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Livre
Une famille bayonnaise dans les conflits du XXème siècle
Une famille bayonnaise dans les conflits du XXème siècle
© Claude Thétaz

| Claude Thetaz 1011 mots

Une famille bayonnaise dans les conflits du XXème siècle

Coup double pour l’auteur Philippe Saubadine qui a rencontré ses lecteurs le mois dernier, lors du salon « Belles pages » de Guéthary et à la librairie L’Alinéa. Ce coup double l’est aussi avec la présentation du deuxième tome de son livre « Il m'a été donné d'aller à Corinthe » sous-titré « La marche haute ».
L’ensemble relate l’épopée d’une famille bayonnaise aux prises avec les événements et les conflits contemporains dont les périodes s’étendent de 1926 à 1987 pour le tome 1, et de 1988 à 2008 pour le tome 2. Il me confie : « Quels que furent les engagements, les mérites et les épreuves accomplis ou subis par les membres de ma famille sur fond d'événements qui ont marqué l'histoire –  les deux grandes guerres mondiales, les campagnes du Liban, la guerre d’Algérie –, je décris la vie de personnes ordinaires qui ont saisi les opportunités sans espérer la chance ».
Après la campagne de Berlin pendant laquelle son père aura les pieds gelés, celui-ci demande à être muté au Sahara algérien en tant que sous-officier méhariste. Il se retrouve à Ouargla, en plein Sahara, où son épouse, toute jeune maman, le rejoint avec leur fils Philippe… pour administrer la poste ! Imaginez alors une Française d’à peine 24 ans qui dirige des Arabes et gère un établissement par lequel transitent toutes les communications, un important courrier entre la métropole et le Territoire des Oasis et, ce n’est pas des moindres, la paie mensuelle des pétroliers d’Hassi-Messaoud ! En 1952, ce n’est pas banal et cette femme de caractère mènera, outre sa profession, son ménage avec amour et dévouement.
C’est dans cet environnement de volonté, de courage, d’opiniâtreté et de danger que l’auteur construit sa personnalité. Il goûte aussi à la liberté de vagabonder dans les dunes, de grimper dans les palmiers pour cueillir les dattes, de rejoindre les campements nomades pour le partage du thé et les parties de dominos.
De retour à Bayonne, il intègre l’enseignement de l’école laïque : école Jules-Ferry puis lycée d’Etat de Marracq (pas encore baptisé René Cassin). Ce seront ensuite des études universitaires, le service militaire à l’Ecole des troupes aéroportées de Pau, les péripéties de l’entrée dans la vie active.
C’est dans l’exercice de son métier que Philippe Saubadine va formaliser cette âme nomade par une vingtaine d’années passées à l’étranger (Colombie, Guatemala, Egypte, Iran, Gabon, Congo, Angola, Nigeria, Cameroun), dont dix-sept immergé en famille. Il séjourne durablement en Afrique francophone, en Afrique lusophone, en Afrique anglophone. Chaque fois, ce sont des découvertes de traditions, de relations et des aventures : au Gabon, la livraison de vaccins jusqu’à la mission Sainte-Anne en remontant l’Ogooué pendant deux jours ; en Angola, les fusillades dans les rues et le braquage subi par son épouse alors qu’elle travaille dans un cabinet médical ; au Nigeria, les massacres ethno-religieux et les agissements racistes des communautés envers tous les étrangers ; au Cameroun, la prise d’otages autour d’une plateforme dans le Rio del Rey ou le ravitaillement des familles expatriées pendant les violentes émeutes à Douala.
Lorsque son père, alors à la retraite, lui remet les cahiers de campagne de son propre père, l’auteur découvre que son grand-père paternel est à l’origine, avec un autre officier basque des Basses-Pyrénées, de la création de l’armée libanaise, juste après que la République libanaise a été instituée en 1926.
Ce récit épique a pour fondement les événements contemporains du XXe siècle que chacun a pu vivre, par les récits ou réellement. Mais si l’auteur et son épouse – qui l’a accompagné dans toutes ses destinations – ont toujours respecté les peuples et leurs coutumes, ils ont valorisé la culture basque partout où ils sont passés. Ainsi au Gabon, ils ont planifié le séjour du chœur Oldarra avec deux concerts à Libreville et à Port-Gentil, plus une somptueuse messe à la cathédrale Saint-Louis. De même, à Luanda (Angola), à Port Harcourt (Nigeria) et à Douala (Cameroun), ils ont organisé les fêtes basques qu’ils ont fait animer par le groupe Ontuak. Et il faut savoir que Philippe Saubadine est à l’origine de l’aménagement d’un fronton couvert, à l’intérieur d’un gymnase de Port Harcourt, officiellement baptisé « Plaza hegogia » et inauguré par les autorités locales en 2005.
Alors qu’il rédige le deuxième ouvrage, il découvre, suite à un décès dans la famille, cinquante lettres écrites à la plume par son grand-père maternel, soigneusement conservées et d’une lisibilité parfaite. Elles datent de son séjour à Ouargla et confirment la teneur de son livre d’une part, d’autre part apportent des précisions sur des faits ainsi que des éclairages sur des clichés restés jusqu’alors non rattachables à des souvenirs. Une véritable manne !
Avec ces deux tomes (en attendant le troisième et dernier), nous vivons l’histoire d’une authentique famille bayonnaise implantée à Saint-Esprit, dont les membres ont choisi d’aller là où les nécessités (service de la patrie pour les grands-parents et parents, exercice de son métier pour l’auteur) les ont menés.
Le Blog du livre illustre l’ouvrage avec des photos uniques et des documents personnels que 10 000 visiteurs ont déjà consultés (dont des associations d’anciens militaires, des sociétés d’histoire et des historiens, des chercheurs) originaires, entre autres, d’Allemagne, des Pays-Bas, de Russie, d’Ukraine, des Etats-Unis, du Canada, d’Algérie, du Cameroun, du Gabon et d’Indonésie. Et l’auteur de conclure : « Au fur et à mesure des recherches et de l’écriture, je me suis senti redevable : redevable de ce que j’ai reçu et de ce que j’ai appris, qui ont fait ce que je suis devenu. Les souvenirs sont la pertinence de la mémoire et leurs cicatrices ont valeur de connaissance ».
Ce récit captivant est écrit dans une langue claire et subtile. L’intérêt est maintenu de bout en bout, sans temps mort ni logorrhée, avec le sens de la composition dont l’auteur a déjà fait montre dans ses nouvelles. Je ne peux qu’en recommander la lecture à un moment privilégié où la détente et l’oubli du quotidien redonnent l’envie et le plaisir de lire.

« Il m'a été donné d'aller à Corinthe » (790 pages) et « La marche haute » (785 pages) chez Vérone éditions. Commandes auprès de la librairie L’Alinéa – 20, rue d’Espagne – Bayonne.

 

 

 

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