serait inspiré du bombardement de Guernica en 1937. Mais finalement, dans son autobiographie, Victoria révéla qu'il s'agissait d'une évocation des jours heureux de leur lune de miel, ainsi que d'une réaction de Joaquín à la déception de la première grossesse infructueuse de Victoria. 

Je vous propose cette version toute récente et poignante qui a été donnée lors du traditionnel concert de la St Sylvestre de l'Orchestre Philharmonique de Berlin avec Sainz- Villegas comme soliste et un chef d'orchestre que j'aime tout particulièrement dont j'aurai le plaisir de vous proposer un jour un portrait dans Baskulture , il s 'agit du chef russe Kirill Pentrenko.

https://www.youtube.com/watch?v=7eAK7xpWAlA

Rodrigo écrit : 
« En 1939, je me trouvais debout dans mon petit appartement de la rue St Jacques, dans le centre du quartier latin de Paris. Je pensais vaguement au concerto de guitare que je devais composer lorsque soudain, j’entendis chanter dans mon intérieur le thème complet de l’Adagio, tout d’un coup, sans hésitation. Et à peine sans transition, le thème du troisième mouvement. Je me suis tout de suite rendu compte que l’œuvre était faite. Notre intuition, dans ce sens, ne se trompe pas. Si dans le cas de l’adagio et de l’Allegro final, c’est l’inspiration, cette force irrésistible et surnaturelle, qui m’a conduit à l'écrire, je suis arrivé au premier mouvement par la réflexion, le calcul et la volonté. Le premier mouvement est le dernier que j’ai écrit : j’ai donc terminé l’œuvre là où j’aurais dû la commencer. Bien que ce Concerto soit une œuvre purement musicale, sans aucun programme, en le situant à Aranjuez, site royal à 40 km de Madrid, j’ai voulu le placer à un moment historique concret : fin du XVIIIème siècle, début du XIXème, la Cours de Charles IV et Ferdinand VII, ambiance subtilement stylisée des caractères et tonalités espagnols.

Ensevelis sous les feuillages du parc qui entoure le Palais baroque d’Aranjuez résonne le Concerto, synthèse de musique classique et populaire, aussi bien dans sa forme que dans son sentiment. Son souhait : être souple comme un papillon et enveloppé comme une véronique (terme d’une passe des toréadors). Quel est le secret de cette œuvre qui plaît avec autant de délectation et provoque tant d’émotions et d’enthousiasme aux publics les plus variés, en qualité et en quantité, différents aussi dans leurs goûts, leurs coutumes et leurs races ? Sincèrement, je l’ignore. J’aurais trouvé le succès, la panacée, en un mot, la pierre philosophale de ma propre musique et de mon succès."

Considéré à tort comme l'auteur d'une seule œuvre, Rodrigo a été l'artisan d'un certain renouveau d'une musique espagnole du passé, qu'il a su faire revivre d'une manière nostalgique et colorée. Son œuvre rend en quelque sorte hommage aux cultures de l'Espagne, à la diversité des sources folkloriques et des influences reçues tout au long de l'Histoire du pays. Il a composé 170 pièces en s 'impliquant dans de nombreux registres allant de la musique instrumentale en solo, à la musique de chambre, aux œuvres concertantes, à la musique vocale, musique de scène, musique de film...

On peut dire que Rodrigo explora la nature hispanique de la guitare, faisant écho à la prestigieuse histoire des instruments à cordes pincées, qui remonte au XVIème siècle. De nombreux traits culturels ibériques (qu’ils proviennent de Catalogne, du pays valencien, qu’ils s’apparentent au flamenco ou aux mélodies populaires) ainsi que des éléments de musique européenne du nord des Pyrénées sont intégrés dans son écriture pour guitare et sa production demeure cruciale dans le développement de cet instrument depuis les années 1940.

Les compositions de Rodrigo pour la guitare seule ne comprennent pas plus de deux douzaines de titres, et pourtant le poids de ces œuvres est bien plus grand que leur somme, grâce à son extraordinaire perception de la nature de la guitare, qu’il développa pendant des décennies. Ses œuvres pour cet instrument vont de Zarabanda lejana (Sarabande lointaine) (1926) jusqu’à son ultime contribution au répertoire, Dos pequeñas fantasías (Deux petites Fantaisies) de 1987.  

Je vous propose de conclure donc avec une courte pièce de guitare ; une des 3 pièces espagnoles intitulée Zapateado.

https://www.youtube.com/watch?v=t7bGLJAkCjY

Notons enfin, qu'en 1992, le roi Juan Carlos nomme Rodrigo alors âgé de 91 ans 1er marquis des jardins d'Aranjuez.

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Joaquin Rodrigo avec son épouse Victoria Kamhi ©
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Les armoiries de Joaquin Rodrigo, premier marquis des jardins d'Aranjuez ©
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La partition du Concerto d'Aranjuez ©
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Joaquin Rodrigo, "Fantasia para un gentilhombre" ©
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Répondre à () :

Jacques de Cauna | 26/03/2021 14:58

Aranjuez, le rêve permanent et inatteignable de tout guitariste amateur... La beauté baudelairienne à l'état pur qui trône dans un ciel lointain : Je suis belle, ô mortels !, comme un rêve de pierre. Pas facile de se consoler avec le souvenir enfui des trémolos des jardins de l'Alhambra !

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