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Cinéma
Jean-Pierre Melville : l’outsider épicurien (I)
Jean-Pierre Melville : l’outsider épicurien (I)

| Jean-Louis Requena 1196 mots

Jean-Pierre Melville : l’outsider épicurien (I)

Première partie : temps difficiles et premiers succès

De Jean-Pierre Grumbach à Jean-Pierre Melville

Jean-Pierre Grumbach est né le 20 octobre 1917 à Paris. C’est le quatrième enfant de Jules et Berthe Grumbach, couple de commerçants (bouchers) installé rue Chaussée d’Antin (Paris IX ème). C’est une famille juive alsacienne, originaire de Belfort, territoire limitrophe de l’Alsace alors allemande (1870/1919) : elle est n’est pas religieuse mais patriote. En 1923, pour ses de 6 ans, Jules Grumbach offre à son fils Jean-Pierre, une caméra/projecteur Pathé-Baby (9,5 mm) avec laquelle celui-ci filme aussitôt son environnement familial. Cahin-caha, ce dernier poursuit sans conviction de médiocres études : c’est un mauvais élève absent, dissipé. Durant sa scolarité, il fréquente assidument les salles obscures de son quartier en « séchant » les cours. Il affirmera, plus tard, visionner jusqu’à cinq films par jour ! Son addiction : quelques œuvres françaises, mais surtout les longs métrages de « l’âge de platine » des studios hollywoodiens (période 1930/ 1940) qui succède à « l’âge d’or » du muet (1920/1930).

A 12 ans, en 1929, son père lui offre un caméra 16 mm qui lui permet de filmer de manière quasi professionnelle. Peu après la mort de son père (1932) il décide de devenir cinéaste et continue de dévorer les films américains qui envahissent les écrans français. En visionnant plusieurs fois le même film, il comprend les mécanismes de mises en scène des grands réalisateurs américains : John Ford (1894/1973), Howard Hawks (1896/1977), William Wyler (1902/1981), etc. Il établit une liste de 63 réalisateurs américains, remarquables selon lui, dont il fera état toute son existence : les maîtres de son « université ».

En 1938, à 21 ans, il est appelé sous les drapeaux pour son service militaire qu’il effectue au 71 ème Régiment d’Artillerie de Fontainebleau. Le 3 septembre 1940, la France déclare la guerre à l’Allemagne : c’est la « Drôle de Guerre ». Le soldat Jean-Pierre Grumbach est coincé dans la poche de Dunkerque comme nombre de ses camarades. Il est exfiltré en Angleterre fin mai 1940 dans le cadre de « l’opération Dynamo » (27 mai/4 juin 1940) qui a permis d’évacuer 340.000 soldats encerclés à Dunkerque (200.000 britanniques et 140.000 français). Démobilisé, il vit en « zone libre » dans le sud de la France, à Marseille. Le 8 novembre 1942 (opération Torch) les alliés anglo-américains débarquent en Afrique du Nord et s’y installent sans rencontrer de grosses difficultés (8 novembre/10 novembre 1942). Le 26 novembre 1942, l’armée allemande envahit la « zone libre » afin de s’emparer le la flotte française en rade de Toulon laquelle se saborde en quasi-totalité (27 novembre 1942). Jean-Pierre Grumbach, de confession israélite est en grand danger, pourchassé à la fois, par les occupants et les collaborateurs zélés qui arrivent dans leurs fourgons. Il décide de rejoindre l’Angleterre pour se battre. Huit mois (décembre 1942 à août 1943) lui seront nécessaire, en passant par l’Espagne, où il est emprisonné, pour rejoindre Londres. Il s’engage immédiatement dans les Forces Françaises Libres du Général de Gaulle (F.F.L). A son enrôlement dans les F.F.L, il choisira comme pseudonyme Melville qu’il gardera comme réalisateur de films.

Durant sa nouvelle formation militaire en Angleterre, il verra de nombreux films américains dont un le marquera : Autant en emporte le vent (1939) de Victor Fleming (1889/1949) alors inédit en France (il ne sortira sur les écrans français qu’en 1950 !).

En novembre 1943, il est muté à Alger où il intègre la 1er Division Française Libre (1er D.F.L). Sa division, devenue la 1er Division Motorisée d’Infanterie, rejoint le Corps Expéditionnaire Français (C.E.F) commandé par le Général Juin. Jean-Pierre Melville débarque en Sicile et entame la Campagne d’Italie. En mai 1944, il est au bord du Garigliano, rivière au sud de Naples que le Corps Expéditionnaire Français franchit au prix de lourds combats contre la Wehrmacht (ligne de défense Gustave). Jean-Pierre Melville est de la première vague. Il prend la décision de devenir cinéaste s’il sort vivant de cette guerre ….

La Seconde Guerre Mondiale achevée en Europe (8 mai 1945), il est démobilisé en novembre 1945 : il rentre à Paris ou il cherche illico à devenir cinéaste. Jean-Pierre Melville a 28 ans. Il n’a jamais approché de loin ou de près l’univers du cinéma qui est très fermé : les syndicats corporatistes ont verrouillé l’accès aux différents métiers (réalisateurs, assistants, chefs operateurs, décorateurs, techniciens, etc.). Jean Pierre Melville s’adresse aux « professionnels de la profession » (dixit Jean-Luc GODARD) qui n’entrouvrent pas la porte. Il est plus que jamais déterminé : il fera sans eux hors circuit, marginal.

Premières réalisations

Avec beaucoup de difficultés il produit et tourne son premier film : Vingt-quatre heures de la vie d’un clown (22’), court métrage sur la vie de deux clowns : Béby et Maïss. Par la suite il reniera ce « bricolage d’amateur ».

Lors de son séjour en Angleterre en 1943, Jean-Pierre Melville a lu « Le Silence de la mer » (1942) de l’écrivain résistant Vercors (Jean Bruller 1902/1991) alors vendu sous le manteau dans la France occupée par les Éditions de Minuit. Il en fait une adaptation pour le cinéma qu’il présente à l’auteur lequel a déjà accordé les droits à Louis Jouvet (1887/1951) ! Le réalisateur « fauché » se lance, en 1947, dans des conditions invraisemblables (rationnement de la pellicule, un an de tournage par fractions, etc.) dans la fabrication de son premier long métrage en promettant de montrer le film achevé à un comité de résistants présidé par Vercors : si le résultat ne leur plaît pas, il brulera le négatif !

Le Silence de la mer (86’) est approuvé à l’unanimité moins une voix par le comité de 24 résistants (novembre 1948). Le récit est simple, linéaire : un officier allemand, francophile, Werner von Ebrennac (Howard Vernon) s’installe dans la maison, réquisitionnée, d’un homme âgé où vivent, l’oncle (Jean-Marie Robain) et sa nièce (Nicole Stéphane). Malgré l’ouverture d’esprit de l’officier allemand, de ses tentatives de dialogues, ce dernier se heurte à un mur de silence.

Le Silence de la mer sorti en avril 1949 est un grand succès pour le réalisateur/producteur : 1,37 millions d’entrées. Le premier long métrage de Jean-Pierre Melville fabriqué dans des conditions spartiates (budget : 120.000 francs) est également un précurseur de la « Nouvelle Vague » (1959) : scénario du réalisateur, tournage dans la rue (sans autorisation), petit budget, équipe technique réduite, pas de syndicats « inquisiteurs », etc.

Le lendemain de la projection du Silence de la mer Jean Cocteau (1889/1963) contacte Jean-Pierre Melville et lui demande de réaliser Les Enfants terribles(1950) d’après son roman (1929).

Jean-Pierre Melville et Jean Cocteau adaptent, non sans chamailleries, fâcheries, le roman éponyme de ce dernier. Après la mort de leur mère, Élisabeth (Nicole Stéphane) et Paul (Édouard Dermit) son frère sont livrés à eux même, liés par une affection exclusive. Ils vivent ensemble dans un grand appartement parisien. Ils élaborent un univers chimérique complexe… Le tournage est tendu car Jean Cocteau est souvent présent sur le plateau pour soutenir son protégé, Édouard Dermit (1925/1995), dont la prestation est « catastrophique » (Les Enfants Terribles sera son unique film : il deviendra peintre !).

Le résultat final est hybride d’autant que certaines critiques attribuent le deuxième long métrage de Jean-Pierre Melville à Jean Cocteau qui est omniprésent en voix off. Les Enfants terribles sorti en mars 1950 ne capitalise que 700.000 entrées.

Jean-Pierre Melville, « sonné », songe à renoncer au cinéma….

A suivre…

Légende : Jean-Pierre Melville

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