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Cinéma
Le cinéaste Philippe Calderon : son arrivée au Pays Basque, hasard ou nécessité ?
Le cinéaste Philippe Calderon : son arrivée au Pays Basque, hasard ou nécessité ?

| Philippe Calderon 1163 mots

Le cinéaste Philippe Calderon : son arrivée au Pays Basque, hasard ou nécessité ?

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à Oxford avec Sir Roger Penrose ©
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Philippe Calderon, cinéaste, réalisateur entre autres films : « Washoe, le singe qui parle avec les mains » « Retrouver Byzance » « Lorsque le monde parlait arabe », « Michel Foucault par lui-même », « La citadelle assiégée » « John von Neumann prophète du XXIème siècle »  « 1984 ou Meilleur des Mondes ?  » diffusé dernièrement sur Arte. 

Il y a trois mois, j’ai ressenti avec ma future femme Virginie qui a passé une partie de son enfance dans les Landes, un besoin de réunir les souvenirs épars de nos vies dans un lieu qui les symboliserait tous. Et nous avons acheté une maison à Arcangues. 

Oui mais pourquoi avoir choisi le Pays Basque ?

En tant que cinéaste, j’ai connu énormément de pays, et filmé toute sortes de choses. Des sujets très éclectiques. Des thèmes aussi étranges, que la physique des particules, les comportements guerriers des fourmis nomades, le premier chimpanzé de l’histoire ayant communiqué avec le langage des signes, les éléphants puisatiers en Namibie. D’autres thèmes encore plus inquiétants tels que l’intelligence artificielle, les mondes de Georges Orwell et de Aldous Huxley, et toute sorte d’autres choses. 

Bref, j’ai parcouru la planète, des campus prestigieux aux endroits les plus sauvages, déserts, savanes, mangroves, forêts tropicales. Entre parenthèse, je ne conseille à quiconque de passer plusieurs nuits en pleine forêt tropicale dans un hamac, on se croirait dans un estomac géant. La nuit avant de m’endormir dans le stress d’un tournage sur les fourmis ou à la veille d’un interview avec un grand physicien, encore jeune homme, je pensais souvent au Pays Basque. Pourtant, je ne le connaissais pas, du moins physiquement. Mais paradoxalement, j’éprouvais la sensation du contraire. Pour être précis, j’en avais une connaissance orale, et cela de par mon enfance. Pendant la seconde guerre mondiale, les Allemands ayant investi la propriété de mes grands-parents maternels dans l’Aube, ma mère avait passé son enfance avec ses frères et sa sœur à Ustaritz et Saint-Jean-de-Luz. 
Enfant, j’ai donc beaucoup entendu parler du Pays Basque, où je n’avais jamais été, par ma mère et ses amis d’adolescence. Devenus adultes, ils se réunissaient à Paris, en général les 31 décembre. Lors de ces réveillons, j’avais l’impression « d’écouter » le Pays Basque. Certains étaient peintres, d’autres écrivains, ou encore musiciens, ou tout simplement des personnes qui aimaient leur culture. Ils étaient Basques et ma mère, ma tante et mes oncles ont été leurs condisciples. 

Une représentation du Pays Basque s’était donc peu à peu formée dans mon esprit. Adolescent, les souvenirs des conversations ont composé une mosaïque. Celle de souvenirs de souvenirs. Ceux des amis de ma mère et de ma tante, toutes les deux, devenues parisiennes. J’acquerrais ainsi la mémoire d’une mémoire. Celle d’un lieu, d’une région, d’un art de vivre non loin de la nature et de cités qui frappaient mon imagination, comme Bilbao, Saint-Sébastien, Hendaye, Saint-Jean de-Luz. J’imaginais ce continuum, comme un chapelet qui pour moi évoquait une unité culturelle dans la diversité des attitudes mentales et linguistiques propres aux villes espagnoles et françaises. 

A tout cela, ce sont ajoutés les limbes nébuleux de lointains récits familiaux. Un ancêtre de ma mère avait séjourné au Pays Basque pour aller demander la main de l’infante d’Espagne au nom de Louis XIV… Du coté de mon père, une branche de sa famille espagnole était devenue anglaise, et un ancêtre s’était fixé à Biarritz quelque temps. 

Je suis donc bien obligé d’avouer au lecteur que de certaine manière, j’ai « fantasmé le Pays Basque ». J’ai même dû en parler sans le connaître à des amis, comme on évoque un film que l’on n’a pas vu. Bref, une forme de mythomanie bien utile pour un jeune homme voulant séduire les jeunes filles. 

Oui, mais pourquoi avoir choisi le Pays Basque ? 

Après tout, le fait d’imaginer un endroit n’est pas suffisant. Et j’ai certainement dû me projeter ailleurs en France ou en Europe dans des lieux qui auraient pu faire l’affaire. J’avais passé étant enfant, des vacances dans le Morbihan, à Antibes, en Espagne. Par ailleurs, j’ai dû imaginer plein d’autres lieux, inconnus de moi, tout aussi dépaysants pour le citadin que je suis, pour y acheter une maison. Je dois avouer au lecteur que je suis un horrible Parisien, né et élevé dans la capitale. Malgré le fait que mon père ait été à moitié britannique, détenteur d’un passeport anglais jusqu’à l’âge de 18 ans, et que ma mère ait eu ses origines familiales en Savoie, je n’ai choisi ni le Devonshire, ni une maison au bord du lac de Genève, ni la Castille. 

Ma théorie serait la suivante. Comme beaucoup de décisions importantes dans la vie, se mêlent le hasard et la nécessité. Le premier dévoile la seconde. En retour, la nécessité peut sélectionner une opportunité fournie par le hasard. 

Dans l’achat de la maison, celui-ci intervint par un coup de fil d’une amie qui hésitait entre le Pays Basque et la Normandie. Ce coup de fil m’a replongé dans les conversations des amis basques de ma mère que j’avais fini par oublier. Alors, est-ce le hasard qui me fit me retrouver à Arcangues avec ma future épouse ? Ou la nécessité de retrouver la mémoire des souvenirs d’enfance de ma mère ? 
Lors de mes interviews aux Etats-Unis au cours d’une série sur l’origine de l’univers, j’avais demandé à Benoît Mandelbrot, découvreur de ce qu’on appelle mathématiquement les fractales, si le hasard existait ? Il m’avait répondu : « Non, le hasard n’existe pas ». 
En substance, le père des théories du chaos et de l’effet papillon pensait que le hasard n’était que le nom donné à notre ignorance. Celle de notre incapacité d’accéder aux causes d’un phénomène que l’on croit être dû à la chance. En l’espèce, celle de nos nécessités enfouies, et dans mon cas, probablement un besoin de m’approprier une mémoire qui n’était pas directement la mienne. 

A cette première nécessité enfouie, s’en est ajouté une seconde. Lors d’une première visite au Pays Basque chez un vieil ami devenu mon voisin, j’ai ressenti qu’en choisissant ce pays , je retrouverais les sensations de mes tournages. L’idée de la frontière, celle de la diversité linguistique, les paysages sauvages qui jouxtent les espaces très urbanisés. 
C’est ce qu’on éprouve quand on voyage dans nombre d’endroits de la planète. Le continuum Los Angeles-San Diégo par exemple, où il y a un réseau de villes et de maisons dans les collines, la proximité de l’océan, la frontière mexicaine, le désert tout proche, et les Rocheuses. Attention, je ne prétends pas que Bel Air et Arcangues soient la même chose. 

J’ai eu cette chance extrême de traverser une partie du XXème siècle et ce début de siècle en faisant des films sur des thèmes dont certains sont devenus cruciaux : Biodiversité dévastée, intelligence artificielle, société de surveillance. Des thèmes qui peuvent être ressentis comme une angoisse du futur. 

Entre hasard et nécessité, il y a au Pays Basque, une sérénité retrouvée. Cet espace incarne pour moi, une forme de croyance. Celle de la liberté et du courage d’être soi-même, que promeuvent la culture et la manière d’être basque.

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Philippe Calderon, Jean Albert Lièvre, et le biologiste américain Donald Perry de l’université de San Diégo au Costa Rica pour le film « Tree top exploration » ©
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Philippe Calderon, haren Arrangoitzeko etxean ©
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