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Cinéma
La critique de Jean Louis Requena
La critique de Jean Louis Requena
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| Jean-Louis Requena 945 mots

La critique de Jean Louis Requena

Once Upon a Time… in Hollywood - Film américain de Quentin Tarantino – 161’

Los Angeles 9 févier 1969. Un journaliste volubile interview Rick Dalton (Leonardo DiCaprio) flanqué de sa doublure Cliff Booth (Brad Pitt) dans les décors d’un village western. La photo est en noir et blanc, format carré, comme lors des reportages télévisuels de cette époque. Rick Dalton est un acteur sur le déclin, travaillant dans des westerns fauchés qui seront diffusés sur les écrans de télévision. Son comparse et ami de toujours Cliff Booth est cascadeur. Ensemble, ils partagent les mauvais jours… Dans la Cadillac vintage de Rick conduite avec élégance par Cliff, ils vont à un rendez-vous pour y rencontrer Marvin Schwarz (Al Pacino) un producteur… Ce dernier, dans une longue intervention humiliante, fait comprendre à Rick qu’il est un « has been », un perdant, oublié par l’industrie cinématographique hollywoodienne… Il faut qu’il aille en Italie, à Rome, pour se refaire un nom, rebondir dans des westerns italiens !

Dépité et quelque peu abattu, Rick est raccompagné par Cliff, chez lui, dans sa belle maison surplombant Beverly Hills et Bel Air à Cielo Drive : c’est tout ce qui reste de sa gloire éphémère… Un jeune couple vient de s’installer dans la grande maison jouxtant celle de Rick : le réalisateur Roman Polanski (Rafal Zawierucha) et sa femme actrice, enceinte, Sharon Tate (Margot Robbie). Ce dernier vient de réaliser au États-Unis un film au succès mondial : « Rosemary’s Baby » (1968). Ils sont jeunes, beaux, riches et heureux…

Richard Nixon vient d’être élu 37ème Président des États-Unis. le mouvement hippie est a son apogée, la guerre du Viet-Nam fait rage, des mouvements contestataires de toutes sortes émergent, des émeutes raciales éclatent… A Los Angeles, le « Vieil Hollywood » qui a construit l’industrie cinématographique américaine, celle des grands studios californiens (Métro Goldwyn Mayer, Warner Bros, Century Fox, Paramount Pictures, etc.) se délite pour laisser la place au « Nouvel Hollywood » et à ses jeunes réalisateurs iconoclastes, entreprenants : Francis Ford Coppola, Brian de Palma, Martin Scorcese, Steven Spielberg, etc. Le film Easy Rider de Dennis Hopper, sorti sur les écrans américains en juillet 1969, d’un coût modeste mais très rentable (budget : 500.000 $ environ, recettes : 60 millions $), enterre définitivement le « Vieil Hollywood »…

Rick, angoissé, survit en cachetonnant dans un énième western de série B tandis que Cliff décontracté, désœuvré, parcourt la ville dans la Cadillac vintage de Rick. Il y rencontre ainsi une jeune et jolie hippie qui vit en communauté dans un ranch désaffecté d’un certain George Spahn (Bruce Dern) ancien cascadeur… Une communauté presqu’exclusivement féminine y croupit sous la coupe d’un gourou dénommé Charles « Charlie » Manson (Damon Herriman), petit voyou manipulateur.

En cette année cruciale, charnière de 1969, tout est possible…

Pour son 9ème long métrage (selon lui, son avant-dernier : il affirme qu’il n’en réalisera que dix !), Quentin Tarantino n’a pas ménagé sa peine. Il a mis son scénario aux enchères auprès des grandes compagnies cinématographiques d’Hollywood : Warner Bros, Universal Studio, Paramount Pictures, etc. pour obtenir un budget de 90 millions de dollars et le « final cut » (montage définitif) de son ouvrage. C’est fort peu courant dans l’univers du cinéma américain. Ce budget confortable lui a permis d’engager des stars (Leonardo DiCaprio, Brad Pitt), de faire fabriquer de vrais décors (le Los Angeles de 1969 ayant pratiquement disparu) d’exclure ainsi les trucages numériques, de tourner en argentique (pellicule) et non en digital (numérique). Ce luxe de moyens conforte le style d’écriture cinématographique « tarantinesque » : scénario dense, non linéaire, décousu (en apparence) ; longs dialogues acérés ; conclusions rapides, violentes, de scènes étirées à l’envie ; humour noir décapant, etc. Le procédé global est bien connu. Cependant, dans son dernier opus il y flotte un parfum de nostalgie et un véritable amour du cinéma de genre (western, film noir, horreur, etc.) dans une forme nouvelle que l’on peut qualifier de transgenre. La virtuosité scénaristique, accentuée par une mise en scène inspirée, transcende cette école de cinéma qui a fait la gloire des usines à rêves d’Hollywood. Quentin Tarantino qui possède une cinéphilie « tout azimut » nous propose, en virtuose, un retour nostalgique sur le bon vieux « cinéma de papa », celui des salles de quartier qui a nourri notre jeunesse…

Ce film long (2 heures 41 minutes) n’est jamais ennuyeux avec ses bifurcations, ses apartés, ses dérivations, sa structure scénaristique de guingois qui en définitive nous épargne un film à sketchs. Le réalisateur prend soin d’incruster, malicieusement, les jours et les heures aux débuts des séquences du 9 févier 1969 au fatal 9 août 1969 : c’est le fil rouge chronologique qui nous guide vers la conclusion… Les personnages fictionnels, Rick Dalton, Cliff Booth se mêlent à des personnages réels : Roman Polanski, Sharon Tate, Bruce Lee, Steve McQueen, Charles « Charlie » Manson, etc. Le résultat est par moment hilarant, angoissant, mais toujours surprenant. Ce n’était pas une mince affaire que de garder une fluidité narrative vraisemblable dans une avalanche de personnages fictifs mêlés à d’autres réels.

Quentin Tarantino nous promet un dernier film, son 10ème, avant de se mettre exclusivement à l’écriture (romans, pièce de théâtre). Si cela se confirme, c’est bien dommage, car tout au long de sa carrière cinématographique, dès son premier long métrage (Réservoirs Dog – 1991), il a démontré un talent de conteur étonnant, jubilatoire, et pour résumer « Tarantinesque ».

Son dernier opus est un divertissement virtuose, doublé d’une réflexion nostalgique sur une forme cinématographique qui n’existe plus : l’hydre télévisuelle est passée par là assujettissant, aplatissant, dévorant, les talents des gens d’un cinéma indépendant.

« One Upon a Time… in Hollywood » a été présenté en sélection officielle au dernier Festival de Cannes. Le film a obtenu la « Palme Dog » pour Brandy, la chienne pitbull de Cliff Booth (Brad Pitt), qui a un rôle certain dans l’histoire.

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