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Musique
André Hodeir, l’intellectuel du Jazz, par Michel d’Arcangues
André Hodeir, l’intellectuel du Jazz, par Michel d’Arcangues

| Michel d’Arcangues 1434 mots

André Hodeir, l’intellectuel du Jazz, par Michel d’Arcangues

zMusique André Hodeir avec Django et Joseph Reinhardt, Gérard Lévêque à la clarinette, Jean Storne à la contrebasse, 1943.jpg
André Hodeir avec Django et Joseph Reinhardt, Gérard Lévêque à la clarinette, Jean Storne à la contrebasse, 1943 ©
zMusique André Hodeir avec Django et Joseph Reinhardt, Gérard Lévêque à la clarinette, Jean Storne à la contrebasse, 1943.jpg
zMusique André Hodeir et le Jazz Groupe de Paris (1954-1960).jpg
André Hodeir et le Jazz Groupe de Paris (1954-1960) ©
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Le Parisien André HODEIR (1921-2011), a mené une féconde et riche carrière de violoniste, compositeur, musicologue, chef d’orchestre, théoricien, critique, pédagogue, arrangeur, journaliste et écrivain pendant plus d’une cinquantaine d’années.

Sa formation est celle d’un musicien classique, il a suivi des cours au Conservatoire de Paris (1941-1947), notamment avec Olivier MESSIAEN, après un séjour au sanatorium pour cause de tuberculose (1938-1941), dont il guérira.
Très vite il s’intéresse au Jazz dont il va tenter de renouveler les formes en parallèle avec les techniques d’écriture de la musique classique et de créér un pont entre les deux styles qu’on nommera plus tard le « Third Stream » (Troisième Courant).

Sous le pseudonyme de Claude LAURENCE, il joue du violon dans les clubs et les cabarets de la capitale en pleine occupation, notamment dans l’orchestre d’André EKYAN et avec Django REINHARDT et son frère Joseph.

Il produit ses premiers disques en 1942 sous le nom de Claude LAURENCE (Minor Swing et Brumes du Soir), puis en 1948 avec notamment le pianiste Bernard PEIFFER.

A partir de 1945 il écrit des articles pour la revue Jazz Hot dont il devient rédacteur en chef en 1948 et publie son premier livre la même année, « Le Jazz cet Inconnu » suivi de « Introduction à la Musique de Jazz » (1948) où il rompt avec les conceptions plus traditionnelles d’Hugues PANASSIE qui fut sa première influence (et qui désormais ne l’aura plus en Hodeir de sainteté)...

Il enregistre au violon en 1948 avec son complice le grand batteur Kenny CLARKE qui le suivra régulièrement dans ses aventures musicales.

En 1949, il est nommé membre du jury du Conservatoire Supérieur de Musique de Paris, et participe aux côtés de Darius MILHAUD, Olivier MESSIAEN , Henri SAUGUET, Karlheinz STOCKHAUSEN, Jean BARRAQUE, Pierre BOULEZ, au groupe de recherche concrète de Pierre SHAEFFER et Pierre HENRY pour la RTF, et compose en 1952 une pièce pour piano et bande magnétique, « Jazz et Jazz », interprétée par Bernard PEIFFER.

Il sera le premier à inclure l’écriture dodécaphonique dans le Jazz.

En 1954 il crée l’Académie du Jazz, et fonde le Jazz Groupe de Paris, cette formation modulable et novatrice fut essentiellement constituée de neuf musiciens, dont Fats SADI, Bobby JASPAR, Pierre MICHELOT, Roger GUERIN et Nat PECK et fut active jusqu’au début des années 1970.

Avec cet ensemble résolument moderne, il grave en 1954 une série de six de ses compositions sous le titre « Essais ».

En 1956, sous le nom de Kenny CLARKE Sextet, six nouvelles compositions originales sont enregistrées, plus trois thèmes de Bud POWELL, John LEWIS et Duke JORDAN, disque paru sous le titre «Le Jazz Groupe de Paris joue André HODEIR », le compositeur y défend sa théorie de l’écriture intégrale, laissant peu de place à l’improvisation.

Il s’exprimera sur ses intentions dans un texte issu de son livre « Jazz et Jazz » : « Dans l’hypothèse que le Jazz est susceptible de se transformer, on peut se demander comment s’accomplira ce changement. Il est peu probable que les improvisateurs puissent aller très loin dans la voie d’un enrichissement formel. Avec Charlie PARKER et Thelonious MONK, l’improvisation jazzistique a, semble-t-il, atteint un plafond qu’on ne crèvera pas de sitôt. Les facultés humaines ne sont probablement pas extensibles au point de permettre à un musicien, fût-il génial, de réaliser dans l’instant ce que d’autres musiciens de génie ne purent faire qu’au prix d’un patient labeur. Si une telle transformation doit se produire, c’est plutôt à l’espèce nouvelle des compositions qu’il devrait échoir d’en être l’agent ». 

En 1956, Kenny CLARKE et son Sextet dont font partie les pianistes René URTREGER et Martial SOLAL, enregistre une série d’arrangements ciselés par HODEIR sur des thèmes composés par des jazzmen : Thelonious MONK, Miles DAVIS, Duke ELLINGTON, Gery MULLIGAN, Milt JACKSON et Tadd DAMERON. 

Ces disques d’une grande finesse harmonique et de belle facture, avec de brillants et subtils arrangements et un swing toujours présent, qui s’écoutent avec le plus grand plaisir, ont été réédités dans la collection « Jazz in Paris ».

L’année suivante il travaille à New York avec la crème des musiciens de Jazz américains (Donald BYRD, Idrees SULIEMAN, Frank REHAK, Hal McKUSICK, Jay CAMERON, Eddie COSTA, George DUVIVIER, Bobby DONALDSON et Annie ROSS pour une douzaine de ses compositions enregistrées sous le titre de « American Jazzmen Play André HODEIR »). 

En 1960 il écrit sa « Jazz Cantata » avec pour interprète la vocaliste Christiane LEGRAND et neuf musiciens, suivie par « Anna Livia Plurabelle » en 1966 pour deux voix de femmes et grande formation, puis « Bitter Ending » (1972) pour huit voix et quintette de Jazz, deux œuvres complexes inspirées de textes de James JOYCE.

Par l’entremise de son ami le guitariste Henri CROLLA, il se lance dans l’écriture de musiques pour le cinéma, courts et longs métrages, une cinquantaine de partitions pour Jacques Yves COUSTEAU (Autour d’un Récif, 1949), Charles PAVIOT, Chris MARKER, Raoul ANDRE, Gilles GRANGIER (Gas-oil avec Jean GABIN, 1955), Alain RESNAIS, Michel FANO, Yves ALLEGRET, Georges FRANJU, Agnès VARDA, Maurice DELBEZ, Yves CIAMPI, Michel BOISROND, Claude Bernard AUBERT, etc... 

Il est professeur à Harvard (1976-1978), et travaille à l’IRCAM sur un programme de Jazz, mais cesse de composer à partir de 1972 pour se consacrer à la littérature, à l’exception d’une série de pièces pour son ami Martial SOLAL en 1984. 

Il publiera une dizaine de livres sur le Jazz et la musique contemporaine dont « Les Formes de la Musique », « Hommes et Problèmes du Jazz » (1954), « La Musique Depuis Debussy » (1961) , « Les Mondes du Jazz » (1970). 
Il est aussi l’auteur de trois romans et de deux recueils de nouvelles, ainsi que des livres pour la jeunesse.

Ce grand musicien, compositeur et théoricien français, passionnant, intelligent, original et innovateur, artiste majeur dans l’histoire si riche et si variée de la musique de Jazz, mérite d’être redécouvert et apprécié à l’occasion du centenaire de sa naissance et du dixième anniversaire de son décès.

Plusieurs de ses enregistrements, tous surprenants, ont heureusement été réédités, parmi lesquels :

- JAZZ & JAZZ , qui regroupe ses pièces les plus novatrices : « Flautando » pour trois flutes en rerecording interprétée par Raymond GUIOT et trio de Jazz – et quel trio : Martial SOLAL, Pierre MICHELOT et Kenny CLARKE ; des extraits de « Jazz Cantata » avec la vocaliste virtuose Christine LEGRAND et ensemble de Jazz ; « Trope à Saint-Trop » et « Osymetrios I et II » tirés du film « Saint-Tropez Blues » de Marcel MOUSSY ; « Le Palais Idéal » en six parties, inspiré par la construction extraordinaire du facteur Cheval dans la Drôme, musique de film pour le documentaire d‘Ado KYROU ; « Jazz et Jazz », bande magnétique originale enregistrée en 1952 pour le Groupe de Recherches Musicales, avec Martial SOLAL au piano, Roger GUERIN à la trompette, Emmanuel SOUDIEUX à la contrebasse, Richie FROST à la batterie, et le compositeur Jean BARRAQUE au piano préparé.

- André HODEIR. The Vogue Sessions. Ce disque regroupe deux musiques de films, pour Jacques-Yves COUSTEAU, « Autour d’Un Récif » (1949), et « Saint-Tropez » de Paul PAVIOT (1953), ainsi que six compositions réunies sous le titre « Essais », avec le Jazz Groupe de Paris dont font partie Bobby JASPAR, « Fats » SADI, Nat PECK et Pierre MICHELOT (1954).

- LE JAZZ GROUPE DE PARIS JOUE ANDRE HODEIR. Six compositions du maître et trois standards de Bud POWELL, John LEWIS et Duke JORDAN (1956). HODEIR expliquait sa démarche dans un texte paru en 1961 : « Au temps de la création du Jazz Groupe, j’étais parvenu à une certaine sûreté de plume, disons que j’avais résolu dans un sens personnel le problème de l’écriture de l’orchestre de Jazz, ou tout du moins d’un certain type d’orchestre, mais sur le plan formel (que je commençais à ressentir comme le plus essentiel), j’étais dans l’obscurité et chaque pièce constituait une tentative de fixation de cette chose indéfinissable qu’est le « devenir musical ».

- KENNY CLARKE PLAYS ANDRE HODEIR (1956). Douze standards écrits par des musiciens de Jazz et trois thèmes de HODEIR arrangés par lui-même où les solos sont intégralement écrits. Il s’en explique longuement dans le livret qui accompagne le disque avec une analyse détaillée de chaque morceau. « Ce que nous avons tenté de faire ici, c’est un pas en avant vers cette approche nouvelle du Jazz de petite formation ».

- ANNA LIVIA PLURABELLE. Pour deux voix et ensemble de Jazz. Direction musicale Patrice CARATINI. Textes de James JOYCE. Enregistré en 1993.

- André HODEIR – Bitter Ending. Les Swingle Singers. 1974.

- Martial SOLAL et son Orchestre Jouent André HODEIR. Musique Française d’Aujourd’hui. 1984.

- Joseph REINHARDT et son Ensemble. 1943 (4 titres). Collection Jazz in Paris. Jazz Sous l’Occupation. 

- Claude LAURENCE et son Orchestre. 1942. 

- JAZZ et CINEMA. Vol. 3. Musique du Film « Les Tripes au Soleil ». 1959. Collection Jazz in Paris. 

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André Hodeir ©
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André Hodeir, 1960 ©
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