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Cinéma
"As bestas" (137’) - Film en coproduction hispano-française de Rodrigo Sorogoyen
"As bestas" (137’) - Film en coproduction hispano-française de Rodrigo Sorogoyen

| Jean-Louis Requena 749 mots

"As bestas" (137’) - Film en coproduction hispano-française de Rodrigo Sorogoyen

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As bestas de Rodrigo Sorogoyen ©
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Galice, Espagne du nord-ouest. Trois hommes se jettent sur des chevaux sauvages qu’ils empoignent : deux s’agrippent à l’encolure, le troisième saisit la queue de l’animal. Leur but : contraindre l’équidé à se coucher sur le sol. Ce sont des « aloitadores » qui une fois l’animal immobilisé, à grand peine, lui coupent la crinière. Une coutume ancestrale, brutale, de domination de l’humain sur l’animal.

Dans la pénombre d’un café du village de cette région reculée, montagneuse, un homme à l’aspect farouche, sec, Xan (Luis Zahera) vitupère avec force insultes et jurons en galicien, en castillan, sur ses amis et, en final, s’en prend au « francès de mierda », Antoine (Denis Ménochet) qui quitte l’estaminet. Le frère de Xan, Lorenzo (Diego Anido) écoute avec attention la logorrhée offensante de son frère ainé. Le duo est voisin d’Antoine et de sa femme Olga (Marina Foïs), deux français venus s’installer dans ce lieu retiré où ils cultivent un potager selon les méthodes écoresponsables tout en restaurant les granges et autres constructions effondrées alentour. L’environnement est rude, mais ils l’ont choisi en tout état de cause et s’y plaisent. Le couple est soudé, solidaire dans cette démarche. Aux marchés, ils vendent avec succès les produits de leur exploitation. Xan et Lorenzo, leurs voisins immédiats, paysans du cru, sans éducation, frustres, souvent alcoolisés, les haïssent : les français n’ont pas, en accord avec leurs convictions, signé le document autorisant l’implantation d’éoliennes aux sommets des monts environnants. La pluie d’euros promise par les installateurs s’est éloignée …

La querelle de voisinage s’envenime malgré la bonne volonté d’Antoine et d’Olga. Peu à peu la situation dégénère avec les deux frères, de plus en plus agressifs, sous l’emprise de l’alcool. Xan hurle « je suis chez moi, mais pas toi !». La situation devient oppressante …

As bestas est le sixième long métrage de Rodrigo Sorogoyen (40 ans). Nous l’avons découvert avec un thriller psychologique Que dios nos perdone (2016) prix du meilleur scénario au Festival de San Sébastian avec un remarquable acteur : Antonio de la Torre. Puis, avec le même comédien El Reino (2018) sur les bas-fonds de la corruption politique espagnole avec un époustouflant plan séquence de 12 minutes ! El Reino remporta sept goya dont celui du meilleur réalisateur, du meilleur scénario et du meilleur acteur pour Antonio de la Torre. Nous retrouvons Rodrigo Sorogoyen avec Madre (2020) une coproduction franco-espagnole dans le Landes (Vieux Boucau) sur une mère espagnole ne parvenant pas à faire le deuil de son enfant mystérieusement disparu. Dans As bestas avec son équipe habituelle, Isabel Pena co-scénariste, son directeur de la photo, Alex De Pablo, et la musique stressante d’Olivier Arson le metteur en scène nous distille un thriller rural éprouvant.

En effet, Rodrigo Sorogoyen oppose avec maestria, un couple de français cultivé ayant fait le choix de ce rude mode de vie (agriculture biologique), avec des villageois incultes, bornés, vivant avec peu de ressources dans un univers dont ils rêvent de sortir. C’est un choc frontal de culture citadine/sachant contre la paysanne/ignare. Dans cet affrontement qui semble inéluctable, tant les positions sont irréconciliables, Rodrigo Soroyen a choisi des protagonistes aux physique opposés : Xan et son frère Lorenzo sont efflanqués, noueux, alors qu’Antoine et grand, massif. Olga est l’intervenante médiatrice jusqu'à… un certain point. 

Le réalisateur ne cherche pas à nous épater mais sa maîtrise technique, toutefois présente sur l’écran (plans fixes, soins du cadre, images sombres, etc.) ; chaque scène est comme une évidence sans esbrouffe. Il rétrécit volontairement son vocabulaire cinématographique (images, sons) afin de ne pas nous égarer en subtilité psychologique : c’est une œuvre physique ou les hommes (et les femmes !) évoluent dans un décor rustique, aux images pénombreuses (le café, les fermes, les habitations, les sous-bois, la forêt, etc.). 
Nous sommes dans un huis clos en plein air ! Sur une thématique proche (des étrangers dans une communauté fermée en Irlande), nous sommes fort éloigné du film du célèbre réalisateur américain Sam Peckinpah (1925/1984), les Chiens de Paille (1971) ou ce dernier déchaine visuellement une violence spectaculaire en conclusion de son œuvre (acteur principal : Dustin Offman). Dans As bestas, le spectaculaire est banni, absent de l’écran, et ainsi d’autant plus inquiétant.

Les acteurs, tous remarquables, s’expriment en trois langues, accentuant ainsi l’authenticité du récit : Xan (Luis Zahera) et son frère Lorenzo (Diego Anido) en galicien et castillan ; Antoine (Denis Ménochet) et Olga (Marina Foïs) en français et castillan.

As bestas a été présenté au Festival de Cannes 2022 dans la section Cannes Première (projections hors compétition). Il méritait de participer pleinement à la Sélection Officielle !

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