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Cinéma
Disparition de Marc Ferro (1924/2021) Un historien cinéphile
Disparition de Marc Ferro (1924/2021) Un historien cinéphile

| Jean-Louis Requena 927 mots

Disparition de Marc Ferro (1924/2021) Un historien cinéphile

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Marc Ferro dans sa bibliothèque ©
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Nazisme et communisme : un rapprochement "courageux" de Marc Ferro ©
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Marc Ferro est né à Paris le 24 décembre 1924. Son père, un agent de change italo-grec disparait alors qu’il n’a que 5 ans. Un deuxième drame familial le marquera à jamais. Sa mère, Oudia (1897/1943) d’origine juive, née à Novohrad-Volynskï en Ukraine, modéliste chez Worth (maison de haute couture), est arrêtée, sur dénonciation, en juin 1943. Elle est transférée de Drancy au camp d’Auschwitz où elle est assassinée dès son arrivée. En 1945, son fils attendra vainement devant l’hôtel Lutétia (Paris VI ème), son retour, après la libération des camps nazis : il ne reverra jamais sa mère chérie. Il en sera hanté à tout jamais. Nonagénaire, il sera ému aux larmes en évoquant cette tragédie filiale.

Depuis sa prime enfance, Marc Ferro, fréquente assidûment les salles obscures et visionne une quantité de films : le cinéma sera la passion de sa vie …

En 1944, étudiant à la faculté de Grenoble, il s’engage dans la résistance afin d’échapper, comme tant de jeunes français, au STO (Service du travail obligatoire) et d’être expédié en Allemagne. Il rejoint le maquis du massif du Vercors d’où il réussit à s’exfiltrer après l’attaque conjointe des miliciens français et de la Wehrmacht (juillet/août 1944). En septembre 1944, il participera à la libération de Lyon.

Devenu enseignant, il séjourne de 1948 à 1956 en Algérie à Oran (Lycée Lamoricière). Il découvre la complexité sociétale de « l’Algérie Française » et les évènements violents de la Toussaint 1954 qui inaugurent la « Guerre d’Algérie » (1954/1962). Cette expérience fera de lui un anticolonialiste convaincu : il écrira de nombreux ouvrage sur ce sujet, toujours à charge, peu nuancé (Le Livre noir du colonialisme, Éditions Robert Laffont – 2003, La Colonisation expliquée à tous – Le Seuil – 2016, etc.). Mais c’est à l’histoire de l’URSS qu’il consacrera, dès les années 60, ses premiers travaux : La Révolution de 1917 (2 volumes réédité - Albin Michel en 1997 – 1100 pages !) ; une biographie de Nicolas II (Payot 1990) ; de nombreux autres ouvrages sur l’URSS et la Russie. Au total, une vingtaine de livres sur ce vaste champ historique qui lui tenait à cœur.

Revenu en métropole, il enseigne dans divers établissements parisiens avant d’être nommé, en 1969, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) dirigée par le grand médiéviste Fernand Braudel (1902/1985). Intrigué par le parcours pédagogique/universitaire atypique de Marc Ferro (un peu semblable au sien !), il lui confie la codirection de la prestigieuse revue Les Annales, phare et balise, de « La Nouvelle Histoire ».

« La Nouvelle Histoire » s’ouvre à de nouvelles disciplines jusque-là délaissées par les « historiens classiques » dont les champs d’investigations sont principalement les dynasties et les batailles. Pour Marc Ferro ce sera « Cinéma et Histoire » dont il devient le porte étendard (Cinéma et Histoire Denoël et Gonthier – 1977). Il utilise le cinéma comme une source de connaissance des sociétés à partir de leurs représentations (visuelle et sonore), de témoignage aux mêmes titres que les sources traditionnelles des historiens (documents écrits, archéologie). Un film, même de médiocre qualité artistique, contextualisé dans une perspective historique, devient « un révélateur des sociétés passés ».

A la télévision, à partir de 1989 sur la Sept puis dès 1992 sur Arte, il ne présente pas moins de 630 émissions (le samedi en fin d’après-midi), de son Histoire parallèle jusqu'en 2001. Le concept est simple, mais très enrichissant : comparer les actualités cinématographiques hebdomadaires de deux pays puis en débattre avec un invité de qualité (démarrage de la série : prélude à la seconde guerre mondiale). Cette série télévisée obtient un grand succès qui propulsera Marc Ferro dans la lumière médiatique à laquelle peu de véritables historiens accèdent (Henri Guillemin, Alain Decaux) et de (trop) nombreux vulgarisateurs ! Toujours très actif sur le plan de l’édition, il publie en 1987 une grande biographie : Pétain (Edition Fayard – 789 pages). Ce gros ouvrage (biographie incongrue pour la « Nouvelle Histoire » !) décrit avec pertinence la longue existence du Maréchal Pétain (1856/1951). Philippe Pétain issu d’un milieu modeste, simple colonel de régiment en août 1914 à 58 ans, indifférent à la caste des officiers supérieurs de l’Armée Française, en majorité bravaches et revanchards (stratégie offensive à tout prix, dévoreuse d’hommes), aimé de ses troupes durant la Grande Guerre (1914/1918) car économe de ses hommes (Bataille de Verdun : février/décembre 1916). Marc Ferro « dissèque » son immense popularité, son arrivée au pouvoir politique en juin 1940, à 84 ans, et ce qui s’ensuivit … En 1993, l’historien adaptera quelques chapitres de son ouvrage (le Régime de Vichy et sa chute) avec le réalisateur Jean Marboeuf (1942) dans un long métrage homonyme : Pétain (132’). Il fut mécontent du résultat final dont des scènes importantes ont été soustraites au montage. La réception critique fut mauvaise (« chagrinant et pitoyable »). Le genre biopic est souvent navrant au cinéma : on y gomme aisément la complexité qui demande de longs développements. L’ellipse n’est pas un principe historique !

Marc Ferro a rédigé une quantité impressionnante de livres (64 au total) sur des sujets les plus divers, le communisme, la Russie, le Monde arabe, les deux guerres mondiales, sur l’histoire, le cinéma, etc. Son dernier ouvrage paru, L’entrée dans la vie (Tallandier – 2020) retrace, en courts chapitres, son intérêt pour des personnages connus, ou inconnus, au début de leur carrière couplés avec des références cinématographiques.

Nonagénaire, alerte, toujours passionné, il continuait à présenter, dans des salles obscures les films qu’il aimait depuis toujours.

Marc Ferro historien et cinéphile est décédé le 21 avril 2021 à 96 ans, emporté par « une complication du Covid-19 ».
C’était homme immense, attachant, au savoir encyclopédique, pédagogue sans être jamais pédant, qui nous a quittés.

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