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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
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| Jean-Louis Requena 676 mots

La critique de Jean-Louis Requena

Shéhérazade - Film français de Jean-Bernard Marlin – 109’

A Marseille, Zachary (Dylan Robert), 17 ans, surnommé Zach, sort d’un centre de détention pour mineur. Il intègre un centre d’éducation surveillée accompagné de son assistante d’éducation.

Il s’évade rapidement pour rejoindre son quartier à la recherche de son ancienne bande qui le rejette : il a fait de la prison pour avoir revendu de la drogue et de ce fait, peut compromettre leur petit négoce lucratif. Tout le monde l’ignore, y compris sa mère qui est en ménage avec un homme taciturne et violent. Zach erre dans les rues mal famées jusqu'à sa rencontre avec une jeune et jolie fille qui se prostitue : Shéhérazade (Kenza Fortas). Elle l’héberge dans son gourbi qu’elle partage avec une transsexuelle droguée. Recherché pour évasion, Zach est à la dérive. Il ne fait rien de ses journées et traine dans les rues autour de Shéhérazade et de ses copines qui tapinent.

Sollicité par ses nouvelles amies qui se plaignent de la concurrence, après un cuisant échec, il forme un « commando » et lance une expédition punitive pour chasser des proxénètes bulgares qui occupent le territoire convoité. Pour le remercier, sans qu’il y prenne garde, Zach devient de fait un proxénète : il perçoit une commission sur les passes des filles.

Tout se passe bien jusqu’au moment où Shéhérazade est agressée par les anciens comparses de Zach. Pour eux, Shéhérazade est une pute, donc pas une femme respectable, une moins que rien aux yeux de ses agresseurs.

Comment Zach, encalminé par ses contradictions (est-il amoureux de Shéhérazade ou non ?), limité par la pauvreté de son langage, tenaillé par des bouffées de violence, va-t-il réagir face à ce mauvais sort ?

C’est le premier long métrage de Jean-Bernard Marlin (38 ans), après deux courts métrages remarqués : « La Peau dure » (2007) et « La Fugue » (2012). Faute de moyens financiers après deux ans de travail (lente élaboration du scénario après enquêtes sur le terrain, recherche d’acteurs non professionnels, recherche de financement, etc.), Jean-Bernard Marlin nous propose un film coup de poing sur des jeunes gens dans une ville qu’il connaît bien pour y avoir vécu de longues années : Marseille. La cité phocéenne est décrite comme une ville dangereuse, presque du tiers monde. Toute la première partie du film est tournée caméra numérique à l’épaule, son direct, comme un documentaire. Mais le propos est fictionnel, même s’il est tiré d’une histoire vraie. Une telle mégalopole portuaire, toujours au bord du désastre financier, sociologique, politique, etc., est en quelque sorte un énorme chaudron humain qui « produit », plus que nulle part dans notre pays, des destinées poignantes, sordides, de ce genre.

Nonobstant, le regard sans complaisance, sans jugement de valeur, que porte le réalisateur sur cette histoire, somme toute commune sous cette latitude, il reste à hauteur de ses protagonistes et ne les « surplombe » jamais. Son écriture visuelle « hachée » est adaptée à la première partie du film avant de s’apaiser vers une conclusion bouleversante. Jean-Bernard Marlin maîtrise le déroulé du film d’une main sûre. Il n’est pas diplômé de l’Ecole Nationale Louis Lumière pour rien.

Les deux acteurs principaux qui interprètent - ou plutôt incarnent - Zach et Shéhérazade, sont d’une justesse inouïe pour la bonne raison qu’ils ne savent pas jouer la comédie : ils sont « bruts de décoffrage » ! Jean-Bernard Marlin les a choisis dans le cadre d’un long casting sauvage. Ils ne jouent pas, ils sont les personnages (mimiques, langage, etc.).

Le film a été sélectionné pour la Semaine de la Critique lors du dernier Festival de Cannes. Par ailleurs, il a obtenu le Prix Jean Vigo et le prix du meilleur film lors du Festival du Film Francophone d’Angoulême, Prix des étudiants francophone ainsi que le Prix SACEM pour la musique.

Jean-Bernard Marlin est un jeune réalisateur prometteur. Nous formons le vœu que le succès critique – et, espérons, public - de Shéhérazade lui permettra de réaliser un nouveau long-métrage dans des conditions matérielles plus confortables.

Jean-Louis Requena

 

 

 

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