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Littérature
Bicentenaire de la naissance de Dostoïevsky (1) : Dante - Dostoïevski, deux géants de la spiritualité
Bicentenaire de la naissance de Dostoïevsky (1) : Dante - Dostoïevski, deux géants de la spiritualité

| François-Xavier Esponde 1384 mots

Bicentenaire de la naissance de Dostoïevsky (1) : Dante - Dostoïevski, deux géants de la spiritualité

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Portrait de Fiodor Dostoïevski par Constantin Troutovski, Musée littéraire d'État (1847) ©
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Fiodor Dostoïevski ©
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« La tolérance atteindra un tel niveau que les personnes intelligentes seront interdites de toute réflexion afin de ne pas offenser les imbéciles ». Sans avoir dûment vérifié la provenance réelle de cette pensée couramment attribuée à Dostoïevski, son rôle de visionnaire - particulièrement dans « Les Possédés » où il prédisait déjà toutes les dérives révolutionnaires qui allaient frapper son pays… ainsi que le nôtre et le monde entier à notre époque ! - correspondrait parfaitement à cet énoncé dont le bien-fondé éclate à notre époque de « woke », « cancel (a)culture » et autres « livematter ». L’occasion pour notre « Lettre du Pays Basque » de publier quelques réflexions contemporaines à propos de l’écrivain russe. ALC 

Dante - Dostoïevski, deux géants de la spiritualité par François-Xavier Esponde

1 – Dante vu par Philippe Sollers

Dante disparut il y a 700 ans, Dostoïevski naquit il y a deux cents ans. L’âme latine et russe vibrent à l’évocation de ces deux génies de l’intelligence spirituelle.
Philippe Sollers, un amoureux perpétuel de Dante, et son épouse la psychiatre Julia Kristeva, rapportent dans leurs travaux le charisme de ces deux hommes exceptionnels.
Dès la fin des années 50, Sollers se rendit en Italie et fut « foudroyé par ce personnage flamboyant ». Il publia « Dante et la traversée de l’écriture » reproduit dans la revue « Tel Quel ». Le rapport amoureux de ces deux auteurs ne se départit depuis.

Jacqueline Risset publiera une nouvelle traduction bilingue de Dante à paraître fin septembre en France où le poète italien demeure encore peu connu de nos contemporains. Objet de traduction en français, Dante est un sujet que l’on peut le mieux saisir dans notre langue, poursuit Sollers..

A Rome, le pape Benoît XVI le cite dans ses homélies inspirées du Paradis, livre écrit par Dante, dans lequel le poète se permit de mettre quelques papes contemporains en enfer, mais séduisit les pontifes successifs, dont Jean Paul II et, tout récemment, le pape François.
Philippe Sollers se lamente cependant de ce que les catholiques ne lisent pas la Bible mais que pour saisir le regard de Dante sur la vie spirituelle dans la Divine Comédie, la Bible reste incontournable.

Pour nombre de gens, Dante est l’auteur de l’enfer qualifié de « dantesque » de la vie à la façon romantique et poétique d’un commentaire partisan.
Les Français délirent, dit Sollers, sur la transcendance d’ une religion oubliée, enfouie chez eux dans un passé souvent abandonné...
La plupart des êtres humains n’ont aucune expérience du bonheur, de la joie, du mouvement, de la musique, de tout ce qui fait le paradis. Pour se délivrer de cet enfermement, il faut un long purgatoire : « Le purgatoire rééduque les sens. Vous apprenez à sentir, à voir, à écouter, à regarder mieux votre corps, à l’aimer, voilà le message fondamental de Dante, c’est un vivant qui traverse les pays des morts et qui est lui même vivant comme s’il était mort ».

Le poète rencontre la figure de « la Mère - Vierge Marie, fille de ton fils », dira Dante.
L’expérience du corps et de la mère apprennent la sensation d’une éducation que l’on reçoit ou que l’on se donne. Telle est la nature la plus profonde de notre vie, pas le recours aux techniques mandatées et contraignantes de toute reproduction moderne des corps.

Julia Kristeva souffle encore à son mari ce passage psychanalytique : "Nos contemporains deviennent amnésiques de leur passé, et ce passé devient de plus en plus intéressant - puisque tout le monde cherche à l’effacer".
Il faudrait, selon l’écrivain, passer par un long développement sur l’église catholique comparée à l’église orthodoxe et les raisons mystiques qui ont conduit Dostoïevski à commenter les Démons, les Possédés, dans une version traditionnelle de l’âme russe.

Par ces temps de « crise » sanitaire que nous traversons, Dante le latin et Dostoïevski le russe livrent un rapport spirituel sur la condition humaine et le lien au corps physique qui est d’une actualité troublante.
Ces auteurs redeviennent des références de la mémoire et du présent revisité par les évènements. L’exode pour l’un, l’enfermement pour le second, mènent aux questions essentielles de toute vie.
Pour Sollers, le recours à ces penseurs essentiels : Dante, Proust, Joyce, Shakespeare, Baudelaire, Rimbaud, que l’écrivain français préserve dans sa bibliothèque personnelle sont comme des trésors de la vie spirituelle de tous les temps !

2 – L’âme russe de Dostoïevski

Une vie tragique, un récit bouleversant, Fiodor Dostoïevski résume par son nom l’âme russe au cœur de la tourmente.
En novembre 1849, Fiodor Dostoïevski est déclaré coupable par un tribunal militaire d’avoir lu publiquement une lettre d’un séditieux inspiré des idées de Charles Fourier.
Bien que gracié par Nicolas Ier, il subit un simulacre de condamnation à mort au cours duquel l’écrivain déclare en français : « Nous serons avec le Christ ! ». Des paroles prémonitoires pour la suite de sa vie. Mis aux fers, il partira pour quatre ans de bagne,
Dans une lettre envoyée à son frère il écrit : « la vie c’est un cadeau, la vie c’est le bonheur, chaque minute peut être une éternité de bonheur. Maintenant en changeant de vie, je renais sous une forme nouvelle ».

Désormais, l’écrivain embrasse cette nouvelle existence dans une intimité spirituelle avec celui qui incarne à la fois la vérité, l’amour et la liberté. Christ ! Guidé par ce christ dans la nuit au bord d’abîmes noirs et béants, « deux âmes vivent en sa poitrine et chacune d’elles sait ce qu’il lui faut pour grandir », dira son ami poète Viatcheslav Ivanov dans son essai « Dostoïevski, Tragédie, mythe et religion ».

Dès la parution des « Pauvres Gens » sous les augures du socialisme utopique, la vie littéraire de l’écrivain se poursuit, inspirée par le Christ. Persuadé que le dieu homme est le seul capable de sauver l’âme russe en proie au nihilisme et au surhomme, il va faire vivre des personnages christiques tirés de ses romans. Sonia dans « Crime et Châtiment », le prince Mychkine dans l’« Idiot », Aliocha dans les « Frères Karamazov », jusqu’à la vision du retour du Christ dans ce roman guidant le parcours littéraire de l’auteur jusqu’à la figure du Grand Inquisiteur.

Le personnage s’identifie à la vie de l’écrivain soumis aux crises d’épilepsie, aux vexations de son état, à une fragilité endémique qui le rend vulnérable comme Christ sur la Croix de Vie.
Sa vie ne lui fera guère perdre le sens des choses. Défenseur acharné de l’Eglise orthodoxe, il eut à l’adresse de l’Eglise catholique un rapport critique. « A mon avis, dira-t-il, le catholicisme est pire que l’athéisme même, l’athéisme se forme à proclamer le néant, mais le catholicisme va plus loin, il prêche un Christ qu’il a défiguré, calomnié, vilipendé, un Christ contraire à la vérité, il prêche l’Antéchrist ! »

Dans « Crime et Châtiment », la jeune Sonia Marmeladova est sujet de passion. Elle a choisi de se prostituer pour subvenir aux besoins de sa famille, son assassin voit en elle une sœur dans le péché, sans saisir l’abîme profond qui les sépare.
La jeune femme fera une lecture évangélique de Lazare, de la figure sacrificielle rédemptrice de la résurrection du pauvre Lazare !
En ses personnages, Dostoïevski ne cesse de mettre en rapport ceux qui servent le bien avec ceux qui choisissent le mal et sont voués à leur propre malheur de destin.

Dans le « Journal de l’Ecrivain », il notera : « peut-être que l’unique amour du peuple russe est le Christ, dont il aime la figure à sa façon, jusqu’à la souffrance ».
Pour cet écrivain de l’âme, un géant de la Russie éternelle, le Christ constitue la liberté ultime et souveraine in fine.

Autre écrivain russe, Nicolas Berdiaeff dira dans un essai intitulé « l’Esprit de Dostoïevski », que l’auteur n’eut de cesse de dénoncer les tendances du christianisme à devenir une religion de l’obligation et de la contrainte en laquelle l’Orthodoxie orientale avait davantage sauvegardé cette liberté chrétienne que le Catholicisme occidental.
Pour ce géant de la spiritualité, le sujet de dimension spirituelle était de suivre Dieu - homme en Christ pour accéder à la liberté véritable -, ou de suivre l’homme - dieu passivement pour n’obtenir que le surhomme, l’antéchrist, à savoir son ersatz et ses égarements !

L’histoire des idéologies occidentales parvenues en Russie de l’extérieur donnera raison à ce génie de la pensée qui avait pressenti les totalitarismes athées menaçants qui s’acharneraient un jour sur ce pays et sur l’âme russe de son peuple ! Ce qui advint sans délai !

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Est-ce bien Dostoïevsky qui l'a dit ? ©
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