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Prose et Poésie
A propos du Prix des Trois Couronnes : l’âme de Rostand dans Cyrano
A propos du Prix des Trois Couronnes : l’âme de Rostand dans Cyrano

| Alexandre de La Cerda 1025 mots

A propos du Prix des Trois Couronnes : l’âme de Rostand dans Cyrano

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Croquis de Rostand sur un exemplaire de Cyrano ©
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La belle demeure qu’Edmond Rostand fit bâtir à Cambo, attire toujours autant de monde, ainsi que les jardins, magnifiquement entretenus... Et la gloire de « Cyrano de Bergerac » ne se démentit jamais ! 
En témoigne le bel "Eloge de Cyrano" que lut Bastien Brestat à l'occasion du prix de poésie qui lui fut décerné à Arnaga à l'occasion de la tenue de la session du Prix littéraire des Trois Couronnes.

Rosemonde Gérard, l’épouse de Rostand qui soutenait moralement – et parfois plus - l’écriture de ses chefs-d’œuvre, lui chantera même : « Tu l'a pris, ce village, à la France elle-même/Tu l'as pris tout entier dans un soir éternel/ Si bien que Bergerac, dont le célèbre ciel/ Semble un blason d'azur où passe une cigogne/ Est bien plus dans Rostand qu'il n'est dans la Gascogne » !

Affirmation d’autant plus vraie que Rostand fit de son sujet d'inspiration, qui n'était ni cadet ni de Gascogne, un héros de cape et d'épée qu'à leur tour, de grands acteurs modelèrent successivement en « Gascon » truculent, jovial, farceur et bon vivant.

Qui était le vrai Cyrano ?

Cependant, si la poétesse Rosemonde Gérard croyait voir surgir de toutes les ruelles obscures de Bergerac « des Gascons empanachés; et, de tous les arbres, pleuvoir des feuilles d'or; et, de tous les balcons, tomber des baisers qui sentent le jasmin et la gloire », c'est en réalité dans la parution au début du XXe siècle d'un ouvrage sur Chevreuse (pittoresque vallée située à une chevauchée de mousquetaire du centre de Paris, et reliée de nos jours par le R.E.R., ancienne « ligne de Sceau »), qu'il convient de rechercher l'origine du véritable Cyrano.

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Le vrai Cyrano ©
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Et, l’histoire de ce nom remonte à la guerre de Cent Ans. En récompense de sa bravoure au siège de Bergerac repris aux Anglais, en 1450, Raymond de la Rivière de la Martigne s'était vu attribuer un fief « avec moulin et prairies, à Mauvières en Saint-Forget »
Devenu seigneur de Mauvières, il baptisa « de Bergerac » les prairies et les « sous-forêts » entre Dampierre et Chevreuse, afin que ses descendants se souvinssent d'où ils tiraient leurs titres. Un premier Savinien de Cyrano acheta Mauvières en 1582. Un de ses sept petits-fils, baptisé à Paris en 1619, fut ce Cyrano, dit de Bergerac.

Or, à l'époque où Rostand montra sa pièce, un critique, guidé par le zèle propre à la jeunesse releva avec un esprit mordant quelques inexactitudes et fantaisies documentaires dans le caractère et les situations dont Rostand affubla son personnage. Il s'attira cette réponse toute aussi vive: "Soyez convaincu, Monsieur, qu'il n'y a pas (dans "Cyrano") un anachronisme que je ne connaisse parfaitement; je suis même convaincu, si complet que soit votre article, qu'il y en a un ou deux que je pourrais encore vous signaler. La couleur locale n'est nullement le résultat d'une menue exactitude, vous le savez aussi bien que moi. Un poète ne met jamais rien au hasard, il n'est inexact que lorsqu'il le veut."

Voyages aux Etats de la Lune

Compagnon irascible et écrivain bretteur, en somme assez proche du personnage imaginé par Rostand, la littérature du vrai Cyrano, si elle lui attira des railleries et des inimitiés bien plus féroces que la taille et la forme de son nez, n'en gardait pas moins pour l'époque un parfum de nouveauté, voire quelques accents prophétiques du chercheur social et du curieux de sciences, lors de ses voyages imaginaires "aux Etats et Empires de la Lune", ceux du Soleil, ou dans le royaume des oiseaux. Ce qui fit même écrire à la plume acide d'un contemporain: "Je crois que lorsqu'il fit son "Voyage dans la Lune", il en avait déjà le premier quartier dans la tête !"

Pourtant Cyrano ne mourut pas fou, ni assassiné comme dans la pièce de Rostand, mais sans doute "instruit des préceptes de la vraie Foi" par sa cousine, la baronne de Neuvillette, qui inspira le personnage de Roxane. 

En revanche, la pièce écrite par Rostand fut un miracle ! Rosemonde Gérard l’a indiqué en pensant d’abord aux éternels doutes et insatisfactions de son mari qu'elle encouragea de toute sa volonté féminine – « beaucoup d'angoisse autour d'un travail toujours inquiet... beaucoup de papiers déchirés jetés sévèrement dans une corbeille... des désespoirs modestes et des recommencements courageux ». Mais aussi, à cette « foire aux aigreurs » des envieux, des snobs et de quelques « pintades » hantant les coulisses du Théâtre de la Porte-Saint-Martin lorsqu’on y joua, pour la première fois, "Cyrano de Bergerac" le 27 décembre 1897.

De plus, la pièce arriva au milieu des échauffourées commençantes de l'Affaire Dreyfus, et l'âpre critique Léon Daudet, généralement mieux inspiré, n'hésita pas à reprendre à son propos l'expression « fanfare de pantalons rouges », traitant même Rostand de « comble de l'artificiel et de l'apoétique, chez qui l'inspiration était remplacée par le jeu des mots, le cliquetis métaphorique, l'allitération » ! 
Les dernières répétitions furent orageuses et tourmentées : Rosemonde Gérard, qui connaissait heureusement par cœur le rôle de Roxane avait même dû remplacer au pied levé la véritable actrice, souffrant d'une extinction de voix. 
Un quart d'heure avant le spectacle, « pâle et tout en larmes », Rostand n’alla-t-il pas jusqu'à se jeter dans les bras de Coquelin, l'interprète de "Cyrano", en s'écriant: « Pardon ! Ah ! Pardonnez-moi, mon ami, de vous avoir entraîné dans cette désastreuse aventure » !

Pourtant, le triomphe fut sans précédent, à la mesure des tourments qui l’avaient précédée. « A deux heures du matin, le public éperdu criait, riait pleurait, applaudissait et ne voulait pas s'en aller. On sentait flotter dans le grand théâtre de la Porte-Saint-Martin, que grandissait encore cette soirée unique, une odeur de gloire que tout le monde voulait respirer. La désastreuse aventure était courue » !
Après l'annonce de l’acteur Constant Coquelin, selon l'usage, que « la pièce était de M. Edmond Rostand », toute la salle, debout, criait : « L'auteur ! L'auteur » !
Mais Rostand, qui n'avait pu dominer son émotion, avait déjà quitté le théâtre.

"Cyrano" a toujours été servi par d'exceptionnels comédiens, tels Constant Coquelin, Sarah Bernhardt, Marie Bell, Lucien Guitry, Daniel Sorano et Gérard Depardieu, lauréat d’un « César » qu’il offrit au musée d’Arnaga. La pièce de Rostand a conservé sa popularité intacte jusqu’à nos jours...

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