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Cinéma
Compartiment n°6 (107’) - Film finlandais en coproduction (Estonie, Russie, Allemagne) de Juho Kuosmanen
Compartiment n°6 (107’) - Film finlandais en coproduction (Estonie, Russie, Allemagne) de Juho Kuosmanen

| Jean-Louis Requena 577 mots

Compartiment n°6 (107’) - Film finlandais en coproduction (Estonie, Russie, Allemagne) de Juho Kuosmanen

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"Compartiment n°6" de Juho Kuosmanen ©
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Moscou. Un grand appartement début de la décennie 90. Un groupe de trentenaires discute bruyamment et boit abondamment : ce sont des scientifiques russes qui ont organisé une chaleureuse party. La soirée est animée. Laura (Seidi Haarla), une étudiante finlandaise est un peu à l’écart du groupe : elle ne parle pas très bien le russe, ce qui suscite de gentilles moqueries de la part de ses commensaux. Irina (Dinara Drukarova) la maîtresse de maison est la tutrice et l’amante de Laura. Elles s’aiment. Mais autant Laura est réservée autant Irina est extravertie, vibrionnante. Elles ont arrêté un projet commun : aller à Mourmansk, « ville-héros », port important (civil et militaire) au nord du cercle polaire, à 2.000 kilomètres de Moscou, afin d’y observer les Pétroglyphes (gravures sur pierre âgées de 10.000 ans). Le lendemain de la fête, Irina annonce tout de go qu’elle ne fera pas le voyage. 

Laura se retrouve seule … Elle parle mal le russe avec un fort accent finnois.

Après avoir eu ses papiers et son ticket de transport vérifiés par une « babouchka » en uniforme peu accorte qui surveille son wagon, Laura pénètre dans le compartiment n°6 (voiture couchette) pour la durée du voyage jusqu'à Mourmansk. Un homme jeune, le crâne rasé, quelque peu agité, occupe déjà une couchette en face de celle de Laura : Ljoha (Youri Borisov), un jeune ouvrier qui part travailler à Mourmansk. Il fera tout le parcours dans le même compartiment que Laura … Déjà passablement alcoolisé, intrigué par le russe hésitant de Laura, il ne cesse de la questionner.

Laura est inquiète. Elle doit rester, dans un espace clos, de longues heures avec un jeune russe bâfreur, inculte et aviné …

Compartiment n°6, deuxième long métrage du finlandais Juho Kuosmanen (42 ans), est un voyage dans le temps (durée du trajet du train) et dans l’espace (les paysages enneigés). Mais c’est aussi le choc des cultures entre une jeune intellectuelle finnoise et un jeune russe inculte mais fier de sa patrie, la Russie. Le réalisateur a pris soin d’éviter une datation précise de l’action, tout en nous livrant quelques marqueurs visibles (vêtements, walkman, caméscope, etc.). Cependant, nous comprenons que le régime communiste (Union des Républiques Socialistes Soviétiques) s’est effondré (1991) et que la Communauté des Etats Indépendants (Fédération de Russie) a été constituée depuis quelques temps. Ainsi les « comportements soviétiques » sont très présents (militarisation des services : gardienne du wagon, serveur du wagon restaurant, absence d’empathie, etc.) et le capitalisme (sauvage), sans retenu, encore absent. L’histoire essentiellement à deux personnages, est mince, linéaire, rythmée par la chanson française « Voyage, voyage » (1980) de la chanteuse française Desireless (son seul succès). Malgré un tournage rapide (30 jours) en décors naturels mouvants (le train !), la mise en scène est très élaborée en dépit des espaces exiguës (compartiments, couloirs, etc.). L’histoire construite par le réalisateur et deux scénaristes (Andris Feldmanis et Livia Ulman) d’après le roman de Rosa Liksom (Compartiment n°6 – 2013- Editeur Gallimard) fort remanié, intègre quelques arrêts du train pour Mourmansk et donc des échappées hors de celui-ci nous réservant quelques scènes cocasses, dramatiques sur la fin du régime soviétique.

Ce long voyage vers le cercle polaire est aussi une sorte de trajet initiatique : qui est l’autre vraiment une fois dépouillé de sa première « peau » ? Dans notre monde complexe, en perpétuelle mutation, l’altérité est nécessaire, le rejet superflu.

Compartiment n°6 en sélection officielle au Festival de Cannes 2021 a obtenu le Grand Prix du Jury ex-oequo avec Un héros de l’iranien Asghar Farhadi.

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