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La critique de Jean-Louis Requena
The Card Counter (112’) - Film américain de Paul Schrader
The Card Counter (112’) - Film américain de Paul Schrader

| Jean-Louis Requena 749 mots

The Card Counter (112’) - Film américain de Paul Schrader

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"The Card Counter" de Paul Schrader ©
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Tye Sheridan dans "The Card Counter" ©
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- Une prison militaire aux États-Unis. William Tell (Oscar Isaac), un ancien militaire, y est incarcéré depuis huit ans. Pour tuer le temps, il lit des ouvrages de philosophie de stoïciens (Pensées pour moi-même de Marc Aurèle), et manipule des cartes à jouer afin d’établir des lois de probabilités. Taciturne, renfermé, sujet à de brusques pulsions masochistes, il attend sa libération.

Une fois libéré, William Tell fréquente les casinos, de villes en villes, pour y jouer au Black Jack dont il maîtrise la logique qu’il a longuement étudiée dans sa cellule. Il ne joue que de petites sommes, peu motivé par l’appât du gain qui, selon ses calculs, profitera en définitive à la banque. C’est un petit joueur consciencieux : à la fin de chaque longue session de jeu, il est toujours gagnant. Il est très discret ; vit dans des chambres anonymes de motels quelconques et n’engage aucun lien personnel avec quiconque.

Au fil du temps, William Tell accède à de grands casinos où il commence à jouer au poker toujours aussi discrètement. Un jour, il est remarqué par une femme noire, La Linda (Tiffany Haddish), une imprésario, qui dirige un groupe de joueurs professionnels sponsorisés. Elle propose à William Tell de rejoindre son « team » et d’y partager les gains. Ce dernier refuse l’offre : il veut rester indépendant et vivre à sa façon.

Dans ses pérégrinations de casino en casino, William Tell rencontre un jeune homme Cirk (Tye Sheridan) porteur d’un lourd secret : son père s’est suicidé après avoir été condamné pour tortures dans la prison américaine d’Abou Ghraïb en Irak. C’était un simple soldat, mais des photos ont été publiées ou il apparaît menaçant … les gradés ont été épargnés et depuis ont réalisé de belles carrières dans le civil. Cirk veut le venger …

William Tell, Cirk et parfois La Linda, forment un trio disparate qui sillonne les casinos de l’Amérique profonde en attendant d’accéder au graal des joueurs professionnels : les World Séries of Poker de Las Vegas (Nevada). Cependant Cirk, jeune homme troublé, ne cesse de faire renaître chez William les fantômes du passé…

The Card Counter est le vingt et unième long métrage de Paul Schrader (75 ans) qui poursuit au États Unis une carrière étonnante de scénariste (1975 : Yakuza de Sydney Pollack) et de cinéaste (1978 : Blue Collar). Il a été le scénariste de deux chefs d’œuvre de Martin Scorsese : Taxi Driver (1976), Palme d’or au Festival de Cannes et Raging Bull (1980). Ces deux films traitent du sujet central qui hante la filmographie de Paul Schrader : un homme solitaire, violent, s’autodétruit (Travis Bickles, le chauffeur de taxi new-yorkais ; Jake La Motta le boxeur professionnel) avant leur rédemption finale. C’est ce long voyage en enfer que les films de Paul Schrader décrivent dans nombre de ses œuvres scénaristiques ou filmographiques (American Gigolo - 1980 ; Light Sleeper - 1992). Paul Schrader est issu d’une famille calviniste du Michigan, où la foi chrétienne est rigoureusement observée suivant des préceptes intangibles. Même s’il semble aujourd’hui s’en être détaché, il demeure imprégné de valeurs rigoristes : on ne se débarrasse pas ainsi de son enfance. Ce n’est que tardivement, à 18 ans ( !) qu’il découvre le cinéma qui bouleversera sa vie. Devenu critique de cinéma, il écrit en 1972 un ouvrage sur ses trois maîtres dans le 7ème art : le français Robert Bresson (1901/1999), le japonais Yasujiro Ozu (1903/1963) et le danois Carl Theodor Dreyer (1889/1968). Trois cinéastes connus pour leur formalisme, leur rigorisme, leur ascétisme et leurs refus de tout compromis avec l’industrie cinématographique.

Deux films de Robert Bresson ont singulièrement influencé le cinéaste américain : Le Journal d’un curé de campagne (1951) d’après le roman homonyme de Georges Bernanos (1888/1948) publié en 1936, et Pickpocket (1959). Dans The Card Counter, ont retrouve certains cadrages précis et « froids », la passivité, le détachement (apparent) du personnage principal, la tenue d’un journal intime et la voix off, atone, du « héros ». Le dernier opus de Paul Schrader nous propose un récit minutieux qui paradoxalement semble errer, « flotter », avant sa conclusion brutale : William Tell parachève son tragique destin.

Le comédien Oscar Isaac (William Tell) a adopté un jeu minimaliste en accord avec son environnement (chambres de motels impersonnelles, casinos semblables, salles de jeux identiques) dont il s’extrait en manipulant et comptabilisant les cartes, le visage impassible. Sa froideur n’est qu’apparente ; le feu de l’enfer brûle en lui.

The Card Counter a été retenu dans la sélection officielle de la Mostra de Venise 2021 et au Festival du cinéma américain de Deauville 2021 (hors compétition).

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"The Card Counter" de Paul Schrader ©
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