Le conseil municipal luzien a récemment attribué à la venelle située entre le 7 et le 9 de la rue de la république (l’ancienne « Rue Montante) le nom de « Maria Meharra, Reine des Kaskarot de Saint Jean de Luz – Maria Meharra karrika, Donibane Lohizuneko Kaskaroten erregina ».
Salvador Paul Leremboure, ancien maire de Saint-Jean-de-Luz, livrait en 1818 le portrait de Maria Meharra, habitante de la cité portuaire :
« Les Kaskarot eurent, jusqu’à ces derniers temps, à Saint-Jean-de-Luz, pour tout le Labourd, une femme à laquelle ils donnaient le titre de Reine, lui en attribuaient l’autorité et lui obéissaient en cette qualité. Elle exerçait sur eux un empire absolu.
La dernière, publiquement connue, s’appelait Maria Meharra.
Lorsque l’on avait perdu des objets de quelque importance, on s’adressait à elle, et, s’ils avaient été enlevés par quelqu’un de ses sujets, elle les rapportait fidèlement au bout de trois ou quatre jours.
Quand sa caste éprouvait quelque besoin extraordinaire, ou quelque maladie épidémique, la Reine s’adressait avec confiance aux premières maisons qui lui fournissaient des secours proportionnés, outre les aumônes que l’on faisait tous les samedis aux bohémiens. C’était une espèce de contrat tacite et synallagmatique.
Cette singulière princesse a régné pendant quarante-cinq ans dans la misère. Elle avait une excellente tête, parlait avec aisance et grâce, et prétendait descendre des anciens princes égyptiens.
Elle régnait, comme aînée, par droit de succession et comme ses prédécesseurs jusqu’à elle. Ses aïeux, d’après la tradition, avaient été constamment reconnus pour chefs de ce que les bohémiens appellent leur nation».
Maria Meharra joua un rôle essentiel et respecté pour l’intégration des Kaskarot dans la population luzienne, pour la difficile acceptation de la présence de bohémiens au Pays Basque ».
Une ascendance encore « controversée »
Etaient-ils descendants des cagots, des bohémiens ou des morisques, ces kaskarots ? Ou peut-être un « mélange » de ces trois composantes qui se sont fondues au cours des siècles ? Chaque thèse a ses disciples…
Si pour Jacques Sales, auteur d’une étude sur les Cascarots de Ciboure, la présence de ces cascarots proviendrait de l’expulsion des Morisques du royaume d’Espagne actée en 1609 pour avoir participé à des rébellions avec les barbaresques encouragées par Henri IV qui y voyait une possibilité d’affaiblir la dynastie régnante des Habsbourg, l’historien local Jacques Ospital, du livre « Kaskarotak » penche davantage pour des gens du voyage communément appelés Bohémiens avoir été dénommés « Egyptoneak » (en latin, Egyptianis). C’est l’appellation de « bohème » qui figure sur les actes de la vie civile ou religieuse, lorsqu’ils sont rédigés en français, alors que les transcriptions en langue basque les dénomment « Kaskarots ».
Vraisemblablement, leurs descendants avaient constitué une communauté qui s’était établie sur les bords de la Nivelle. Les femmes, qu’on disait fort belles et peu farouches, couraient jusqu’à Bayonne vendre le poisson : elles faisaient rêver les notables et les polissons. Les hommes kaskarots, en mer, se livraient au dur métier de la pêche.
Au cours des siècles les Kaskarots étaient ainsi devenus partie intégrante de la population des deux villes contiguës de Saint-Jean-de-Luz et Ciboure. Cela au point qu’au Pays Basque, il était coutumier, jusqu’à un période toute récente, de désigner sous le terme de kaskarot les gens de ces deux villes portuaires. De plus l’art de la répartie et l’esprit gouailleur que l’on retrouve chez nombre d’habitants de ces deux villes est considéré comme relevant de l’esprit kaskarot.
Dans « Études Tsiganes », Jacques Ospital note : « Que de chemin parcouru entre l’arrivée, il y a plus de quatre siècles, de pauvres gens du voyage, pourchassés et méprisés, et la place prise par leurs descendants dans la cité. Pour cela plusieurs facteurs sont intervenus.
En premier lieu, les Bohémiens se sont sédentarisés. Selon certaines sources historiques, ils auraient bénéficié des destructions et incendies des deux cités par les Espagnols, en 1636, en occupant les maisons abandonnées par la population qui avait fui… »
Les dernières vendeuses de poisson ont disparu dans les années cinquante. Jacques Ospital connaissait bien les dernières « Cascarotes », au caractère bien trempé et au verbe haut. Chenel, Tran Tran et Marie Masalia, qui habitaient rue de la République, arpentaient les rues de la ville en poussant leur charrette à bras et criant : « Arraina bizi-bizia (poisson frais) ».
Dans son livre, Jacques Ospital cite la description des kaskarots par Henri Léon : « Les femmes, devenues basquaises, marchèrent dans ces bataillons si renommés de marchandes de sardines qui, pieds nus, jupes retroussées et laissant voir une jambe nerveuse, allaient leur corbeille à la tête, en courant sans désemparer de Saint-Jean-de-Luz à Bayonne, porter et crier le poisson qui venait d’être débarqué ».
Capables de marcher « six lieues en moins de deux heures », elles portaient sur leur tête des paniers en osier, chargée d’un fardeau de 30 à 60 livres.
Une page de l’histoire luzienne s’est tournée quand elles ont pris leur retraite. Mais l’esprit « kaskarot » transpire encore sur la baie. « Quand vous allez au Pays basque intérieur et que vous dites que vous êtes de Saint-Jean-de-Luz ou de Ciboure, on dit souvent : “Ah vous êtes kaskarot !” ».
Signalons encore que les Kaskarots sont aujourd'hui partie prenante également des carnavals labourdins...