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Terroir Sud-Ouest
L’Unesco inscrit la transhumance au patrimoine culturel immatériel de l’humanité
L’Unesco inscrit la transhumance au patrimoine culturel immatériel de l’humanité

| Alexandre de La Cerda 1202 mots

L’Unesco inscrit la transhumance au patrimoine culturel immatériel de l’humanité

L’Unesco vient de valider l’inscription de la transhumance au sein du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. La candidature avait été présentée par les acteurs du pastoralisme d’une dizaine de pays, dont plusieurs représentants de notre région. 

Cette décision est le résultat d’un travail de longue haleine initié en 2019 par les acteurs du pastoralisme et de l’élevage regroupés au sein d’un comité de pilotage animé par le Collectif des races locales de massif réunissant des représentants de l’État, organismes agricoles et autres acteurs des territoires et qui avait abouti à une inscription des savoir-faire de la transhumance en France à l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel. 

Cette inscription est un hommage fort rendu par l’Unesco aux éleveurs, bergers et vachers transhumants qui, par leur passion pour leur métier, leurs animaux et leur territoire font vivre cette pratique. Un attachement qui permet de préserver des filières de qualité basées sur des systèmes d’élevage traditionnels de qualité et d’entretenir les territoires pastoraux : le Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco reconnaît dans son rapport d’évaluation que la transhumance, qui allie tradition et innovation « a un impact bénéfique sur les écosystèmes, préserve les races locales et améliore la fertilité des sols et la biodiversité ».

Dans le cadre de cette démarche auprès de l’Unesco, un plan de sauvegarde et de valorisation de la transhumance prévoit une analyse des risques et des menaces pesant sur la continuité de cette pratique ainsi qu’un programme opérationnel afin d’insuffler « une politique dynamique en faveur de la connaissance, de la promotion, de la valorisation et de la transmission de cet héritage culturel »
Et, dans le fil de leur défilé de l’année dernière sur les Champs-Elysées, nos acteurs locaux de la transhumance donnent rendez-vous à la 60ème édition du Salon international de l’agriculture, du 24 février au 3 mars prochain, « où plusieurs événements sont prévus pour fêter cette annonce : organisation d’une mini-transhumance et remise officielle du certificat d’inscription de la transhumance au patrimoine culturel immatériel par le ministère de la Culture ».

La Transhumance, montée en estive

Afin de produire du fourrage pour l’hiver, de nombreux éleveurs préservent leurs prairies en pratiquant la transhumance, issue de traditions millénaires, et encore très présente aujourd’hui. A partir du mois de mai pour le Pays Basque et de juin pour le Béarn (qui est plus haut et donc plus frais), les premiers troupeaux de brebis se déplacent vers les pâturages d’altitude. Ce sont les estives.
Pendant ce temps, le berger peut laisser pousser l’herbe de ses prairies et récolter foin et regain, en réalisant parfois jusqu’à trois coupes ! Mais la transhumance permet également un entretien des montagnes très important et efficace, les rendant plus belles, plus accessibles et moins sujettes aux incendies.

Rappelons que la transhumance des troupeaux des bergers de nos terres pyrénéennes s’étendait jusqu’au nord des Landes et dans le Bordelais où les ovins se nourrissaient en hiver dans les vignes et dans les forêts domaniales landaises, assurant le nettoyage écologique de ces surfaces, avant le printemps et la pousse des prochaines vendanges.
Les bergers payaient l’utilisation de ces territoires par la dîme des fromages produits en estive ou, faute de monnaie de change, le lait transformé servait de mesure et de paiement. L’histoire du fromage empruntera dès lors l’histoire même des transhumances, territoires parsemés de marchés célèbres du grand Sud-Ouest.

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De Behorleguy à Ahusquy, troupeau de brebis Manex au Cayolar Ipaskoa ©
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La transhumance n’est pourtant pas qu’une partie de plaisir pour les bergers qui, chaque année, doivent réussir « la montée », « la saison » et la « redescente ». La « montée » est une période tendue : il faut traire et nourrir les brebis, être aux champs pour optimiser les récoltes, éventuellement fabriquer et soigner les fromages de l’hiver et du printemps… rassembler tout le matériel pour l’estive, sans rien oublier, et il faut que tout marche ! La période de quelques mois en estive, a son lot de plaisir (nature, grandeurs des paysages, soleil…) mais aussi de galères (mauvais temps, problème technique, ours parfois…). Sans compter l’isolement même si de plus en plus de bergers peuvent passer l’été avec famille ou amis dans une cabane aménagée dignement (eau courante et chauffage).

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Le traiteur Philippe Caset ("Emengoa") au Cayolar près Mendive ©
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Les souletines "olympiades" d'Ahusquy entre bergers et la navarraise "Marque d'Urepel"

Dans la lignée des faceries (ou traités) conclues entre vallées transfrontalières basques, entre autres à Garazi, Roncal et Aezkoa, la « Marque d’Urepel » avec le marquage du bétail (plusieurs centaines de bêtes) précède leur transhumance jusqu’au plateau de Sorogain, soit environ deux heures de marche. 
Les troupeaux de vaches de la vallée de Baigorri prennent ainsi leurs quartiers d'été de la fin mai à la fin septembre sur ce plateau situé à 1 000 mètres, en Pays Quint pour paître, moyennant une redevance par tête, dans la vallée d'Erro dont le garde appose au fer rouge les initiales « VE » (Valle de Erro). 

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Marque d'Urepel ©
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Cette journée de marquage à Urepel est une occasion de rencontres et de convivialité. Elle signale le début de la transhumance.

En pleine montagne de Soule, Ahusquy est également témoin au début de l’été de l’immuable rite de la transhumance des animaux depuis les vallées environnantes. 
Ce site splendide sert de cadre en août à des « olympiades » entre bergers : triple saut, jet de la barre (« palanka »), de la pierre, course et, autrefois, jet de la hache et de la pique.
A proximité surgit la célèbre source aux eaux chargées de silicate de soude et de potasse, de carbonate, de sulfate et de chlorure, contenant également fer, magnésium et iode.

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Ahusquy : lancer de javelot ©
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Fontaine d'Ahusquy ©
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« Bortian Ahuzki, hur huntik oso ».

Elle est saine, l’eau de la montagne à Ahusquy (Ahuzki), comme le proclame l’inscription sur cette fontaine qui constitue, avec la bonne auberge en contrebas, un exceptionnel endroit de randonnée dans la montagne souletine.

Effluves poétiques & musicales... 

Utilisée de tout temps par les bergers, le barde souletin Pierre Topet « Etchahun » de Barcus y menait ses troupeaux et noyait son chagrin dans de sublimes sanglots poétiques.

Ses propriétés curatives ont été révélées par le maréchal Harispe au début du XIXe siècle. 
Réputée parmi les plus gros mangeurs et buveurs du pays, la source était recommandée dès 1862 par le guide Joanne pour guérir « les affections de la vessie, les fièvres intermittentes, l’atonie des organes digestifs et les aberrations du système nerveux »

En 1919, Jean Cocteau qui avait déjà séjourné au Pays Basque chez les Rostand, décide de tenter l’ascension vers Ahusquy en compagnie du compositeur Louis Durey (l’aîné du « Groupe des Six » réunissant entre autres Georges Auric, Francis Poulenc, Darius Milhaud, Honegger, etc.) et de son frère Pierre. 
Les trois jeunes artistes y mènent « une vie simple et saine à traire les vaches et à manger le chou »
Pendant leur cure, Cocteau et ses amis se livrent à des « agapes en compagnie des bergers chanteurs ». Sur leurs motifs musicaux notés par Durey, Cocteau écrira ses « Chansons Basques ».

Photo couverture tête d'article : les brebis Manech tête noire aux longues cornes du GAEC Ipasko d'élevage de Gilles Gachen : avec son épouse et Lydia et leurs garçons, ils passent plusieurs mois en estive, au cayolar Ipaskoa, entre le Pic de Béhorleguy et l'auberge d'Ahusquy (cayolar : maison de berger pour la transhumance dans la montagne basque).

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