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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
© DR - « Séjour dans les monts Fuchun » de Gu Xiaogang

| Jean-Louis Requena 776 mots

La critique de Jean-Louis Requena

« Séjour dans les monts Fuchun » - Film chinois de Gu Xiaogang – 150’

Fuyang, ville chinoise au bord du fleuve Qiantang, province de Hangzhou. Dans un restaurant bondé, une famille chinoise au grand complet fête bruyamment l’anniversaire de Mum (Du Hongjun), l’aïeule respectée et honorée. Les convives sont : son fils aîné, sa femme, patrons de l’établissement, et leur fille. Son deuxième fils, sa femme ainsi que leur fils. Le ménage est modeste, désargenté : ils sont pêcheurs sur le fleuve qui traverse la ville et en vivent tant bien que mal sur leur bateau de fortune. Le troisième fils est un peu marginal : il vit seul avec son fils trisomique. Quant au quatrième, célibataire, il semble détaché de tout, ne s’intéresser à rien.
Toute cette fratrie assiège joyeusement Mum (70 ans) qui soudain est prise d’un malaise : c’est un AVC qui clôt brutalement les réjouissances et les libations. Chacun de ses fils a un problème à régler, mais tous sont endettés… L’argent manque, d’autant que les yuans circulent entre les frères et aucun ne peut rembourser l’autre. Ce sont des chamailleries sans fin auxquelles vient s’ajouter la maladie de leur mère avec la lancinante question : qui va l’héberger, la prendre en charge ? Dans un premier temps le fils aîné, comme c’est la coutume en Chine, l’accueille dans son établissement sous les reproches amers de sa femme…
Suivant la tradition chinoise, l’ordre parental est respecté, mais pour combien de temps, compte tenu des transformations rapides de cette ville : on chamboule à tout va, on démolit à grands renforts de bulldozers en vue des Jeux Asiatiques de 2022. Le restaurant va être rasé comme tout le pâté d’immeubles aux alentours.
Mum, vieille dame digne, lucide, malgré son accident vasculaire, reste détentrice des valeurs traditionnelles de la famille chinoise. Elle assiste au long processus d’effritement de celles-ci, prises entre les rets d’un capitalisme sauvage, effréné, du manque d’argent, de la cherté de l’existence (logements, nourritures, soins, etc.).
A sa manière douce et obstinée, Mum, s’efforce de réagir…

C’est le premier film de fiction du jeune Gu Xiaogang (31 ans !), venu du documentaire. Il décrit avec maestria les affres existentielles de cette fratrie de quatre frères et de leurs entourages familiaux sur quatre saisons. Pour plus de véracité, le jeune réalisateur a choisi des membres de sa famille originaires de cette ville en pleine mutation, Fuyang, ou tous parlent le dialecte de cette région (Hangzhou) et parfois le Mandarin (langue officielle de la République Populaire de Chine). Dans sa ville natale, Gu Xiaogang avec de faibles moyens financiers et techniques, y a tourné, durant deux ans afin de respecter l’ordre des saisons, et le temps nécessaire à « l’acclimatation » de ses acteurs non professionnels. Son premier opus est découpé en longs plans séquences (parfois très long !) afin de ne pas perturber la spontanéité de ses interprètes occasionnels. Le montage final dure 2h 30 et se visionne sans ennui nonobstant une foule de personnages hauts en couleurs, qui apparaissent et disparaissent de l’écran. La maîtrise narrative du réalisateur, également scénariste, produit un récit cinématographique fluide, sans heurt, compréhensible, malgré la barrière du langage parlé, prolixe, par nature incompréhensible pour le spectateur. C’est la magie du cinéma !
La première œuvre de fiction de Gu Xiaogang se veut le symétrique cinématographique d’un chef d’œuvre pictural sous forme de rouleau horizontal du XIVème siècle chinois, « Séjour dans les monts Funchun », peint entre 1348 et 1350 par l’artiste chinois Huang Gongwang (1269/1354). Cette peinture de paysage que la langue chinoise nomme « peinture de montagne et d’eau » sert de fond de décor immuable, les monts Fuchun, ou le metteur en scène originaire des lieux décrits par le peintre a inscrit ses personnages, imaginé ses intrigues entrecroisées : ce fond est multiséculaire, se lit de droite à gauche, comme un long travelling latéral, des formes humaines s’y déplacent…
La Chine est éternelle (le fond) et les chinois issus de provinces reculées doivent s’adapter pour survivre (la forme). A la fin, le fond et la forme se confondent. Tel est le tribut à régler pour survivre dans une vaste société en mouvement.
La fiction écrite et réalisée, par moment, comme un documentaire, par Gu Xiaogang démontre s’il en été encore besoin, l’extraordinaire vitalité du jeune cinéma chinois (environ 500 films produits en 2019 !) traitant de nombreux sujets tout en étant soumis à la censure (approbation du scénario avant tournage). Il doit y avoir quelques ruses extravagantes que la nature bureaucratique de cette dernière ne peut déceler (il en a été de même sous d’autres latitudes en d’autres temps !).
Ce premier long métrage inaugure, selon le réalisateur, une future trilogie. 
« Séjour dans les monts Fuchun » a été projeté en clôture de la Semaine de la Critique au dernier Festival de Cannes.

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