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Histoire
Quand le Roi de France et de Navarre demandait l'abolition de la traite aux Etats-Généraux, le 5 mai 1789
Quand le Roi de France et de Navarre demandait l'abolition de la traite aux Etats-Généraux, le 5 mai 1789

| Jacques de Cauna 1735 mots

Quand le Roi de France et de Navarre demandait l'abolition de la traite aux Etats-Généraux, le 5 mai 1789

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La bibliothèque du château de Caumale, siège de la Fédération des Amis de Gascogne, recèle quelques trésors d'archives dont l'un nous est apparu au cours de notre dernière visite. 
Il s'agit d'un opuscule papier de 127 pages cousues à la main et intitulé :  Ouverture des Etats-Généraux faite à Versailles le 5 Mai 1789. Discours du Roi ; discours de M. le Garde des Sceaux; Rapport de M. le Directeur Général des Finances fait par ordre du Roi, à Paris, de l'Imprimerie Royale, M DCC LXXXIX [1789].

Le Discours du Roi proprement dit n'occupe que quatre pages et se résume à de grandes généralités dont on retiendra surtout les deux paragraphes qui suivent, le premier concernant l'état des esprits et le second, le vœu pieux d'une entente générale : "La dette de l'Etat, déjà immense à mon avènement au trône, s'est encore accrue sous mon règne : une guerre dispendieuse, mais honorable, en a été la cause; l'augmentation des impôts en a été la suite nécessaire, et a rendu plus sensible leur inégale répartition. Une inquiétude générale, un désir exagéré d'innovations, se sont emparés des esprits, et finiroient par égarer totalement les opinions, si on ne se hâtoit de les fixer par une réunion d'avis sages et modérés [...]
Puisse, Messieurs, un heureux accord régner dans cette assemblée, et cette époque devenir à jamais mémorable pour le bonheur et le prospérité du royaume! C'est le souhait de mon cœur, c'est le plus ardents de mes vœux, c'est enfin le prix que j'attends de la droiture de mes intentions et de mon amour pour mes peuples.
Mon Garde des Sceaux va vous expliquer plus amplement mes intentions; et j'ai ordonné au Directeur général des finances de vous en exposer l'état."

Après l'éloge de circonstances du Roi par Barentin (Charles-Louis-François de Paule de), pages 7 à 22, c'est surtout le long exposé de Necker, qui couvre le reste de l'ouvrage, qui nous a intéressés d'autant qu'il est la plupart du temps exécuté sommairement par les historiens sous prétexte d'avoir paru trop long, trop technique, et finalement ennuyeux au possible, à l'origine même des turbulences qui ont suivi dans l'Assemblée.

Après les les définitions d'usage et l'exposé général de la situation, on y trouve notamment, dans la neuvième et dernière partie de la Première Classe, les Améliorations qui appartiennent aux délibérations des Etats-Généraux, l'expression très claire de la volonté royale sur le sujet de l'esclavage et plus particulièrement de la traite. Necker rappelle d'abord que cette volonté s'inscrit dans un contexte humanitaire plus large, tout "à l'honneur du roi", qui s'est déjà manifesté par sa volonté de "consacrer la disparition des deniers vestiges de la servitude dans le Royaume par l'abolition d'un asservissement qui a fait verser tant de larmes" en détruisant "ces deux mots effrayants, la taille et la corvée" :

"Vous êtes encore à temps, Messieurs, d'être associés pour une part aux dispositions bienfaisantes de sa Majesté, puisque vous pouvez l'aider à détruire les dernières traces de la corvée dans une grande province où elle est conservée [...], pour délivrer le peuple Breton d'un joug auquel il est encore assujetti".
"Un jour viendra peut-être, Messieurs, où vous étendrez plus loin votre intérêt ; un jour viendra peut-être, où associant à vos délibérations les Députés des colonies, vous jetterez un regard de compassion sur ce malheureux peuple dont on a fait tranquillement un barbare objet de trafic ; sur ces hommes semblables à nous par la pensée, et surtout par la triste faculté de souffrir ; sur ces hommes cependant que, sans pitié pour leurs douloureuses plaintes, nous accumulons, nous entassons au fond d’un vaisseau pour aller ensuite à pleines voiles les présenter aux chaînes qui les attendent. Quel peuple auroit plus de droit que les François à adoucir un esclavage considéré comme nécessaire, en faisant succéder aux maux inséparables de la traite d’Afrique, aux maux qui dévastent deux mondes, ces soins féconds et prospères qui multiplieroient dans les colonies même les hommes destinés à nous seconder dans nos utiles travaux ! Déjà une Nation distinguée a donné le signal d’une compassion éclairée ; déjà l’humanité est défendue au nom même de l’intérêt personnel et des calculs politiques, et cette superbe cause ne tardera pas à paroître devant le tribunal de toutes les Nations. Ah ! combien de sortes de satisfactions, combien d’espèces de gloire sont réservées à cette suite d’Etats-généraux qui vont reprendre naissance au milieu d’un siècle éclairé ! Malheur, malheur et honte à la Nation Françoise si elle méconnoissoit le prix d’une telle position, si elle ne cherchoit pas à s’en montrer digne, et si une telle ambition étoit trop forte pour elle !

Ces dispositions bienfaisantes s'inscrivent dans la ligne de l'Edit de 1315 promulgué par son prédécesseur, roi de France et de Navarre, Louis X Le Hutin, qui consacre  l'abolition de la servitude dans le domaine royal français : «  Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à nos amés et féaux...
Comme, selon le droit de nature, chacun doit naître franc… Nous, considérant que notre royaume est dit et nommé le royaume des Francs, et voulant que la chose, en vérité, soit accordante au nom… par délibération de notre grand conseil, avons ordonné et ordonnons, que généralement par tout notre royaume… franchise soit donnée à bonnes et convenables conditions... et pour ce que les autres seigneurs qui ont hommes de corps, prennent exemples à nous de eux ramener à franchise… Donné à Paris le tiers jour de juillet l'an de grâce 1315 »

C'est exactement l'esprit qui anime dès 1785 l'héritier d'Henri IV, Louis XVI, roi de France et de Navarre, lorsqu'il fait envoyer à l'Ordonnateur de Guyane Lescallier par son ministre de la Marine et des Colonies le duc de Castries des Instructions fort précises lui enjoignant de libérer immédiatement les esclaves de la chaîne royale, à titre d'exemple, pour inciter les maîtres à l'abolition générale que défendait également La Fayette et que réalisera à Saint-Domingue, avec son collègue Sonthonax, le commissaire civil Etienne de Polvérel, syndic des Etats de Navarre, noble bayonnais envoyé par le ministère girondin . 

Au-delà de ces considérations humanitaires, deux éléments touchant notre région m'ont également parus susceptibles d'être pris en compte pour mesurer à quel point l'histoire de France nous est présentée de manière très partielle et lacunaire en matière identitaire et patrimoniale.

Le premier figure dans le Tableau des revenus et de Dépenses fixes à la page 38 : "14°. L’établissement de deux ports francs, l’un à Bayonne, l’autre à l’Orient, n’a pas rempli l’objet d’utilité qu’on en attendoit, et celui de Bayonne est devenu un entrepôt qui favorise le commerce des étrangers aux dépens du nôtre. On se borne en ce moment à vous faire observer que ces deux dispositions nouvelles, tant par une diminution dans le débit du tabac, que par les indemnités demandées, et d’autres considérations, on fait perdre au Roi 600 mille livres de rente."

Necker peut s'étonner à juste titre, tout comme nous pouvons le faire aujourd'hui : "Quel pays, Messieurs, que celui où sans impôts et avec de simples objets inaperçus on peut faire disparoître un déficit qui a fait tant de bruit en Europe !".

Mais la bonne question ne serait-elle pas plutôt : "Mais à qui profitait donc ce port-franc de Bayonne  si ce n'est aux populations et aux intérêts locaux ?"

Plus intéressante encore sans doute pour notre perception locale actuelle et la compréhension de la situation de nos pays jusqu'aux dernières années de l'Ancien Régime à la veille de la Révolution est l'étonnante révélation que nous apporte le tableau final des Revenus fixes dans sa partie première concernant l'Imposition des Pays d'Etats qui sont au nombre de cinq : Languedoc, Bretagne,  Bourgogne, Provence et "Pau, Bayonne et Foix".

Cette dernière appellation, qui ne reflète en rien comme les quatre autres une province ou un pays réel, est symptomatique à la fois de la méconnaissance et du peu d'intérêt apporté par le centralisme administratif du Royaume français à ces terres éloignées qui correspondent en réalité grossièrement à la perception de trois entités territoriales originelles de l'héritage familial royal : la Navarre et pays voisins ou satellites à l'ouest et au nord (Bayonne), la souveraineté de Béarn (Pau) et le comté de Foix, le tout constituant une grande partie de l'apport territorial de la maison d'Albret, propriété familiale du premier Bourbon, Henri IV, lors de son accession au trône de France en sa qualité de roi de Navarre.  
On connaît pour ce dernier royaume les palabres et interpellations tragi-comiques de certains dans les assembles révolutionnaires qui finiront par consacrer sa disparition pure et simple de la titulature royale française au mépris de toute loi navarraise puisque, comme le souligna justement Etienne de Polvérel, Syndic des Etats de Navarre, dans son discours à l'Assemblée, nul ne prit l'initiative de respecter les fors de Navarre, au premier rang desquels l'allodialité et les libertés individuelles et collectives, en soumettant pour commencer pour approbation les nouveautés révolutionnaires parisiennes à leur présentation devant les Etats de Navarre (à Pau) par le Roi qui devait en l'occasion outre recueillir l'assentiment des dits Etats pour exister légalement en tant que tel, et jurer devant les nobles et représentants populaires de respecter les fors, us et coutumes navarrais.

Cette formalité cérémonielle aussi propitiatoire qu'obligatoire n'ayant jamais été accomplie, ne pourrait-on pas à juste titre estimer qu'il y a eu usurpation et que la donation royale de ce bien familial se trouvait ainsi légalement invalidée en termes de droit international ?

Un dernier point retient notre attention : la faiblesse de la contribution navarraise au royaume de France et de Navarre. On remarque en effet que sur un total de 24 556 627 Livres pour les cinq pays d'Etats, elle n'est que de 1 156 658 Livres, soit moins de 5% (4,7) de l'ensemble, au lieu d'un minimum de 20% auquel on aurait été en droit de s'attendre si les cinq contributions avaient été égales. Ce qui est loin d'être le cas puisque le Languedoc est à 9 767 250 Livres (près de 9 fois plus), la Bretagne à  6 611 460 (six fois plus), la Bourgogne à  4 128 196 (près de 4 fois plus) et la Provence à 2 892 463 (près de 3 fois plus). Techniquement, cette faiblesse de la contribution fiscale navarraise s'explique par l'absence au tableau royal du  chapitre "Trésoriers", seul le chapitre "Receveurs généraux" étant abondé. Ce qui tendrait à montrer, sauf omission restant à expliquer, que le Trésorier des Etats de Navarre jouissait d'une autonomie de perception fiscale qu'il n'était pas tenu de reverser au Trésor public français et donc d'une même autonomie pour l'utilisation de l'impôt localement.

Je ne peux que soumettre ces questions de droit (c'est au moins ainsi que je les appréhende) à mes collègues universitaires juristes...

De même que les deux suivantes qui me paraissent en découler naturellement : qu'avons-nous gagné - ou perdu - au passage à la République ? N'y aurait-il pas matière à réparations ?

Jacques de Cauna, docteur d’État (Sorbonne)

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| 03/08/2021 09:28

Bonjour, serait-il possible de publier ici l'original en photo des textes cités? Une personne que je connais a des doutes quant à la forme et les tournures de language. Bien à vous.

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