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Cinéma
« La Fille au bracelet » par Jean-Louis Requena
« La Fille au bracelet » par Jean-Louis Requena
© DR - Melissa Guers et Chiara Mastroianni dans « La Fille au bracelet »

| Jean-Louis Requena 591 mots

« La Fille au bracelet » par Jean-Louis Requena

« La Fille au bracelet » - Film français de Stéphane Demoustier – 95’

Une plage de la côte nantaise. Une famille pique-nique sur l’estran. C’est un plan d’ensemble éloigné : on entend le bruit du ressac qui couvre les voix. Soudain, des policiers en tenue entrent dans l’image, traversent la plage et s’adressent aux parents. Après un bref échange inaudible, ils repartent avec la jeune fille.
Deux ans se sont écoulés. La jeune fille, Lise (Melissa Guers), a 19 ans. Elle a obtenu son bac et vit chez ses parents où elle suit des cours par correspondance. Elle porte un bracelet à la cheville gauche. Son père Bruno (Roschdy Zem) et sa mère Céline (Chiara Mastroianni) sont inquiets : le procès de leur fille va s’ouvrir au palais de justice de Nantes (architecte Jean Nouvel – 2000). Lise est accusée d’avoir assassiné (sauvagement) sa meilleure amie Flora après une soirée bien arrosée. Seul son petit frère Jules semble détendu : si sa sœur est condamnée, va-t-il récupérer sa chambre ?
Le procès commence par une longue et émouvante déposition de la mère de Flora. Elle ne comprend pas ce qui a pu se passer. Dans son box vitré de prévenue, Lise impavide, reste muette. Son père est venu seul pour la soutenir. Sa mère refuse d’assister aux audiences sous divers prétextes. Bruno est désemparé devant l’attitude de sa fille qui garde un silence opaque, obstiné, sous la grêle de questions incisives de l’avocate générale (Anaïs Demoustier).
Les audiences se succèdent. Le procès s’enlise, n’éclaire aucun fait malgré la virulence des attaques de l’avocate générale qui tente, en vain, de déstabiliser Lise. La bonhommie du Président du tribunal (Pascal-Pierre Garbarini, avocat pénaliste dans le civil !) n’est guère plus efficace. Son avocate (Annie Mercier) la défend tant bien que mal.
Quelques faits scabreux émergent, sidérant l’assistance…

Une écriture visuelle épurée
Pour son troisième long métrage, Stéphane Demoustier (43 ans, frère de l’actrice) a choisi un genre, le film judiciaire, en vogue dans le cinéma français : « L’Hermine » (2015) de Christian Vincent sur le mécanisme des procès en assises, « La fille de Brest » (2016) d’Emmanuelle Bercot sur l’affaire du Médiator, et récemment « Une intime conviction » (2019) d’Antoine Raimbault sur l’affaire Jacques Viguier. Le point de vue adopté par le réalisateur est intéressant car il maintient, à valeur égale, tout au long du drame judiciaire, des scènes familiales qu’il alterne avec celles du tribunal. Ainsi nous avons un éclairage sur le dysfonctionnement de cette famille aisée ou Lise semble déconnectée, isolée, du reste de sa famille. Elle reste une étrangère, une énigme pour ses parents que ceux-ci vont découvrir, en partie, lors des audiences. Les interrogations posées par ce film sont : que sont, en réalité, nos enfants ? Que font-ils hors de notre vue ? Les connaissons nous vraiment ?
Stéphane Demoustier a opté pour une écriture visuelle épurée : cadres simples, informatifs (gros plans, plans moyens), fixité de la caméra, pas d’ample mouvement. Chaque personnage est filmé sobrement avec une économie volontaire de moyens. Cependant, nous échappons, fort heureusement, à la logique du téléfilm d’affaires judiciaires (nombreux !). Toute la mise en scène est réfléchie afin de susciter en nous une perplexité lancinante : Lise est-elle coupable ou non du meurtre de sa meilleure amie Flora ?
Les acteurs affichent un jeu sobre, minimaliste, tout en non-dit : Melissa Guers (Lise) marmoréenne, révélation du film ; Roschdy Zem (Bruno, le père) minéral à la parole rare ; Chiara Mastroianni (Céline, la mère) fuyante dans un premier temps.
Stéphane Demoustier a réussi un film prenant, captivant, qui scelle sa part d’ombre, son épaisseur énigmatique, dans un genre pourtant usité : le drame judiciaire. Ce n’était pas un mince challenge !

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