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Tradition
« Le christianisme en accusation » selon René Rémond
« Le christianisme en accusation » selon René Rémond
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| François-Xavier Esponde 1078 mots

« Le christianisme en accusation » selon René Rémond

1 – René Rémond

Il y a dix ans - le 14 avril 2007 - disparaissait René Rémond, Président de la Fondation de Science Politique de Paris, auteur d’une trentaine d’ouvrages dont celui intitulé « Le christianisme en accusation » publié en 2000. Nous ne vivions pas encore avec une telle intensité les violences terroristes de ces deux dernières années dans le Levant et leurs retombées directes sur notre vieille Europe. Cependant, ce livre de René Rémond montrait déjà un profil prophétique de l’histoire en donnant aujourd’hui à réfléchir à la lumière d’un déficit des valeurs chrétiennes ignorées, écartées, voire « mises en accusation » par nos institutions ; leur fragilisation ne nous rendant que plus vulnérables devant de telles agressions.

L’ouvrage se compose de quatre chapitres : une religion discréditée pour le premier, crise ou déclin de la Foi pour le second, peurs et tentations pour le troisième, le testament du christianisme pour le quatrième.

Dans ce dernier chapitre, René Rémond conforte le sentiment que le christianisme n’est pas une  morale, qu’il confirme la liberté de la personne en situation sociale, promeut le sens de l’histoire, répond à des besoins nouveaux et inspire l’espérance pour le temps qui vient.

Le christianisme ne doit pas craindre de s’affronter à son propre passé et à sa tradition spirituelle.

Mieux même, son souci authentique de la raison et de l’intelligence ne peut que l’aider à être davantage présent dans les évolutions du monde et y apporter la note originale qui est la sienne.

N’étant plus au temps de Lamennais et de Chateaubriand, nous sommes désormais soucieux de susciter un vrai dialogue avec les objections des adversaires ou de ceux qui prônent l’indifférence en matière religieuse.

Issus nous-mêmes de la modernité, nous avons intégré les valeurs de raison et de respect des faits historiques. L’Inquisition et les croisades n’existent plus depuis des siècles, et les accusations d’intolérance et d’obscurantisme, périmées. Une parole positive sur le christianisme doit donc recentrer l’essentiel sur son testament laissé à l’histoire. Ce mot de testament résonne de consonance biblique, du lien de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance... Comment ne pas faire le rapprochement avec le destin historique du christianisme dans notre modernité ?

 2 – Foi et morale chrétienne

Ayant cessé d’encadrer totalement la société et les individus, la religion chrétienne se réduirait-elle aujourd’hui à un noyau de valeurs fortes, voire pour certains à une Foi « fragilisée » ? Comment mieux cerner ce testament spécifique du christianisme actuel ?

René Rémond développe à cet égard son argumentation en soulignant dans son livre : « Le christianisme n’est pas une morale, mais une Foi portée par une éthique. L’occultation du débat théologique et philosophique au profit de la morale me parait être un réel appauvrissement intellectuel ».

« Je trouve regrettable que le christianisme et la figure du Christ se trouvent ravalés à ce que l’Eglise dit de la contraception, de l’IVG, du mariage des prêtres et de l’ordination des femmes. En s’éloignant de l’essentiel, on se distend de la relation de l’homme à Dieu, on s’éloigne de l’essentiel ! En usant du religieux comme d’une aide qui lui permet de régler ses problèmes personnels, l’aspect religieux se réduit à une thérapie personnelle ou sociale. On y recourt comme on peut le faire de la psychanalyse, du zen, ou jadis de la ferveur des idéologies ».

 3 - La  liberté de la personne.

 En proposant l’adhésion à un Dieu personnel, souligne l’auteur, le christianisme a beaucoup fait pour la liberté de la personne, à l’inverse de ce qu’on croit généralement. Et d’appuyer son propos par la place de Yahvé dans la Torah, s’adressant à des hommes et à des femmes en particulier. Les psaumes et les paroles de David en sont le signe éclatant. En chaque civilisation - grecque ou latine - de l’Antiquité, la personne jouit d’un état, bien que perdurent les différences sociales portées par les traditions.

Paul de Tarse, nourri à la fois du judaïsme et de la Foi dans le Christ, fier de son statut de citoyen romain, pose les fondements « d’une citoyenneté spirituelle à vocation universelle », c’est bien là une intuition géniale !

René Rémond compare ensuite la notion de personne dans le bouddhisme, une sorte d’illusion d’un ensemble d’agrégats à caractère impermanent. Et de rapporter encore, on ne le souligne jamais assez, que le christianisme avait très tôt postulé l’égalité absolue de l’homme et de la femme pour contracter mariage… C’est bien là un héritage direct du christianisme !

Quand le pape Jean Paul II se rendit en France en 1980, il énonça que « liberté, égalité, fraternité » étaient initialement des idées chrétiennes, et que la Déclaration de 1948 des Droits humains constituait une traduction sécularisée des principes que le christianisme avait contribué à introduire ou à légitimer. Un thème récurrent en France où la laïcité exige toujours de la part de l’Eglise un déplacement intellectuel considérable, l’acceptation de la pluralité des opinions et des croyances. Et de toute évidence, la permanence du conflit des Lumières, des deux France, issues de la révolution française, se prolonge !

 4 - Le sens de l’histoire et des besoins nouveaux

 Après 1989 et la chute du mur de Berlin, avec l’avènement d’un certain modèle démocratique libéral, on a évoqué la fin de l’histoire et la présence d’un « homme nouveau », sorte de clone né de la science.

Avec la conception d’un messianisme issu du judaïsme, le christianisme rompt avec la conception cyclique du temps propre au mythe. Il n’y a pas d’éternel retour mais un espace où l’avance du christianisme face au marxisme laisse une grande place à la liberté et à l’action de l’homme ainsi qu’à l’intervention de la Providence qui conduit l’histoire, même si on ne comprend pas tout !

Evoquer cette vertu de l’Espérance, c’est reconnaitre que l’histoire humaine a un sens et n’est pas soumise exclusivement à la fatalité de la biologie ou à des forces de mort.

C’est à cette Espérance que se tourne notre esprit retrouvant la figure forte de Charles Péguy.

En manifestant ces valeurs chrétiennes propres pour réagir à l’idolâtrie moderne de l’argent, le christianisme doit susciter des expressions adaptées comme l’Eglise sut le faire jadis avec le jeûne et la Trêve de dieu...

« Tel demeure le testament des chrétiens, encore que je n’aime pas ce mot », souligne René Rémond. Insuffler des valeurs fortes, le sens de l’homme, l’histoire en marche, l’espérance dans un progrès possible, mais aussi retrouver une parole plus discrète, se définir comme ferment », seront la confidence ultime du politologue en conclusion de son livre « Le Christianisme en accusation ».

 

François-Xavier Esponde

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