0
Cinéma
La Critique de Jean Louis Requena
La Critique de Jean Louis Requena

| Jean-Louis Requena 708 mots

La Critique de Jean Louis Requena

« Madre » - Film espagnol de Rodrigo Sorogoyen – 128’
Dans un appartement madrilène, une mère et sa fille Elena (Marta Nieto) devisent. Un portable sonne : c’est le fils d’Elena, 6 ans, qui appelle. La mère et l’enfant dialoguent. Au bout de quelques échanges, la voix lointaine de l’enfant s’altère : il paraît angoissé. Elena demande à son fils de lui passer son père, Ramon … qui n’est pas là. Elena s’inquiète de plus en plus. Le ton monte, la grand-mère se met de la partie : il parait inconcevable qu’un enfant de 6 ans soit laissé seul sur une plage inconnue dans le sud-ouest de la France. Son père Ramon a semble-t-il disparu lui aussi … C’est l’affolement. Elena tétanisée, contacte les autorités françaises et dans un français approximatif s’efforce d’expliquer le problème … sans succès.

Écran noir… Une plage immense dont l’estran est balayé par de fortes vagues. Dix ans se sont écoulés depuis la disparition de l’enfant d’Elena. Maintenant, elle travaille au Vieux-Boucau (Landes) dans un vaste bar restaurant de bord de plage. C’est l’été : après une harassante journée, la nuit tombée, elle part se reposer dans son petit appartement. Elle est rejointe le temps d’un week-end par Joseba (Alex Brendemül) son compagnon espagnol, chauffeur routier. Elle apparaît un peu triste, résignée, lointaine, malgré l’attention amoureuse de Joseba.

Quelquefois, après son service elle se promène, mêlée à des vacanciers, sur la plage, où, pense-t-elle, son garçon a disparu. Les habitués du lieu l’appellent : la folle de la plage. Un jour, au cours d’une promenade, elle croise un groupe de surfeurs courant sur la plage. Après un moment d’hésitation elle croit reconnaitre, dans cette troupe, chez un jeune homme de 16 ans à la tignasse bouclée, rousse, son fils. Jean (Jules Porier), le jeune surfeur parisien est en vacances avec sa famille au Vieux-Boucau. Elena intriguée par ce jeune homme gouailleur qui à l’âge qu’aurait eu son fils, l’épie discrètement. Du moins le croit-elle …

Après Que Dios nos perdone (2016) et El Reino (2018), deux thrillers, le premier policier et le second politique, le réalisateur madrilène Rodrigo Sorogoyen (38 ans) nous propose pour son cinquième long métrage Madre (128’), un récit intimiste sur une étrange rencontre et les relations complexes émanant entre ces deux personnalités : Elena (39 ans, espagnole) et Jean (16 ans, français). Elle, emmurée dans son drame et son impossible deuil ; lui, insouciant, éveillé sur le monde mais aussi attiré par cette belle femme mystérieuse, taiseuse et fascinante. Rodrigo Sorogoyen coscénariste avec Isabel Pena ont évités le piège psychanalytique/psychologique évident. Après la longue scène inaugurale éprouvante dans l’appartement madrilène, tournée en un seul plan séquence de 14 minutes fiévreuses, le film « s’installe » dans un rythme lent, avec des images magnifiées par de courts plans séquences d’une grande fluidité (stedicam). Celles-ci sont réalisées avec de courtes focales et semblent vouloir toujours repousser les bords latéraux de l’écran : l’effet est saisissant. Bien évidement l’on pense à Terrence Malik, et en particulier, à son dernier opus : Une vie cachée (2019). Toutefois, ici, « la matière filmique » est plus simple et moins abondante que chez le réalisateur américain. Le montage en est ainsi facilité : pas de « jump cut » (saute d’image) comme dans Une vie cachée.

Rodrigo Sorogoyen se garde bien de donner quelques explications que ce soit : c’est la grande leçon de Michelangelo Antonioni (L’Avventura - 1960) ou tout comme le maître italien, seules les images font sens, les paroles étant banales, voire inutiles. Le réalisateur par la rigueur de sa mise en scène (cadrages, direction d’acteurs) nourrit « l’obscure clarté » des relations complexes entre Elena et Jean. Les autres protagonistes de l’histoire, Joseba, le compagnon d’Elena, Léa (Anne Consigny) et Gregory (Frédéric Pierrot) les parents de Jean, sont tenus en périphérie de l’intrigant « noyau dur » : attirance irrésistible (malsaine ?) entre une femme de 39 ans et un adolescent de 16 ans.

Rodrigo Sorogoyen prolixe réalisateur de séries télévisées espagnoles depuis 2008, a dans Madre, développé son court métrage éponyme Madre (2017) dont il a gardé le principe du long plan séquence inaugural. Le film a été présenté dans la section Orizzonti à la Mostra de Venise 2019. Marta Nieto, compagne du réalisateur, a reçu le prix de la meilleure actrice dans cette sélection.

Légende : Marta Nieto (Elena) et Jules Porier (Jean)

Répondre à () :

| | Connexion | Inscription