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Cinéma
Cinéma basque : de « Ramuntcho » à « Veronica »
Cinéma basque : de « Ramuntcho » à « Veronica »
© L’affiche de « Ramuntcho »

| Alexandre de La Cerda 1059 mots

Cinéma basque : de « Ramuntcho » à « Veronica »

A l’occasion de la disparition en 1993 de l’ancien maire de Sare et président des maires du Labourd, j’avais eu l’occasion de rappeler (notre « Lettre » du 3 avril) le tournage à Sare du film « Ramuntcho » (1937) : à côté d’acteurs très célèbres à l’époque, tels Louis Jouvet, Madeleine Ozeray, Françoise Rosay et Paul Cambo dans le rôle-titre, cette production avait largement fait appel aux gens du village. Parmi les figurants, on remarque ainsi Paul Dutournier et on distingue la voix de Luis Mariano qui faisait partie de la chorale « Eresoinka », réfugiée à Sare à l’issue de la guerre civile en Espagne. Le premier « lehendakari » ou président basque Jose Antonio Aguirre avait dû s'exiler, non sans avoir rassemblé dans cette magnifique chorale les plus belles voix du pays, témoignage d'espérance ultime en l'avenir d'Euzkadi, que rejoignirent à Sare les artistes lyriques basques dispersés sur les scènes les plus prestigieuses, depuis Pepita Embil, la mère de Placido Domingo, à Luis Mariano qui y fit ses débuts.
On était en plein tournage de « Ramuntcho », les belles voix d'Eresoinka auxquelles se mêlaient les Saratars remplaçant avantageusement les figurants de la première version, muette, réalisée dix-huit ans plus tôt.
Le jeune Paul Dutournier, qui n'était pas encore maire, participait activement aux opérations et sa mère, recevant tous ces gens à bras ouverts pour mieux leur faire aimer le pays, logeait dans sa maison les principaux interprètes du film. Dans une grande ferme attenante, avaient été confortablement installés pas moins de vingt-deux réfugiés, frères de malheur que secouraient des voisins compatissants.
On organisait sur les terrasses tous les soirs, après les prises de vues, de sympathiques grillades de moutons pour les artistes que rejoignaient des résidents de Biarritz et des villas alentour, ainsi que la jeunesse dorée du pays, Sare constituant un prolongement traditionnel pour les célébrités en séjour sur la Côte…
Venu en voisin depuis Hendaye, le commissaire divisionnaire des renseignements généraux assistait aux tours de manivelle et en profitait pour observer ce qui se passait dans cette enclave frontalière proche des zones troublées espagnoles. Paul Dutournier avait spontanément sympathisé avec ce Tourquennois, ayant lui-même effectué un stage professionnel à Tourcoing et à Lens. C'est dans cette ambiance animée que survint un jour le cabriolet chic de la « journaliste » de choc Magda Fontanges. De son vrai nom Madeleine Coraboeuf - elle avait pris son pseudonyme du nom d'une maîtresse de Louis XIV - cette jolie jeune femme, ancienne attachée de presse à l'ambassade française à Rome qui aurait eu quelque aventure avec Mussolini, s’était faite expulser d’Italie à la suite d’intrigues et d’une plume trempée dans le fiel. Après avoir envoyé (en mars 1937) une décharge de plombs dans le gras des fesses de l'ambassadeur de France à Rome Charles de Chambrun qu’elle estimait responsable de sa disgrâce, elle résolut de rejoindre à Fontarabie « son ami » le maréchal Graziani et fit appel, dans ce but, à Paul Dutournier. 
Graziani campait au milieu de l'état-major du corps expéditionnaire italien à l'hôtel Jaureguy de Fontarabie, la frontière était fermée, mais à contrebandier basque, digne émule de Ramuntcho, rien d'impossible - surtout quand on descend des « travailleurs de la nuit » qui avaient procuré aux bataillons carlistes des canons Krupp cachés dans des pianos à queue.
Or, quelques jours plus tard, le commissaire divisionnaire proposait un marché à notre passeur : « Ecoutez Dutournier, Magda Fontanges est en train de flanquer la panique au sein de l'état-major italien et espagnol, à commencer par le maréchal. Débrouillez-vous pour qu'elle revienne en France et je vous donne ma parole d'honneur que si elle quitte la circonscription dont je suis responsable, vos amis d'Eresoïnka pourront rester à Sare. »
Chose promise, chose due ! Magda Fontanges fut rapatriée en France par le même procédé qu’à l’aller…
Et, en quarante-huit heures, sur les conseils du commissaire Maurice Sangla, du maire de Bayonne Pierre Simonet et du sous-préfet Pierre Daguerre, Paul Dutournier formait une association « française » qui permettait à Eresoinka de rester (légalement) à Sare et de rayonner avec succès dans le monde entier. D'Oldarra à Etorki et bien d'autres, presque toutes les chorales qui fleurirent chez nous après-guerre lui sont redevables…
Les souvenirs de Guy d’Arcangues
« En ce qui concerne le tournage du film « Ramuntcho », j’y ai moi-même assisté à Sare, j’avais treize ans, en compagnie de mon père qui connaissait bien Jouvet. C’est à cette occasion que j’eus la chance d’être le témoin du formidable numéro de « contrebande » qu’exécuta sous nos yeux Paul Dutournier. En effet, devant tous les douaniers officiels convoqués spécialement en tant que figurants pour le tournage, et auxquels le metteur en scène avait demandé, pour cette « prise », de se tenir sagement cachés derrière les arbres, « Popaul » réussit à faire passer la frontière espagnole, pour les besoins du film, mais en fait pour sa convenance personnelle, à quelques dizaines de chevaux « pottoks », au nez et à la barbe de la maréchaussée ! L’histoire est restée célèbre à Sare, où l’on en rit encore ».
Le 7ème Art au Pays Basque
Le film « Ramuntcho » a été restauré par les Archives Françaises du Film dans le cadre du plan de sauvegarde des films anciens du Ministère de la Culture. Il y a quelques années, l’historien de Sare Jacques Antz s’était lancé à la recherche du film « Veronica » tourné en 1923 par Maurice Chaillot d’après la nouvelle « Quand le passé commande » de Mayi Elissague. Les très belles prises de vues avec des acteurs locaux (Ramiro Arrue en jeune premier et de vieux métayers de Souraïde, entre autres) avaient fait dire à Pierre Espil qu’il s’agissait d’une des meilleures réalisations consacrées au Pays Basque. Une véritable enquête avait mené Jacques Antz depuis l’Argentine où une copie du film aurait été laissée par l’Abbé Blazy qui avait parcouru l’Amérique du Sud en quête de fonds pour le petit séminaire d’Ustaritz… Jusqu’au tréfonds des « Archives françaises du Film »  : avis aux cinéphiles, si l’on pouvait remonter la piste pour retrouver une copie de ce film, contacter Jacques Antz à jacquesantz@orange.fr ou au tél. 05 59 54 66 22). Par ailleurs, l’association Jakintza avait naguère en sa possession « Au pays des Basques », premier film chanté tourné en 1930 par la Gaumont d’après le livre de Gaëtan Bernouville (tél. 06 83 13 92 40). Après la guerre, on tournera encore à Sare le « Mariage de Ramuntcho » auquel la revue « Nous deux » consacrera plusieurs numéros.

Alexandre de La Cerda

Légende : l’affiche de « Ramuntcho »

 

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