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Cinéma
Jean-Pierre Melville, l’outsider épicurien (2ème Partie) : consécration et déception (I)
Jean-Pierre Melville, l’outsider épicurien (2ème Partie) : consécration et déception (I)

| Jean-Louis Requena 1259 mots

Jean-Pierre Melville, l’outsider épicurien (2ème Partie) : consécration et déception (I)

Il s’agit du dernier message d'un confiné /déconfiné avant la reprise des critiques de films :

Renouveau du genre policier

Conforté par son succès, Jean-Pierre Melville avec la même coproduction franco-italienne adapte le roman de Pierre Lesou : Le Doulos. Il y fait une relecture complète du genre policier en gommant au maximum les dialogues sans y mettre une once d’argot. Les personnages ont des allures stéréotypées qui deviendront sa signature : taiseux, portant trench-coat et chapeaux à bord. Des silhouettes stylisées, issues des films noirs américains de la décennie 1930/1940. L’image est épurée, réduite à l’essentiel ; elle le sera encore plus dans ses prochaines œuvres, de plus en plus dépouillées comme dans certains « films noirs » américains.

Maurice Faugel (Serge Reggiani) sort de prison. Sa femme a été abattue. Par vengeance, il tue le receleur Gilbert Varnove et s’enfuit avec des bijoux volés qu’il cache. Le lendemain, son meilleur ami Silien (Jean-Paul Belmondo) vient le voir chez sa logeuse. Silien est mal vu dans le milieu : il a la réputation d’être un « doulos » c’est-à-dire un indicateur…

Le Doulos (110’) est réalisé pour une grande part aux Studios Jenner où Jean-Pierre Melville, secondé par son assistant Volker Schlöendorff, dirige son septième opus en « Pacha ». Vivant dans son appartement au-dessus des plateaux de tournage, il descend vers midi et peaufine sa mise en scène jusqu’au soir !

A sa sortie en France en février 1963, Le Doulos (1962) est salué par la critique qui est stupéfaite par la maîtrise, l’abstraction muette du film à l’histoire néanmoins complexe. Le film est un franc succès qui draine 1,5 millions de spectateurs.

Jean-Pierre Melville exulte : « Maintenant, je sais que je peux assurer ma survie de réalisateur qu’en remplissant les salles ».

Deux mois après avoir achève le tournage du Doulos, il entame en septembre 1962 celui de L’ Aîné des Ferchaux adapté par lui-même d’après le roman éponyme de Georges Simenon (1903/1989). C’est son premier film en couleur avec Henri Decaë qu’il a retrouvé à la photo. Le film est à nouveau une production franco-italienne mais avec d’autres producteurs dont Charles Lumbroso est le leader. Michel Maudet (Jean-Paul Belmondo) un boxeur raté est engagé par un vieux banquier Dieudonné Ferchaux (Charles Vanel) contraint de quitter précipitamment la France pour fuir la justice …

Aux Studios Jenner où sont tournés les intérieurs la tension monte car le réalisateur s’en prend à Charles Vanel (1892/1989) et descend de plus en plus tard de son appartement du premier étage. Un incident grave (bagarre) éclate entre Jean-Paul Belmondo qui soutient Charles Vanel et Jean-Pierre Melville. Les deux acteurs principaux quittent les plateaux pour ne plus revenir… Jean-Pierre Melville part avec son assistant Georges Pellegrin au États Unis pour y faire quelques plans en caméra subjective car il n’y a pas d’acteur dans le champ ! Il rafistolera le tout au montage en y ajoutant une voix off : la sienne !

L’Aîné des Ferchaux sorti en septembre 1963 aura des critiques mitigées par rapport au précédent opus du réalisateur mais atteindra le même score : 1,5 millions d’entrées France.

Jean-Pierre Melville admire deux films policiers français : Le Trou (1960) de Jacques Becker et Classe tous risques (1960) de Claude Sautet. Ces deux longs métrages sont des adaptations de romans de la « Série Noire » écrits par José Giovanni (1923/2004) ex-taulard, condamné à mort à la Libération pour faits graves (collaboration active, interlope, crapuleuse, avec des voyous et la milice) durant l’occupation allemande. Le voyou repenti publie des ouvrages qui sonnent juste car basé sur sa connaissance du « milieu ». Jean-Pierre Melville après plusieurs projets avortés, et de longues négociations pour les droits, adapte avec l’auteur du roman, pour une part autobiographique,  Le Deuxième souffle (1966). Gustave Minda dit « Gu » (Lino Ventura) s’est évadé de prison. Il retrouve à Paris sa sœur, Simone Melletier, dite « Manouche » (Christine Fabréga) et son fidèle ami Alban (Michel Constantin). Dans un bar-restaurant de Paris une fusillade éclate : Jacques le Notaire qui partage la vie de Manouche est tué… Le commissaire Blot (Paul Meurisse) enquête dans ce milieu de truands qu’il connait bien …

En février 1966 le tournage (en noir et blanc) commence aux Studios Jenner non sans quelques difficultés dûes au financement du film. Ce dernier est interrompu puis repris « miraculeusement » en juin 1966. Le réalisateur filme avec une rigueur implacable une véritable tragédie grecque avec des imperméables et des chapeaux. Le Deuxième Souffle est un film complexe, à plusieurs intrigues, et long (150’), qui se déploie lentement autour de l’anti-héros « Gu ». C’est un long métrage aux dialogues réduits à l’essentiel en attente de l’action qui soudainement éclate : les actes se transformant en rites. Jean-Pierre Melville démontre sa maestria que les critiques applaudissent.

Le Deuxième Souffle sort sur les écrans français en novembre 1966 : C’est un grand succès avec près de 2 millions de spectateurs.

Jean-Pierre Melville est réconforté par le succès du Deuxième Souffle dont la fabrication a été difficile. Il vit dans son appartement des Studios Jenner au-dessus des plateaux de tournage. Il a définitivement adopté l’allure que nous lui connaissons : large chapeau Stetson, lunettes Ray Ban noires et imperméable mastic. Il est insomniaque, roule dans Paris la nuit au volant d’une de ses voitures américaines qu’il affectionne : Plymouth Fury, Pontiac Firebird, etc. Depuis qu’il a découvert Alain Delon (1935) dans son premier film Quand la femme s’en mêle (1957) d’Yves Allégret, il rêve de tourner avec lui. En 1967, Alain Delon dont la carrière est en panne aux États-Unis, devient réceptif à une proposition du nouveau projet de Jean-Pierre Melville : Le Samouraï (1967). Après lecture du scénario au domicile parisien de l’acteur les deux hommes tombent d’accord. Le tournage commence aussitôt aux Studios Jenner. Le réalisateur a pu cette fois s’adosser à des producteurs fiables de la place de Paris : Raymond Borderie (1897/1982) et son fils qui ont fait de grandes recettes avec la série Angélique marquise des anges de son fils Bernard Borderie (1924/1978), et celle des OSS 117 d’André Hunebelle (1896/1985). Le dixième long métrage sera en couleur, mais avec une palette très resserrée (du bleu nuit au gris) quasiment un noir et blanc photographié par Henri Decaë que le metteur en scène retrouve après l’expérience éprouvante de L’Aîné des Ferchaux .

Jeff Costello (Alain Delon) un tueur à gage solitaire, tue un patron d’une boîte de jazz. Après son forfait, en sortant il croise la pianiste du club Valérie (Cathy Rosier). Malgré un alibi très bien échafaudé, il est poursuivi par un commissaire (François Perier) persuadé de sa culpabilité …

Jean-Pierre Melville a non seulement déssaturé les couleurs de son film mais il a réduit les dialogues au minimum (le film est quasiment muet) et fait agencer des décors minimalistes : l’atmosphère est irréelle, l’image une épure. L’acteur principal effectue durant la narration une lente chorégraphie, une gestique ritualisée qui le mène vers une mort volontaire. Le Samouraï fascine par ses parties pris extrêmes (jeux des acteurs, photographie, décors, musique instrumentale, etc.) en France et au-delà de nos frontières. Des réalisateurs, et non des moindres, se réclameront de cette esthétique simplifiée, puissante : John Woo (1946), Johnny To (1955), Michaël Mann (1943) et même Quentin Tarantino (1963).

Un drame survient dans les Studios Jenner : le 29 juin 1967, Jean-Pierre Melville est réveillé par un de ses chats Griffolet… Un incendie s’est déclaré et ravage les installations. Le tournage reprend et s’achève au studio de Saint-Maurice.

Le Samouraï sorti en octobre 1967 est un succès critique et commercial : près de 2 millions de spectateurs soit le même score que son précédent opus, Le Deuxième Souffle.

Jean-Louis Requena

(à suivre)

Légende : Jean-Paul Belmondo et Todd Martin dans L'aîné des Ferchaux (1963)

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