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Critique
La critique de Jean Louis Requena
La critique de Jean Louis Requena
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| Jean-Louis Requena 618 mots

La critique de Jean Louis Requena

« Vita & Virginia » - Film britannico-irlandais de Chanya Button – 110’

Londres, début des années 20. Une femme du monde, bien mise, Vita Sackville-West (Gemma Arterton) devise aimablement avec un homme distingué, Sir Harold Nicolson (Rupert Penry-Jones), son diplomate de mari. Ils sont dans un studio de la BBC, la grande radio anglaise. Ils échangent sur le thème du couple, de ses problèmes, à fleuret moucheté : elle est bisexuelle, lui également. Tous deux évoluent dans le grand monde aristocratique permissif… La magie de la radio fait que ces propos allusifs pénètrent dans l’atelier d’imprimerie de la maison d’édition Hogarth Press créée, en 1917, par Leonard Woolf (Peter Fernando) époux, depuis 1912, de la romancière Virgina Woolf (Elisabeth Debicki).

Ils tirent le diable par la queue car leur petite entreprise d’édition d’ouvrages de qualité a du mal à survivre…

Vita Sackville-West vient de mettre un terme à son aventure amoureuse avec Violet Trefusis (sa mère Lady Sackville / Isabella Rossellini, horrifiée, condamne sans appel cette liaison). Elle propose son manuscrit relatant, sous une forme romanesque, sa « love affair » à la maison d’édition Hogarth Press… Le livre, « boosté » par un parfum de scandale, se vend bien et sauve provisoirement l’entreprise de la déconfiture.

Vita Sackville-West, femme de tempérament et entreprenante, libérée sexuellement, rencontre Virginia Woolf, bisexuelle névrosée, fragile, en proie à mille obsessions. L’une est riche, puissante, conquérante, l’autre pauvre, démunie, hantée par des visions horrifiques. C’est déjà un écrivain vivant chichement avec son mari Léonard, qu’elle chérit, dans une sorte de phalanstère intellectuelle depuis leur mariage : le Bloomsbury Group regroupant des écrivains, des artistes bohèmes, tous prônant avec candeur et naïveté, une autre société idéale, plus juste : une manière de socialisme utopique.

Une passion charnelle, compliquée, s’installe entre Vita l’aristocrate dominante et Virginia l’intellectuelle dominée (en apparence) dans un climat social « post victorien », tolérant mais cancanier.

Les barrières sociales, les convenances, résistent face à cet amour lesbien…

Le deuxième long métrage de Chanya Button (33 ans) est basé sur la pièce de théâtre éponyme de Eileen Atkins, par ailleurs coscénariste. Cette œuvre est un montage à partir de la correspondance entre Vita et Virginia (Correspondance 1923/1941 – traduite en français chez Stock – 1986). Le récit chronologique de la rencontre des deux femmes jusqu’à leur séparation, repose dans sa construction, ses dialogues, sa dramaturgie, sur leur intense correspondance. Du coup le film, par ailleurs très soigné (photographie, costumes, décors réels, etc.), semble par moment soumis aux contraintes littéraires, esthétiques, et peut apparaître comme empesé. C’est un film sage, aimable, manquant ici et là de sensualité, de dérèglement des sens, sujet réel de l’attirance de Vita pour Virginia.

Elles sont après tout des « féministes » avant l’heure : Vita dans l’action, Virginia dans la réflexion qui trouvera son terme créatif dans son roman « Orlando, a biography » (1928). L’ouvrage est toujours célèbre de nos jours, il expose sous une forme romanesque (Orlando change de sexe passant du masculin au féminin !) des réflexions sur le genre et l’art, directement inspirées par sa douloureuse passion pour son aristocrate.

Si « Vita & Virginia » demeure un film de « qualité anglaise » bien fabriqué, il n’en reste pas moins que les deux actrices principales sont épatantes : Gemma Arterton (Vita) qui a porté le projet de ce long métrage au point qu’elle en est coproductrice, et Elisabeth Debicki (Virginia) plus que crédible, longiligne, au physique préraphaélite, donnant un visage à la personnalité complexe de Virginia Woolf (1882/1941) déjà en marche vers son tragique destin (suicide par noyade à 59 ans dans la rivière Ouse).

Un film peut-être à voir pour sa facture « classique », ses interprètes féminines, et l’histoire de ces femmes du premier quart du XXème siècle qui tentèrent, à leur façon, de se libérer.

 

 

 

 

 

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