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Cinéma
R.M.N (125’) - Film Roumanie/France/Belgique de Cristian Mungiu
R.M.N (125’) - Film Roumanie/France/Belgique de Cristian Mungiu

| Jean-Louis Requena 715 mots

R.M.N (125’) - Film Roumanie/France/Belgique de Cristian Mungiu

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R.M.N de Cristian Mungiu ©
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Cristian Mungiu ©
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Un garçonnet de 8 ans, Rudi (Mark Blenyes), traverse une forêt pour se rendre à l’école. Soudain il se fige, apeuré, puis s’enfuit en courant : quelque chose de terrifiant s’est dressé devant lui. La peur l’a rendu mutique : il ne parle plus. Nous sommes en Roumanie, dans la région de Transylvanie multi-ethnique, où, après les soubresauts de l’histoire, cohabitent Roumains, Hongrois, Allemands et même quelques Roms. Chacun parle dans sa langue, mais certains, pour se comprendre s’expriment dans un anglais rudimentaire. La mondialisation a atteint cette province reculée … Des hommes, dans la force de l’âge, s’exilent pour échapper à la pauvreté.

Après une altercation dans un abattoir pour moutons, en Allemagne, où il est ouvrier, Matthias (Marin Grigore) retourne en Roumanie, dans son village natal. Il retrouve sa femme Ana (Macrina Bârladeanu), peu ravie de son retour inattendu, son fils muet depuis sa vision de « quelque chose de mal » dans la forêt, et, rapidement son ancienne maitresse Csilla (Judith State) belle femme trentenaire, cadre dans une boulangerie industrielle. 
Durant ses moments libres, cette dernière répète au violoncelle des phrases musicales, et en particulier, la mélodie d’In the Mood for Love (2000) du cinéaste hongkongais Wong Kar-wai. En accord avec la patronne de l’entreprise, Madame Dénes (Orsolya Moldovan), elle instruit un dossier pour obtenir des subventions de l’Union européenne. 
En attendant, Csilla placarde des affiches dans le village : la boulangerie industrielle est à la recherche d’employés pour répondre à la demande. Aucun candidat ne se présente ! Sans arrêter l’instruction du dossier de subventions, Madame Dénes, en accord avec Csilla, décide d’engager trois Sri-lankais, anglophones, au sein de son entreprise.

L’arrivée des Sri-lankais ravive de vieilles tensions dans le village … Mathias, désœuvré, circule en moto, entre Rudi son fils, toujours muet, Ana sa femme, et son ancienne maîtresse Csilla. Il est désemparé par le peu d’intérêt qu’il suscite depuis son retour. De surcroit, son père Papa Otto (Andrei Finti) semble avoir une tumeur au cerveau : il doit passer une I.R.M (R.M.N : Rezonanta Magnetica Nucleara en Roumain).

Durant ce temps, l’effervescence monte d’un cran au village où des propos et des actes xénophobes se multiplient …

Avec son dernier opus R.M.N, le réalisateur roumain Cristian Mungiu (54 ans) explore à nouveau, avec acuité, « les entrailles » de son pays : la Roumanie, mais aussi de la place de celle-ci, au sein de l’Union Européenne, dans le cadre de la mondialisation. 
En 2007, 4 mois, 3 semaines, 2 jours traitait du difficile problème de l’avortement sous l’ère de Ceausescu (1918/1989), (« le Conducator », « le Génie des Carpathes ! ») et obtenait la Palme d’Or lors de la 60ème édition cannoise. 
En 2012, toujours au Festival de Cannes, Au-delà des collines narre dans un monastère un exorcisme (Prix du scénario, et double Prix d’interprétation féminine pour les deux comédiennes) ; puis en 2016 Baccalauréat portrait d’un médecin intègre qui se corrompt afin que sa fille obtienne d’une manière ou d’une autre, le fameux diplôme.

Cristian Mungiu a élaboré, depuis ses débuts, un langage cinématographe particulier : de longs plans séquences maîtrisés qui permettent à ses interprètes de se livrer/se libérer totalement dans la durée de la scène. Dans ses œuvres, il instille quelques plans séquences d’une grande virtuosité mais jamais gratuits. 
Ainsi dans R.M.N, une séquence extraordinaire de 17 minutes (une éternité dans un film !) sur une réunion houleuse des villageois dans la salle des fêtes de la commune. Le plan est fixe, ce qui permet au spectateur de détailler l’image et d’appréhender (en plusieurs langues sous-titrées de couleurs différentes : roumain, hongrois, allemand !) les motivations, interjections, invectives, des villageois en colère ; les mécanismes de rejet de corps étrangers (les Sri-lankais, le français membre d’une O.N.G écologique) dans leur écosystème. Les villageois en colère, avec au premier plan Matthias, Csilla, madame Dénes sont dans le cadre, mais des voix off qui exposent, interrogent (le maire, le curé) sont hors cadre. Le mal être vindicatif de cette assemblée est ainsi, au visionnage, singulièrement renforcé.

R.M.N a été projeté en sélection officielle au Festival de Cannes 2022 … et n’a obtenu aucune récompense ce qui nous parait injuste compte tenu de l’originalité de ce sixième long métrage de Cristian Mungiu, un rien dérangeant. R.M.N n’est pas un film aimable, tant s’en faut, mais il dresse un constat lucide de nos démocraties occidentales. A ce titre, il est nécessaire.

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