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Tradition
Pierre Lhande Héguy, jésuite basque
Pierre Lhande Héguy, jésuite basque

| François-Xavier Esponde 1867 mots

Pierre Lhande Héguy, jésuite basque

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Pierre Lhande jeune ©
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Les radio-sermons de Pierre Lhande ©
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Pierre Lhande sur le maréchal Foch ©
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A l’occasion des 400 ans de la canonisation d’Iñigo de Loiola et de Francisco de Xabier au cours de cette année ignacienne promue par la Compagnie de Jésus, vient à la mémoire la figure d’un jésuite basque en la personne de Pierre Lhande Héguy (NDLR. : son vrai nom de famille était Basagaitz, mais il préféra adopter le pseudonyme de son grand-père Allande, transformé en Lhande, un txistulari souletin de Tardets/Atharratze).

Il naquit le 11 juillet 1877 rue argenterie à Bayonne, au cœur de la capitale labourdine et décéda à 79 ans le 17 avril 1957 à Tardets en Soule.
Son père exerçait le métier du cordonnier et sa mère, Stéphanie de Berterèche de Menditte, venait de Montévidéo, en Uruguay, comme bien des familles de la communauté basque expatriées en Argentine, Chili, Paraguay, Uruguay et autres contrées d’Amérique du Sud.

La jeunesse de Pierre Lhande en Soule débuta à Mauléon, au Collège François d’Assise, et se poursuivit au séminaire de Bayonne avant qu’il ne rejoigne l’ordre jésuite pour l’étape suivante.
Des études théologiques en Belgique, une ordination en ce pays le 6 septembre 1900, et une vie d’enseignant dans la région de Toulouse, au sein des prestigieux collèges tenus par les jésuites.

Il exerça également, de 1920 à 1924, comme professeur de basque à l’Institut Catholique de Toulouse (31 rue de la fonderie).
Dans cette ville on trouvait d’autres jésuites originaires du Pays Basque, en particulier le père Etcheverry de Biarritz, auteur d’une thèse de philosophie sur la pensée kantienne.
Selon la tradition jésuite de la connaissance, de l’enseignement et de l’éducation des étudiants de toutes générations.

Pierre Lhande n’est pas sans convictions. Il a adopté l’esprit jésuite de son ordre. Ses liens avec Loiola n’y sont pas étrangers.
En 1922, le voilà expulsé d’Espagne, en raison de ses sympathies avérées pour la communauté basque qui connaît en ces années des rapports difficiles avec les autorités espagnoles.
Mais l’auteur et témoin engagé en faveur de la langue basque produit son travail académique.
Le bascophone, en ses débuts, publiera le dictionnaire basque-français issu des dialectes souletin - bas-navarrais – labourdin (1926).
Son projet inachevé sera limité à une édition du français-basque, d’un second volume qui ne lui permit de disposer du temps suffisant pour achever son objectif et mener plusieurs entreprises à la fois.

Devenu parisien, ses préoccupations spirituelles de jésuite engagé le tournent vers « l’évangélisation des quartiers populaires de la capitale ».
Une situation que le jeune jésuite relate dans ses divers articles parus dans la prestigieuse revue « Etudes » de Paris.
Il y évoquera régulièrement les difficultés de la vie chrétienne dans la banlieue rouge parisienne en ces années trente...
De 1927 à 1931, son premier ouvrage porte le titre : « Le christ dans la banlieue, enquête sur la vie religieuse dans les milieux ouvriers de la banlieue de Paris » qui provoquera une réflexion parmi le clergé parisien.
Le cardinal Verdier, archevêque de Paris, crée l’Oeuvre des « chantiers du cardinal, pour suppléer au manque d’églises de quartiers dans la capitale française ».

L’intuition du jeune jésuite devient l’ambition du clergé qui nourrit à l’intention de ce religieux des sentiments mitigés, de sympathie pour les uns, et d’irritation pour les autres.
On touchait là en effet au privilège clérical des anciennes églises de la ville, seules représentatives de la vie ecclésiale à Paris.

Mais Pierre Lhande n’en a pas encore fini avec ses idées qui bousculent les usages.
Le voilà chroniqueur des Radios-sermons, pionnier dès le 2 janvier 1927 de ces prêches radiophoniques, totalement inédits sur les ondes de Radio Paris, sorte de radio libre de l’époque.
Le bénéfice sera de courte durée : la radio est nationalisée en janvier 1934 et les émissions interrompues.
Mais dès avril de la même année, les protestations pleuvent : les auditeurs réclament le retour du jésuite impénitent. Le Ministre des Postes, en charge de ce secteur, rétablit les émissions.
Et les émissions de Pierre Lhande font désormais partie du paysage radiophonique : les sermons sont diffusés sur les ondes à l’égal des autres émissions pour l’attente des auditeurs (*).

Pierre Lhande recevra deux Prix de l’Académie Française, le premier en 1928, et le second en 1932.
Le personnage inspire le cinéma, deux films relatent la singularité de ce sujet inédit.
Jeanne Moret écrit une biographie sur Pierre Lhande en 1964, peu de temps après sa mort, sous le titre de « Pierre Lhande, pionnier du Christ dans la banlieue, et la radio ».

L’Académie de la langue basques Euskaltzaindia se souviendra qu’il en fut membre avec l’Abbé Aranart et le chanoine Pierre Lafitte, et même un des cofondateurs en 1919...
Le dictionnaire basque français fut un travail mené par ces ecclésiastiques au début du XXème siècle, et il conviendrait de rappeler le travail de Pierre Lhande dès 1920 auprès de la revue Euskara dont il était l’un des rédacteurs.

En 2008, l’Académie basque lui rendit hommage et en 2015, le village de Sauguis accueillera une pastorale sur le jésuite souletin inspirée par Jean-Louis Davant qui le connut personnellement.

On doit encore citer le recueil en basque « Yolanda eta beste euskarasko idazlanak », toujours à propos de Pierre Lhande.

En 2018, une chercheuse en théologie Eugénie Bocek Valy soutint une thèse à l’université de Lorraine sur Pierre Lhande et ses radios-sermons.
Le jésuite souletin continue d’inspirer nos contemporains. Sa personnalité fulgurante et libre fait des admirateurs à diverses époques.

(*) à titre d’exemple, on citera ce « radio-sermon » sur la Fête-Dieu (avec des similitudes avec le discours d’ouverture du Congrès Eucharistique prononcé par Pierre Lhande à la Cathédrale de Bayonne, où il témoigne de la traditionnelle dévotion eucharistique du peuple basque : « La piété envers le Saint-Sacrement est chez nous une tradition de race », écrit-il, en nommant les « poètes les plus illustres » qui, depuis le XVIIème siècle ont « chanté l’Hôte divin de nos tabernacles ». Ils continuent à être honorés, leurs chants clamés dans les églises. Les danses font partie également des fêtes religieuses : […] Les danses sacrées continuent à escorter dans nos villages les processions de la Fête-Dieu. Alternant avec les graves versets du Magnificat, la flûte et le tambourin jettent dans l’air léger leurs cascades de notes gracieuses et sautillantes ; et soudain, le cortège des jeunes garçons au manteau de soie bigarrée sur l’uniforme blanc, dignes et beaux sous la tiare aux fleurs étincelantes et au miroir chatoyant, les bras sagement rangés le long du corps gracile, esquissent les pas du ballet liturgique […] 

Pierre Lhande résume en quelques mots le sens profond de ces expressions d’allégresse propres au Pays Basque qui ne peuvent être confondues avec celles d’un folklore superficiel : […] Ces manifestations populaires ne sont qu’un aspect extérieur de la dévotion qui est dans les âmes. 

- Dans La Fête-Dieu, l’introduction se situe dans le temps présent. Pierre Lhande informe les auditeurs de la préparation du thème du sermon qu’il va prononcer dans quelques instants depuis le studio de la radio. 
Le tintement des cloches de la capitale accompagne sa réflexion : À cette heure matinale où je prépare mon radio de midi, derrière mes portes inexorablement closes, je les écoute : Mi, ré, do ! mi, ré, do ! Parfois le vent les emporte à l’infini, en une sorte de fading mystérieux. Elles sont parties, on les croit perdues. Puis au fond de Paris on entend survoler un lointain do très grave […]. Et le carillon tout entier, enfin retrouvé, passe et repasse en apothéose sur nos toits et sur nos jardins : Mi, ré, do ! Mi ré do ! Mi, ré, do !

Très vite, il évoque ses souvenirs d’enfance aux auditeurs, petits et grands. Il décrit les manifestations traditionnelles avec davantage de détails que dans son discours de Bayonne. À la cathédrale, il pouvait animer son propos, grâce à sa gestuelle qui accompagnait ses paroles, il pouvait réagir en fonction de l’attitude du public. 
À la radio, il ne peut compter que sur les intonations de sa voix et sur sa capacité à décrire pour maintenir l’attention, sans lasser son auditoire. Il fait le choix de le transporter, comme dans La première Communion, loin de Paris, jusqu’au Pays Basque pour décrire avec conviction la ferveur qui accompagne les fêtes religieuses. 
Il plante le décor pour permettre aux auditeurs de se situer dans le contexte de l’époque de ses huit ans et des souvenirs qu’il en a gardé : Voici Bayonne en 1885. Sur la place d’Armes, sous nos balcons où nous passons la tête entre les barreaux, laissant la rampe aux grandes personnes, nous contemplons le grand reposoir tout d’or qui, dans ses cierges vacillants, attend l’arrivée de la procession. La voilà. Derrière leurs musiques, défilent baïonnettes au canon, d’abord les « petits vitriers », les chasseurs à pied, puis, l’artillerie, enfin le 49e de ligne dont la marche scandée, rigide, contraste avec la molle coulée qui suit : celle des jeunes filles en blanc, des orphelinats, des écoles, des séminaires précédant le Saint Sacrement porté par Mgr l’Évêque de Bayonne. […] 
En une longue narration très détaillée, il poursuit la description du cortège qui s’avance en vagues alternant défilés militaires, danses, musiques traditionnelles, y compris espagnoles et cantiques latins. 
Au moment du passage du Saint-Sacrement, c’est le silence. La participation de l’armée au défilé fait partie de la tradition. Cette fois, c’est elle qui ordonne le silence : Soudain, le long des bataillons, un ordre militaire, transmis par les officiers : « Genou terre ! » A ce signal, les milliers de pompons rouges, verts et bleus, piqués en flèche sur les képis s’affaissent brusquement, les gants blancs s’étalent en bordure des visières et tandis que les clairons sonnent aux champs, par-dessus une marée humaine enfin apaisée, le Saint-Sacrement passe, se hausse sur le reposoir. 
À travers cette description racontée de manière vivante, les auditeurs peuvent se représenter aisément cette scène extraite de souvenirs très personnels de son auteur. 
Pierre Lhande n’oublie pas l’objet de son « radio-sermon » : la Fête-Dieu. À l’exemple de l’affirmation ci-dessous, « C’est la Fête-Dieu » devient une anaphore utilisée à huit reprises dans le récit : Là-bas, dans les arbres de la Citadelle, au-dessus de l’Adour où les navires ont arboré le grand pavois, les canons mêlent leur fracas à la voix sombre du grand bourdon de la cathédrale. C’est la Fête-Dieu […] Le cortège de la Fête-Dieu se poursuit au rythme de la danse, de la musique. La décoration de l’itinéraire du Saint-Sacrement dans la ville est détaillée avec minutie. 
Nous retrouvons la scène des danseurs retracée dans le discours de la Cathédrale de Bayonne à quelques détails près : Maintenant, ce sont les danseurs. Cinquante, soixante jeunes gens, tout de blanc vêtus, des pompons aux lisières des pantalons, des clochettes aux pieds et, tombant de l’épaule, des flots de longs rubans multicolores qui, soudain, quand ils virevoltent, au rythme de la flûte et des tambourins, les enveloppent d’un immense enroulement de serpents rouges, bleus, verts et violets. 

Après ce long récit où il a invité les auditeurs à participer aux traditions hautes en couleurs des fêtes et processions religieuses au Pays Basque, Pierre Lhande revient au temps présent sans nostalgie à Paris, ce jour de Fête-Dieu en union et en prière avec les auditeurs. 

https://hal.univ-lorraine.fr/tel-01751986/document

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Affiche "Pierra Lhande pastorala" ©
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"Pierre Lhande" pastorala ©
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Eugénie Myriam BOCEK-VALY | 15/07/2021 10:46

Abonnée depuis le début de "Baskulture" La Lettre du Pays Basque et souletine de Naissance (je suis née à Ossas-Suhare), j'ai été très honorée et heureuse de préparer ma thèse de doctorat que j'ai soutenue à l'Université de Lorraine portant sur "Pierre Lhande et les Radio-sermons aux origines de la radiophonie" en novembre 2015. Aussi, suis-je sensible à l'article rédigé par François-Xavier Esponde où il a la délicatesse de citer mon travail de recherche sur le Père Lhande, basque et jésuite, qui a, entre autres missions, beaucoup œuvré en faveur des plus pauvres et a été le pionnier de la prédication à la radio. Devenu soudainement aphasique, il fut privé de ce mode d'expression et fut malheureusement quasiment "oublié". Promouvoir sa mémoire est reconnaitre son humanisme à l'égard des autres, son action en matière d'évangélisation sur les ondes et "sur le terrain" de manière plus classique et sa fidélité à l'égard de son cher Pays Basque. Bien qu'habitant à présent loin de "ma petite patrie" (dixit Pierre Lhande), c'est toujours avec intérêt et émotion que je reçois les nouvelles de la Soule et de l'ensemble du Pays Basque. Merci encore à François-Xavier Esponde et à Baskulture. Eugénie Bocek;

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