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Cinéma
En attendant la réouverture des cinémas : « l’Homme qui voulut être roi » (1975)
En attendant la réouverture des cinémas : « l’Homme qui voulut être roi » (1975)

| Jean-Louis Requena 1392 mots

En attendant la réouverture des cinémas : « l’Homme qui voulut être roi » (1975)

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John Huston ©
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Un projet mûri durant 25 ans

En janvier 1975, dans le sud marocain, le vétéran John Huston (1906/1987) commence le tournage de son trente quatrième opus : L’Homme qui voulut être roi (The Man Who Would Be King – 123’). Le réalisateur est un baroudeur cultivé, grand buveur, un homme d’excès, mais qui, à 69 ans, est malade : il souffre de crises d’emphysème qu’il soigne d’une drôle de manière … à la Huston. Court séjour dans une tente à oxygène sur le plateau, puis cigare et alcool ! Il a une réputation à tenir.

Après le succès mondial de de L’Odyssée de l’African Queen (The African Queen – 1951) réalisé en décors naturels en Afrique, John Huston recherchait une histoire aussi forte à porter à l’écran. Le scénariste de ce film d’aventure avec Humphrey Bogart (1899/1957) et Katharine Hepburn (1907/2003), Peter Viertel* (1920/2007) lui suggère de lire la nouvelle de l’écrivain britannique Rudyard Kipling (1875/1936) L’Homme qui voulut être roi parue en 1888 dans le recueil Wee Willie Winkie et Autres Récits. John Huston lit la courte nouvelle du prix Nobel de littérature (1907) et s’enthousiasme : il possède une histoire encore plus forte que ses précédents deux films d’aventures : Le Trésor de la Sierra Madre (1948) et L’Odyssée de l’African Queen ! 
Peter Viertel adapte la nouvelle mais le script ne plait pas au réalisateur qui entre temps a contacté des stars hollywoodiennes, amis, pour les deux rôles principaux : Clark Gable (1901/1960) qui est peu intéressé et Humphrey Bogart déjà souffrant. Entre temps John Huston, sorte de nomade du cinéma, tournant beaucoup de longs métrages (près de 2 par an !), s’installe en 1955, en Irlande, dans son manoir de Saint Clerans, loin des « poussahs Hollywoodiens ». 
Durant une vingtaine d’années, il fait reprendre le script par plusieurs scénaristes, et s’efforce d’arrêter un casting prestigieux : Robert Mitchum (1917/1997), Montgomery Cliff (1920/1966) et finalement Paul Newman (1925/2008) que John Huston souhaite associer à Robert Redford (1936) car ils ont fait ensemble deux gros succès au box-office : Butch Cassidy et le Kid (Butch Cassidy and the Sundance Kid – 1969) et L’Arnaque (The Sting 1973) de George Roy Hill (1921/2002). 
Paul Newman est enchanté par la dernière mouture du scénario rédigé par John Huston et sa collaboratrice habituelle Gladys Hill (1916/1981), son « couteau suisse » depuis 1962. Cependant, il décline l’offre, mais suggère deux noms d’acteurs britanniques : Michael Caine (1933) l’anglais cockney, et Sean Connery (1930/2020) l’écossais.

Le choix des deux acteurs principaux va s’avérer décisif car, suivant les paroles de John Huston, « Une fois que le casting dans un putain de film a été effectué correctement, la moitié du travail est fait, je peux me reposer ». Le réalisateur tenait à son image (fausse) de paresseux !

Un solide scénario, une aventure « hustonienne »

A part quelques modifications le scénario définitif suit le déroulé de l’histoire comme dans la nouvelle de Rudyard Kipling : vers 1880, aux Indes, deux amis britanniques, Daniel Dravot (Sean Connery) et Peachy Carnehan (Michael Caine) anciens militaires et francs-maçons (comme l’écrivain), aventuriers peu scrupuleux, racistes, caressent un rêve fou : entrer au Kâfiristân (enclave mythique, inviolée, au nord de l’Afghanistan et du Pakistan) pour y devenir roi. A Lahore, avec l’aide d’un journaliste britannique, Rudyard Kipling (Christopher Plummer) du « Northern Star », frères en maçonnerie, ils préparent leur expédition périlleuse vers cette région inexplorée du Kâfiristân autrefois halte ultime d’Alexandre le Grand (328 avant Jésus-Christ).

Leur itinéraire est particulièrement périlleux, semé d’embuches dont ils triomphent grâce à leurs connaissances militaires. En chemin ils rencontrent un Gurkha, le caporal Majendra (Saeed Jaffrey), surnommé Billy Fish. Après maintes péripéties, le trio finit par arriver à la ville sainte de Sikandergul fondée par Alexandre le Grand (Sikander en langue locale). Daniel Dravot est reconnu par le clergé comme un descendant de Sikander : il est couronné roi.

Mais Daniel Dravot prend son rôle au sérieux. Dédaignant le fabuleux trésor amassé, il souhaite refonder une dynastie en épousant la belle Roxanne (Shakira Caine) … La discorde s’installe entre les deux amis … Le clergé soupçonneux veille …

John Huston (1906/1987), un cinéaste baroudeur

John Huston est le fils unique du comédien Walter Huston (1883/1950) et de la journaliste Rhea Gore (1882/1938). Grand (1,88 m), élancé à la voix caverneuse reconnaissable, il fait ses premières armes à Hollywood en tant que scénariste d’une dizaine de films dont les plus notables sont : Insoumise (1938) de William Wyler, Sergent York (1941) de Howard Hawks, Juarez (1939) de William Dieterle, La Grande évasion (1941) de Raoul Walsh. En 1941, il signe sa première mise en scène Le Faucon Maltais (The Maltese Falcon) d’après le célèbre roman « hard-boiled » de Dashiell Hammett (1894/1961) avec Humphrey Bogart dans le rôle principal (le détective privé Sam Spade). Le film est un immense succès considéré, depuis lors, comme l’archétype du « film noir ».

Au cours de la Seconde Guerre Mondiale, John Huston est mobilisé dans l’équipe des cinéastes militaires de l’U.S. Army sous la direction du cinéaste Frank Capra (1897/1991). Il signe plusieurs documentaires dont La Bataille de San Pietro (The Battle of San Pietro – 1945) relatif à l’attaque de la ville de San Pietro (entre Naples et Rome par la 5 ème armée américaine en décembre 1943), et Que la lumière soit (Let there be light – 1946) document émouvant sur le traitement psychiatrique des blessés de guerre.

En 1948, il réalise son film le plus connu : Le Trésor de la Sierra Madre (The Treasure of Sierra Madre) adaptation du livre de B. Traven (1882/1969) avec Humphrey Bogart et son père Walter Huston qui lui vaudra les Oscars du meilleur réalisateur et de la meilleure adaptation. Son père obtiendra l’Oscar du meilleur second rôle masculin.

En 1951, en Afrique centrale, pour les scènes en extérieurs, il réalise un long métrage, comédie romantique sur fond de Première Guerre Mondiale, promis à un triomphe international : L’Odyssée de l’African Queen (The African Queen) avec son complice Humphrey Bogart et Katharine Hepburn. Humphrey Bogart remporte l’Oscar du meilleur acteur.

On peut considérer en examinant la filmographie de John Huston (44 films de 1941 à 1987) que Le Trésor de la Sierra Madre (1948), L’Odyssée de l’African Queen (1951) et L’Homme qui voulut être roi (1975) constituent une trilogie sur le thème qui parcourt toute l’œuvre cinématographique du réalisateur : L’aventure éperdue, folle, afin d’échapper à son morne destin avec un échec, au terme de celle-ci. Mais seule la volonté de réussite du personnage hustonien compte en définitive : Fred C. Dobbs (Le Trésor de la Sierra Madre) et Charlie Allnutt (L’Odyssée de l’African Queen) tous deux interprétés par Humphrey Bogart, ou Daniel Dravot (L’Homme qui voulut être roi) incarné par Sean Connery sont du même acier : ne jamais renoncer, tout assumer.

Ses derniers feux

Après L’Homme qui voulut être roi (1975), à 70 ans, John Huston poursuit sa carrière (10 longs métrages !) avec une filmographie étonnante, en « aventurier de la pellicule » alternant les films sans grand intérêt manifestement alimentaires, avec des adaptations littéraires soignées ou l’on retrouve ses thèmes de prédilection : Le Malin (Wise Blood – 1979) belle adaptation du roman éponyme de l’américaine Flannery O’Connor (1925/1964), Au-dessous du volcan (Under the Volcano – 1984) inspiré du chef-d’œuvre de l’écrivain britannique Malcolm Lowry (1909/1957) livre réputé inadaptable, L’Honneur des Prizzi (Prizzi’s Honor – 1985) d’après le roman de Richard Condon (1915/1996), sorte d’anti Parrain (The Godfather – 1972) jouissif. Son dernier opus, Gens de Dublin (The Dead – 1987) d’après la nouvelle Les Morts (The Dead) de l’écrivain irlandais James Joyce (1882/1941) est une œuvre déchirante avec sa fille Anjelica Huston dans le rôle principal (Gretta Conroy), et son fils Danny comme assistant. 

John Huston très malade durant le tournage, mourra peu après la fin de celui-ci d’un emphysème le 28 août 1987. Son œuvre posthume, Les Gens de Dublin (The Dead) sera unanimement saluée par la critique internationale.

En un demi-siècle d’activité artistique, John Huston, en franc-tireur, loin d’Hollywood, a créé une œuvre cinématographique certes inégale, mais avec quelques réjouissants joyaux grâce à son talent de conteur.

*Peter Viertel est à l’origine de l’introduction du surf en France. En effet, durant le tournage du film Le soleil se lève aussi (The Sun Also Rises - 1957) dont il était le scénariste, il fit venir des États-Unis à Biarritz sa planche de surf avec le matériel cinématographique prévu pour le tournage. C’est ainsi que de jeunes biarrots virent pour la première fois, un surfeur sur la Côte des Basques.

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