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A propos d’un centenaire : de Marcel Proust aux frères Daudet en passant par les frères J.-H. Rosny, jeune & aîné...
A propos d’un centenaire : de Marcel Proust aux frères Daudet en passant par les frères J.-H. Rosny, jeune & aîné...

| Alexandre de La Cerda 1574 mots

A propos d’un centenaire : de Marcel Proust aux frères Daudet en passant par les frères J.-H. Rosny, jeune & aîné...

C’est un document exceptionnel que publie cette semaine la toujours intéressante « Lettre des Amis du Lac d’Hossegor », une association culturelle qui défend remarquablement le patrimoine littéraire, architectural et historique de notre région. Il s’agit d’un appel pressant – qui devrait tous nous inspirer - de l’académicien Rosny jeune résidant à Hossegor et auquel doit beaucoup la renommée acquise par la villégiature de la côte sud des Landes. 
Le vieux Bayonne avait ainsi inspiré à Rosny jeune les réflexions suivantes :
« Détruire sans mesure les vieux quartiers, les monuments du passé, c'est détruire la mémoire d'un grand pays, mémoire sans puissance effective lorsqu'elle est purement abstraite ou verbale. Notre rêve devant les cathédrales, devant les maisons anciennes, devant les ormes et les chênes centenaires, nous fournit plus de motifs d'action que le monotone rappel de l'intérêt pur et simple. Le passé est à ce point indispensable à la grandeur, à l'activité du présent, qu'on voit les peuples neufs, les Américains par exemple, faire d'instinct les plus grands efforts pour transporter chez eux, sous forme de vieux meubles, de vieux tableaux, un peu de ce reliquat des siècles où s'accroche notre curiosité, et aussi notre personnalité. Avoir ce que ne peuvent avoir les peuples neufs, le milieu même de notre formation et ne pas le conserver jalousement, est un crime contre l'espèce. Rien, en somme, n'est plus facile que de concilier le souci de l'hygiène, le souci d'une bonne viabilité avec le respect de ces reliques si chères à notre cœur ».  J.-H. Rosny jeune, de l'Académie Goncourt  
Photo de couverture : J.-H. Rosny aîné et J.-H. Rosny jeune

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J.-H. Rosny aîné, juré du prix Goncourt devant le restaurant Drouant ©
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Précisément, à propos du centenaire de l’écrivain Marcel Proust, l’Association littéraire des Amis du lac d’Hossegor rappelle que cet anniversaire revêt un intérêt et une signification exceptionnels ! 

En effet c’est grâce à la voix de l’écrivain Rosny Jeune, qui habitait à Hossegor dans sa villa « Aguaréna », que le prix avait pu être décerné à Marcel Proust : « Nous sommes en 1919, son voisin, l’autre académicien d’Hossegor Paul Margueritte, est décédé en 1918 et enterré au cimetière de Soorts-Hossegor. Rosny Jeune, un peu fatigué, hésite à faire ce long voyage – il faut en calèche aller prendre le train à Saint-Vincent de Tyrosse - mais finalement il se rend (fort heureusement !) à Paris pour la remise du prix Goncourt qui deviendra le prix le plus prestigieux de France et qui encore le demeure de nos jours.

L’événement littéraire national intervient le 10 décembre 1919 et c’est grâce au vote de Rosny Jeune, l’écrivain d’Hossegor (sa voix sera décisive), que Marcel Proust obtiendra le prix Goncourt ! »

Quand Proust obtenait le « Goncourt » grâce à Daudet et aux frères J.-H. Rosny, jeune & aîné

Les dix jurés du Prix Goncourt.jpg
Les dix jurés du Prix Goncourt ©
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Marcel Proust ©
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Ce prix si recherché a toujours obtenu de très forts tirages. Dès lors on comprend mieux le vote si « acharné » des académiciens, bien résumé par Thierry Laget dans son « Proust prix Goncourt » paru récemment ; il note le déroulement de cette cérémonie toujours tendue, crispée, au bord des invectives : « Le déjeuner touche à sa fin, on en est au dessert, il est temps de s'occuper des romans. Alors que l'on s'attendait à une vigoureuse diatribe de Daudet, c'est Rosny aîné qui prend la parole et déclare qu’« À l'ombre des jeunes filles en fleurs » est « une œuvre digne en tous points de rallier tous les suffrages ». 

Élémir Bourges acquiesce. Il est arrivé au déjeuner en disant : « Je vote pour Proust. » Rien ne peut le faire changer d'avis. Il balaie les autres candidats d'un revers de main. Comme à son habitude, Geffroy dit en serrant les dents : « Moi je trouve ça très chouette. » Il fait toujours si peu de bruit, « enfermé dans ses goûts comme Blanqui dans ses prisons ». Mais peut-être précise-t-il tout de même que, de ce livre, il apprécie « la netteté vivante, le solide dessin intérieur », en ajoutant : « J'en aime aussi les méandres et les ombres où je vois toujours briller, proche ou lointaine, la lumière ou la lueur de l'art. » 

Et peut-être Céard explique-t-il qu'il a reconnu, dans À l'ombre des jeunes filles en fleurs, l'œuvre qu'il appelait déjà de ses vœux en 1906 dans : « Quelqu'un naîtra un jour qui possédera le sens et l'éloquence de toutes les beautés éparses dans la vie, et qui les décrira logiquement, simplement, avec des mots agencés sans embarras et des phrases sans pédanterie ni didactisme ».

Léon Henrique proteste : il considère que Proust est « un Balzac dégénéré ».

Marcel Proust, Lucien Daudet et Robert de Flers (Otto Wegener, fin 1896).jpg
Marcel Proust, Lucien Daudet et Robert de Flers (Otto Wegener, fin 1896) ©
Marcel Proust, Lucien Daudet et Robert de Flers (Otto Wegener, fin 1896).jpg

Il y a la question de l'âge aussi. Quel âge a Marcel Proust, exactement ? N'est-il pas trop vieux pour recevoir un tel prix ? (Marcel Proust a 48 ans en 1919). Et n'est-il pas trop riche ? Naguère, quand un écrivain de trente ans faisait acte de candidature, Henrique s'exclamait : « Comme il est vieux... Non, il nous faut un jeune... un jeune de vingt ans... un vrai jeune. » 
Et Mirbeau ajoutait : « Et pauvre... un vrai pauvre ! » 
Daudet s'emporte : « Non seulement je m'en fiche, mais je m'en contrefiche ; et même je m'en hyperarchicontrefiche. » « Vous ne connaissez rien au testament des frères Goncourt, ajoute-t-il. Moi, je le connais, et je vais vous le sortir et vous le lire. La clause ne précise pas qu'ils ont laissé le prix à un jeune homme. Non, il s'agit d'un jeune talent. Ce qui est exactement le cas de M. Proust ; car, je vous le dis, c'est un écrivain qui devance son époque de plus de cent ans. » Enfin, Rosny aîné tranche : « On ne peut tout de même pas n'encourager que des jeunes gens » ...

Après ces observations et « amabilités » il est temps de passer au vote ! Descaves et Bergerat ont fait savoir qu'ils se prononceraient à chaque tour en faveur de Dorgelès. Au premier, Proust obtient les cinq voix des académiciens dont on dira qu'ils s'étaient engagés, « par serment solennel », à voter pour lui, et Dorgelès trois voix. Les deux derniers jurés choisissent Alexandre Arnoux, Adès et Josipovici. Au deuxième tour, Proust conserve ses cinq voix, et Dorgelès parvient à en regrouper quatre, tandis que la dixième continue de faire des politesses, cette fois à Marcel Martinet. C'est au troisième tour que tout bascule : un rallié offre à Proust sa voix, sur laquelle Dorgelès avait cru pouvoir compter ; c'est le discret Rosny jeune qui, renonçant à son indépendance, a, pour une fois, voté comme son grand frère. Tout est terminé à deux heures : À l'ombre des jeunes filles en fleurs est le dix-septième prix Goncourt. Un maître d'hôtel va communiquer le résultat aux journalistes. Sur le registre des délibérations, le secrétaire de l'Académie, Jean Ajalbert, note le compte rendu du jour : Déjeuner 10 décembre 1919. Présents pour délibérer : MM. Geffroy, Bourges, Henrique, les Rosny, Daudet, Ajalbert, Céard. Le scrutin pour le prix donne « au 3ème tour : M. Proust : 6 voix (élu) avec les voix de : L. Daudet, Geffroy, Rosny Ainé et Jeune, Céard, Bourges Roland Dorgelès obtient 4 voix : Ajalbert, Bergerat, Henrique, Descaves.

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Lucien Daudet ©
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Amitiés et échauffourées littéraires

« J.-H. Rosny » ainsi que « J.-H. Rosny aîné » et « J.-H. Rosny jeune » constituaient les noms de plume utilisés par les frères Joseph Henri et Séraphin Justin Boex, qu’Edmond de Goncourt avait nommés dans son testament à la Société littéraire des Goncourt ou Académie Goncourt.

Quant à Léon Daudet, également juré du Goncourt, il était le frère aîné de Lucien qui avait rencontré Marcel Proust aux jeudis de sa mère, Madame Alphonse Daudet, et avec qui il eut une liaison (au moins) « sentimentale », que révéla Jean Lorrain dans sa chronique du Journal. C’est d’ailleurs pour cette indiscrétion que Proust et Lorrain se battirent en duel en 1897. 
Sous le titre de « Mon cher petit » (formule qui les débutait), les lettres de Marcel Proust à Lucien Daudet furent publiées par Michel Bonduelle chez Gallimard (1991).

« Très beau, très élégant, mince et frêle, au visage tendre et un peu efféminé, aux grands yeux bruns [...], c'était l'aristocrate de la famille », selon son frère Léon Daudet...

Admirateur fidèle jusqu'à ses derniers jours de l'impératrice Eugénie qu'il avait connue par l'intermédiaire de la nièce de celle-ci, la marquise de Casa Fuerte, ami également de Jean Cocteau, Lucien Daudet épousa en 1943 Marie-Thérèse, sœur cadette de Pierre Benoit / voyez mon article de la semaine dernière : https://baskulture.com/article/lettres-indites-de-paul-morand-pierre-benoit-publication-mouvemente-dexistences-aventureuses-5390

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L'annonce du livre de Dorgelès termina au tribunal... ©
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Le Prix Goncourt donnait prise également à des batailles d’éditeurs pour être convaincus que les articles de presses parus, qu’ils fussent louangeurs ou critiques, leur faisaient de la publicité, ainsi qu’à leurs auteurs... 

Précisément, lors de l’attribution du prix à Marcel Proust – à une voix d’écart avec Dorgelès -, la presse se fit l’écho d’un petit scandale qui se termina devant les tribunaux : Albin Michel, afin de profiter de la publicité du Goncourt, fit paraître le livre Les Croix de bois gratifié de la mention « Prix Goncourt » qu’il accompagna de cette précision en petits caractères : « 4 voix sur 10 ».

Attaqué en justice par Gallimard, Albin Michel sera condamné à retirer la mention et à lui verser des dommages et intérêts.

Les jurés Goncourt annoncent l’attribution du prix au lauréat par cette lettre rédigée aussitôt le vote conclu.jpg
Lettre rédigée par les jurés Goncourt annonçant à Proust l’attribution du prix ©
Les jurés Goncourt annoncent l’attribution du prix au lauréat par cette lettre rédigée aussitôt le vote conclu.jpg

Le 20 novembre 1922, il y a 100 ans, disparaissait Marcel Proust. Le peintre Paul-César Helleu (1859-1927) réalisa le portrait de son ami sur son lit de mort.

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Proust sur son lit de mort par Helleu (Musée Bonnat, Bayonne) ©
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