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Patrimoine religieux
Cloître des Récollets à Ciboure : une nouvelle cloche pour la chapelle N.-D. de la Paix
Cloître des Récollets à Ciboure : une nouvelle cloche pour la chapelle N.-D. de la Paix

| Alexandre de La Cerda et rédaction 1544 mots

Cloître des Récollets à Ciboure : une nouvelle cloche pour la chapelle N.-D. de la Paix

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La cloche "Bakea" ©
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La cloche "Bakea" ©
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Bakea, la nouvelle cloche de la chapelle Notre-Dame de la Paix du Cloître des Récollets a été inaugurée vendredi dernier 10 février en présence de Jean-François Irigoyen, maire de Saint-Jean-de-Luz et président du Syndicat de la Baie Saint-Jean-de-Luz/Ciboure, et d’Eneko Aldana-Douat, maire de Ciboure et vice-président du syndicat.

Bakea, un instrument de musique riche en symboles

La nouvelle cloche de l’ancienne chapelle a reçu pour nom « Bakea ». Il fait référence à la mission des Frères Récollets et au nom de la chapelle Notre-Dame de la Paix. Elle est ornée des blasons des deux villes, de l’année 2023 et de décors de frises de cordelettes. Elle porte également une épigraphe en euskara rappelant la mission de transmission du future Centre d’interprétation du patrimoine (CIAP) :
« Ene otsak badiako biztanleak berriz bateratzen ditu / Ene oihartzunak belaunaldiak lot ditzala beren historiari » (Ma voix unit à nouveau les habitants de la baie, que mon écho relie les générations à leur histoire).

La fonderie normande Cornille-Havard, entreprise spécialisée depuis le XIXème siècle, a créé cette cloche. Bakea est en airain, un alliage à base de cuivre et d’étain utilisé spécifiquement pour la fonderie des cloches. D’un poids de 70 kg, elle sera équipée d’un moteur électrique pour sa mise en volée et d’un marteau de tintement également électrique.

L’inauguration a permis de découvrir le son de Bakea, un sol 4 qui va résonner dans cette chapelle qui servait aux offices des frères mais était aussi largement ouverte sur la cité, comme lieu de réunion des édiles, des navigateurs ou encore des intellectuels.

Jean-François Irigoyen a remercié l’ensemble des partenaires financiers qui ont cru à cette belle aventure, ainsi que les agents du Syndicat de la Baie Saint-Jean-de-Luz/Ciboure et Rémi Desalbres qui, « au-delà de ses talents d’architecte, a mis beaucoup de passion et d’enthousiasme dans la réalisation de ce projet d’envergure ».
Mikel Epalza, aumônier des marins, a béni Bakea avant que l’assemblée entonne d’une même voix l’Angélus en euskara.

La cloche sera installée par l’entreprise Heurelec. Sa voix résonnera pour la première fois dans le port de Saint-Jean-de-Luz et Ciboure lors de l’inauguration du CIAP des Récollets. Elle marquera le temps de la redécouverte de ce monument historique méconnu et de l’appropriation d’un équipement destiné à la transmission et l’expérimentation du patrimoine.

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Projet de restauration du cloître des Récollets ©
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L'occasion pour nos lecteur d'un rappel historique de cet ensemble des Récollets que le cours des siècles avait profondément transformé, désormais tel un vaisseau amarré à la terre ferme ziburutar.
En effet, les Récollets forment une presqu’île rattachée à la rive gauche de la Nivelle, mais il n’en fut pas toujours ainsi.

Par exemple, au moment du mariage de Louis XIV, il s’agissait bien d’une île au milieu de la rivière, sorte d’endroit réputé « mal famé » à l’époque car ce terrain nu situé de part et d'autre d’un pont reliant deux communautés antagoniques constituait un véritable champ de bataille, où s’affrontaient ceux que l’on nommait « habitants de la vase » et ceux des sables.

En fait, les Luziens et et les Cibouriens ou Ziburutar ainsi nommés car « Luz » de Saint-Jean-de-Luz vient par déformation du basque « lohitzun », boueux, et par extension, marécageux (loïtz, devenu luz), c’était donc littéralement « Saint-Jean des Marais ».
Ces marécages s'étendaient tout au long de la Nivelle. Ils ne furent asséchés qu’au milieu du XIXème siècle, et valurent donc aux habitants de Jean-de-Luz l'épithète de « Basakoak », ou habitants de la vase, contre celle de « Arekoak » ou habitants des sables à ceux de la ville voisine de Ciboure.
Et cette inimitié entre les deux communautés était aussi vieille que la formation, par sa séparation d'Urrugne au XVIème siècle, de Ciboure face à Saint-Jean-de-Luz.

De plus, s’y ajoutaient des querelles liées au partage des droits de port, c’est-à-dire les droits perçus pour les opérations commerciales ou les séjours des navires effectués dans le port, querelles qui avaient causé en 1605 la mort du jurat luzien Rapatze. 
Et les protagonistes en vinrent même à s’accuser de sorcellerie en donnant un prétexte rêvé aux répressions organisées en 1609 par le tristement célèbre conseiller de Lancre. 

Des Franciscains en guise de « casques bleus »

Résolus à l'éradication de ce véritable état de guerre, les magistrats, pour pacifier les esprits, firent appel en 1611 à l’ordre religieux des Récollets qui installa sur l'île qui porta désormais leur nom une grande chapelle et un couvent.

Il s’agit d’une branche de l’Ordre des Franciscains, dont le nom vient du latin « recollecti » (recueillis). Après s'être installés en Italie, ils furent introduits en France à la fin du XVIème siècle : ils fournissaient des missionnaires pour les Indes, le Canada, et des aumôniers pour les régiments. 
Après bien des péripéties, Mgr d'Etchauz planta la croix au milieu de l'île et posa la première pierre du couvent le 14 avril 1611, en présence des habitants des deux villes. Le couvent fut inauguré par l'évêque de Bayonne en 1613. D'après les dessins de l'époque, il apparaît que la chapelle (bâtiment principal) a été construite la première avant le cloître, dont la date 1643 figure sur les fresques de la bibliothèque. Une « Maison des évêques » fut ajoutée au couvent en 1675 par le seigneur d'Urtubie. Ce dernier repose d'ailleurs quelque part dans le couvent. 

Une chapelle adossée au cloître fut érigée et ce site devint un lieu de culte et de culture. On trouve ainsi à l'église Saint Martin à Ahetze un rétable signé « Frère Martin, Récollet, 1733 ». L'activité culturelle du couvent était intense : les pères tenaient des conférences théologiques publiques et des personnalités se retiraient au couvent pour écrire. 
Leur bibliothèque comptait plus de1 200 livres qui ont disparu, sans doute brûlés pendant la Révolution. 
Le cloître était formé de 18 arcades cintrées qui retombent sur des piliers carrés avec une cour dallée surélevée au centre de laquelle se trouve un puits-citerne. Ce puits fut offert par le Cardinal Mazarin lors de son passage à l'occasion du mariage de Louis XIV et en honneur de la paix conclue entre la France et l'Espagne. En fait, au début des pourparlers entre le Premier ministre, le cardinal Jules Mazarin, et son homologue espagnol don Luis Mendez de Haro, les réunions devaient se tenir soit au couvent des Recollets, soit au château d’Urtubie. Mais le roi d’Espagne s’y opposant, il fut décidé qu’elles se tiendraient dans une île de la Bidassoa, connue sous le nom d’île des Faisans. 

Le couvent des Récollets accueillit ainsi régulièrement les évêques de Bayonne, hébergea et reçut des hôtes importants, comme le cardinal de Mazarin. Pendant leur séjour luzien, Louis XIV et sa mère Anne d'Autriche s'y rendirent souvent pour entendre les offices. Dans une des pièces du couvent furent exposés le trousseau de l'Infante, les nombreux cadeaux, ainsi que les habits du roi. 
Plus tard, au début de l'année 1713, la reine douairière d'Espagne, Marie-Anne de Neubourg, exilée à Bayonne pendant trente-deux ans, y logera au cours de ses séjours luziens dans l'appartement dont l'évêque de Bayonne disposait au couvent des Récollets. Selon certains témoignages, une école de navigation aurait même existé vers le milieu du XVIIIème siècle.

Entre vandalisme révolutionnaire et collections picturales

La révolution de 1789 chassa les religieux : la Vierge au-dessus de la porte fut décapitée, mais curieusement les fleurs de lys du porche furent épargnées. En 1802, le maire de Ciboure, Jean Detchevers, voulut relever le couvent de ses ruines. Il proposa d'acquérir les biens avec la municipalité de Saint-Jean-de-Luz pour en faire un hospice. En vain. Finalement, les armateurs Leremboure et Labrouche achetèrent les bâtiments. 

En 1821, le couvent fut revendu à l’État, et en 1850, les douanes achetèrent deux nouvelles parcelles, la chapelle étant affectée au Service de la guerre. Dès lors s'amorça la vente de parcelles à des propriétaires privés : les entrepreneurs Noubel, Laussen et Dupuy et l'architecte Seron. Ce dernier construisit un corps de bâtiment d'habitations à deux étages accolé à la chapelle. 
Entre temps, l'île des Récollets avait été rattachée définitivement à la terre ferme ziburutar. En 1900, le nouvel acquéreur, Jeanne Cécile Latge, transforma ces bâtiments en une usine de salaison, la première usine de Ciboure. Les sardines et les anchois étaient pressés en baril dans la chapelle. Puis, la famille des armateurs Elissalt acheta les bâtiments en 1907 avant de construire la "Conserverie moderne"
Finalement, la maison des Évêques a été acquise en 1997 par le syndicat intercommunal de la baie. 

Quant à la chapelle, la ville de Ciboure l’avait rachetée en 2007 à la famille Elissalt (dont est issue l’épouse du dessinateur Jean Pattou). Ces dernières années, quelque peu restaurée, elle abrita des concerts ainsi que les belles expositions de peintres basques du collectionneur d’art Robert Poulou. 
Le plan originel prévoyait sa transformation en salle multifonctions. Désignation technocratique en diable pour signifier que cet ancien lieu de culte qui servit pendant la Révolution de 1789 d’antichambre (de prison) de la guillotine installée entre la mairie de Saint-Jean-de-Luz et la "Maison Louis XIV" continuerait, du moins on peut l’espérer, à servir de salle de concert et de galerie d'exposition comme celles de Robert Poulou. Il était également prévu que l'aile est des Récollets devait accueillir les professionnels du port et on verra quelle sera la destination définitive de la Maison des évêques appartenant au Syndicat de la baie : elle abritera sans doute l'administration du port de pêche.

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